Entrevue APSES –  DGESCO (Le 19-06-19)

Étaient présent.e.s lors de cette entrevue :

  • Pour l’Inspection Générale : M. Marc Pelletier, doyen de l’IG de SES
  • Pour la DGESCO : Rachel-Marie Pradeilles-Duval, cheffe du Service de l’instruction publique et de l’action pédagogique ; Mathieu Montheard, chef du Bureau des formations générales et technologiques ; David Muller, chef du Bureau des contenus d’enseignement et des ressources pédagogiques
  • Pour l’APSES : Benoît Guyon, co-président de l’APSES ; Igor Martinache, co-secrétaire général et Olivier Louail, membre du bureau national

 La rencontre s’est déroulée à la DGESCO le 19 juin 2019 et a duré 1h20. Nos interlocuteurs n’ont pas souhaité valider un compte-rendu avec le détail des interventions.

Cette rencontre s’inscrit dans le cadre de la consultation sur les  projets de programmes de terminale des associations disciplinaires, des syndicats, et des enseignant-e-s de SES. Les programmes seront ensuite votés les 11-12 juillet par le conseil supérieur des programmes. L’objectif de ces consultations porte sur l’ajustement des programmes et aussi sur la préparation des ressources EDUSCOL de mise en œuvre des programmes.

L’APSES rappelle que ce rendez-vous suit l’assemblée générale annuelle de l’association qui réunit plus de 2200 adhérents. Cette AG a été l’occasion d’une réflexion collective sur les projets de programmes, sur les sujets zéro du bac de première, et sur les résultats de la consultation numérique de la DGESCO. Les remontées quotidiennes des adhérent-e-s témoignent d’une forte inquiétude des collègues sur les effets de la réforme du lycée, sur leurs conditions d’exercice et le sens de leur travail, mais aussi sur la refonte des programmes. La situation des SES pour la rentrée prochaine est inquiétante pour nombre de collègues : plus de classes (Seconde, SNT, EMC), pertes fréquentes des dédoublements, pertes d’heures et donc de postes (74 suppressions à la rentrée, d’après les données issues des CTA, sans compter les postes de contractuel-le-s et les BMP). Les programmes de Seconde et Première sont fortement contestés, et il faudra pourtant assurer la préparation à des épreuves de Première.

1/ Consultation sur les programmes de Seconde et Première

L’APSES remercie la DGESCO pour la publication des résultats de la consultation et cette démarche démocratique. Le premier constat est le rejet massif de ces programmes de la part des collègues.

  • Consultation sur le programme de Seconde

L’APSES prend acte des résultats très négatifs concernant le caractère adapté des programmes au niveau des élèves (73% pas du tout ou plutôt pas d’accord) ; l’initiation aux grands enjeux du monde contemporain (72%) ; l’adéquation avec le volume horaire (83%), l’application en classe (80%) ; l’absence de problématique d’ensemble et d’articulation entre les chapitres.

Cela conduit l’association à revendiquer prioritairement un volume horaire en adéquation avec les besoins de formation des élèves, pour un meilleur suivi pédagogique (constat mis en avant notamment dans la pétition initiée par l’association, qui a recueilli 16 000 signatures).

Elle rappelle aussi son opposition aux arbitrages contestables, comme la suppression dans le programme des revenus, des ménages et de la consommation.

  • Consultation sur le programme de Première 

La consultation met en avant les mêmes reproches concernant le programme de Première, avec en plus les problèmes posés par la place disproportionnée de la micro-économie, qui semble inaccessible pour des élèves en début de Première, ou encore par le cloisonnement disciplinaire rigide empêchant l’approche par objet.

L’APSES déplore la très grande technicité de la partie économie du programme, qui relève à son sens d’une logique de spécialisation forte des élèves, ce qui ne lui semble pas être la vocation de la classe de Première. Cela conduit l’APSES à demander une approche par objets d’études (option qui a été choisie dans de nombreux autres programmes : EMC, DGEMC, HGGSP).

2/ Analyse des sujets zéro des épreuves de baccalauréat de Première

  •  Maintien obligatoire de l’épreuve en juin

L’APSES fait part de sa forte inquiétude concernant la date des épreuves finales de spécialité. Si celles-ci devaient avoir lieu avant les vacances de printemps, ce calendrier obérerait complètement la formation des élèves, en limitant l’apport des SES à deux trimestres effectifs. En effet, il existe une très forte probabilité de démobilisation des élèves une fois l’épreuve passée. L’éventuel choix d’une liste limitative de chapitres évaluables au baccalauréat, modifiable chaque année, constituerait un non-sens pédagogique. Cela ferait perdre toute cohérence au programme.

