OBJET : Au lycée, des élèves mis en difficulté par une année tronquée et les réformes du lycée et du baccalauréat

Monsieur / Madame le/la Député.e / Sénateur/trice,

Si ces premières semaines de l’année scolaire sont marquées par la crise sanitaire, cette rentrée signe aussi la mise en œuvre pleine et entière de la réforme du lycée et du baccalauréat. En matière de santé comme de pédagogie, le Ministère n’a pas pris la mesure des défis qui se posent à l’École, et continue d’appliquer ses projets à marche forcée, au détriment des élèves1 et des personnels.

Les conséquences pour les élèves d’une année tronquée

Après deux trimestres de classe, les établissements ont brusquement fermé à la mi-mars 2020. Dès lors, les élèves n’ont pas bénéficié de conditions normales d’apprentissage. Ainsi, les inégalités scolaires se sont accentuées, puisque le suivi de cours en ligne met plus directement en jeu les conditions matérielles de travail à la maison et les ressources culturelles des familles pour soutenir leurs enfants. Plus globalement, les programmes scolaires n’ont pas pu être achevés, et les enseignant.e.s ont suivi les consignes du Ministère, à savoir consolider les connaissances déjà abordées en classe et amener avec prudence des savoirs nouveaux.

Des propositions du monde de l’éducation pour y faire face

Dès le mois de mai, des propositions concrètes ont été transmises au Ministère, afin de prendre en compte ces effets désastreux sur les élèves. La conférence des associations de professeurs spécialistes a demandé des aménagements de programme dès le mois de mai, et l’APSES en particulier a transmis des propositions précises à tous les niveaux d’enseignement. Il s’agissait aussi de pallier le volume trop important des nouveaux programmes : ainsi, selon notre enquête auprès de nos collègues de SES, en Seconde et en Première, seuls un peu plus de la moitié des chapitres et des objectifs d’apprentissages avaient pu être abordés au 16 mars, soit après 22 semaines de cours dans les établissements, alors que les 2/3 de l’année étaient écoulés.

De même, afin d’améliorer les conditions d’apprentissage des élèves, la réduction des effectifs des classes aurait permis à la fois de rattraper les retards d’apprentissage et de faire progresser davantage d’élèves.

Un Ministère qui reste sourd aux propositions

Le Ministère n’a répondu à aucune de ces demandes, se contentant de mettre en place des dispositifs périphériques (vacances apprenantes, stages de deux jours pendant les vacances d’automne). Pire, le ministère a poursuivi l’application pleine et entière de la réforme du lycée, entraînant des suppressions de postes d’enseignants et diminuant l’encadrement des élèves.

En effet, la réforme dégrade structurellement les conditions de travail des enseignant·e·s et par ricochet les conditions d’apprentissage des élèves : les dispositifs qui existaient auparavant (heures dédoublées, aide personnalisée, etc.) ont été supprimés et non remplacés dans la grande majorité des lycées. L’enquête de terrain menée par l’Association des professeurs de SES (APSES) à la rentrée 2019 avait permis de constater une diminution très importante du nombre d’heures d’enseignement en effectifs réduits (- 25%) ainsi qu’une augmentation significative de la charge de travail pour les enseignant-e-s, qui dans leur grande majorité doivent suivre davantage d’élèves et de groupes (+ 19%)2.

De même, la nouvelle organisation du cycle terminal, en spécialités au lieu de séries, implique un brassage accru des élèves, avec l’éclatement des classes en spécialités. Ce brassage, déjà peu optimal pédagogiquement – les élèves ne se connaissent pas bien et ne peuvent pas compter sur une dynamique de « groupe classe » -, est encore plus problématique en situation de circulation active d’un virus…

En Terminale, 32 % du bac se jouera en mars 

La réforme du baccalauréat chamboule le calendrier des épreuves alors que la crise sanitaire a fait manquer des apprentissages durant 3 mois et continue de perturber les enseignements avec des absences éparses d’élèves et d’enseignants. Les épreuves de spécialité de Terminale se dérouleront désormais en mars. Ce nouveau calendrier ampute encore la période d’apprentissage des lycéen·n·e·s, ce qui est préjudiciable concernant l’assimilation des méthodes des épreuves comme celle de la dissertation en SES. Pourtant, ces écrits, aux coefficients les plus importants du baccalauréat (32 % de la note finale), seront déterminants pour l’orientation post-bac via l’implacable et opaque algorithme ParcourSup. De même, les modalités de la nouvelle épreuve du Grand oral (10 % de la note finale) restent imprécises, alors qu’aucune heure de cours dédiée n’est prévue dans les emplois du temps pour y préparer les élèves, et qu’aucune formation systématique des enseignant·e·s n’a été mise en place, ce qui nourrit légitimement les inquiétudes des élèves et des familles.

Par ailleurs, passer les épreuves sur 3 jours (15, 16 et 17 mars) ne permettra pas de donner un sujet national dans tous les lycées français, étant donné le nombre important de combinaisons possibles de spécialités. De plus, ces dates laisseront de côté les élèves de l’Académie de la Réunion, encore en période de vacances à cette période.

Enfin, l’aggravation de la situation sanitaire renforce la nécessité de la mise en place de mesures exceptionnelles, sans quoi l’application aveugle de cette réforme aura pour premières victimes les élèves. En attendant sa remise à plat, il est donc nécessaire, dans l’intérêt des élèves, et pour limiter l’aggravation des inégalités de réussite scolaire, d’agir au plus vite afin :

  • d’aménager les programmes scolaires pour les adapter aux horaires d’enseignement,

  • de déplacer les épreuves de spécialité du baccalauréat en fin d’année scolaire,

  • de suspendre l’épreuve du grand Oral pour cette année.

Dans l’espoir que vous pourrez intervenir au sein de la Représentation nationale pour défendre les intérêts des élèves et de leurs familles, soyez assuré.e, Monsieur / Madame le/la Député.e / Sénateur/trice, de notre profond attachement au service public d’éducation nationale.

Benoît Guyon et Solène Pichardie, coprésident·e·s

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