L’APSES souligne que les remarques formulées précédemment s’appuient sur l’expertise de terrain des enseignant-e-s, et de leur bonne connaissance du fonctionnement et des réactions des élèves. Elle souligne le risque que se produise la même chose que ce qui se passe en langue aujourd’hui : après les oraux l’assiduité se réduit considérablement, même si les élèves ont encore une épreuve écrite à passer en juin.

  • Demande de consultation officielle pour les épreuves de Terminale

L’APSES rappelle la nécessité de réaliser un bilan sur les épreuves de baccalauréat actuel. L’APSES tient à la disposition du ministère les éléments d’enquête à partir du contenu des copies de bac, qu’elle a collecté depuis plusieurs années sur les épreuves actuelles.

Elle réaffirme son attachement à la dissertation, avec une place significative accordée aux énoncés-débats  qui induit la nécessité de présenter la diversité des paradigmes théoriques en SES, ce qui va dans le sens de la valorisation du pluralisme théorique revendiqué par l’association.

Elle rappelle la nécessité de repenser l’épreuve composée, de manière à ce qu’elle s’appuie davantage sur une argumentation problématisée, l’analyse de documents et la mobilisation de connaissances et savoir-faire. Pour l’association, l’évolution de la première partie de l’épreuve composée de Première va dans le bon sens à cet égard, puisqu’elle pousse les élèves à mobiliser des connaissances en rapport avec des documents, et pas pour elles-mêmes. De plus, elle rompt avec le formalisme excessif et le caractère descriptif de l’EC2 actuelle. Toutefois, certains points des sujets zéro dénaturent le sens de la discipline : l’introduction d’exercices conduisant à une résolution graphique et mathématique ; le volume horaire non adapté à l’épreuve telle qu’elle est conçue actuellement ; le fait que le raisonnement demandé dans l’épreuve soit uniquement « de l’ordre d’une page », ce qui appauvrit son contenu et le rendra difficilement évaluable ; les formulations des sujets, conduisant à des raisonnements non problématisés.

L’APSES propose donc soit que l’épreuve passe à 3h, soit qu’en 2h, les élèves aient la possibilité de traiter au choix la partie 1 (étoffée) ou la partie 2. Elle estime aussi que dans tous les cas, les sujets doivent permettre de mener des raisonnements problématisés, et sans contrainte de taille. Elle demande également à être officiellement consultée sur les épreuves de terminale, dans le cadre d’un rendez-vous ultérieur.

L’APSES remarque que, pour les élèves, la marche sera très haute pour passer du niveau d’exigences de l’épreuve d’argumentation de Première à celui de la dissertation en Terminale, d’autant plus sans les heures de dédoublement et d’AP pour de nombreux collègues.

Elle précise les points qui posent le plus problème dans ces épreuves : les calculs et les exercices de construction de courbes d’offre et de demande exigés en eux-mêmes, sans être mis au service d’une argumentation. Ils sont faisables par des élèves à l’aise en mathématiques qui n’auraient pas suivi de cours de SES. De plus, il sera très chronophage d’y entraîner les élèves en classe, si l’on veut qu’ils en retirent du sens, ainsi que pour les élèves faibles en mathématiques. Enfin, tous les élèves ne suivant pas la spécialité « mathématiques », cela posera des problèmes d’hétérogénéité de niveau, auxquels il sera très difficile de remédier du fait de la perte des dédoublements.

3/ Programmes de Terminale

  • Nécessité d’allègements du programme

L’APSES insiste sur la nécessité absolue de procéder à des allègements du programme de Terminale. En effet, le temps effectif d’enseignement ne permettra pas de traiter convenablement le projet de programme présenté. Si les épreuves ont lieu en juin, ce programme devrait être mené à bien en 26-27 semaines théoriques de cours. Dans le meilleur des cas, seules deux semaines (12 heures[1]) pourraient être consacrées à un chapitre, évaluations et corrections incluses.

Cela lui semble donc très nettement insuffisant pour assurer une appropriation suffisante des connaissances et de leurs enjeux par les élèves, la préparation méthodologique en vue de l’acquisition des savoir-faire ou de la préparation des épreuves finales du baccalauréat, notamment de la dissertation, et permettre de faire progresser tous les élèves (avec l’hétérogénéité de niveau plus grande, au niveau des mathématiques notamment).

  • Analyse du programme de Terminale et propositions d’amendements.

 L’APSES tient à rappeler l’analyse qu’elle fait des programmes, pour que ses interlocuteurs puissent percevoir la cohérence des amendements qu’elle propose.

Pour l’APSES, ce programme comporte des points positifs :

  • Les thèmes liés aux enjeux économiques et sociaux du monde contemporain sont réintroduits, en accord avec les revendications de l’APSES dans sa proposition de programme (crises financières,  environnement, numérisation et organisation du travail…).
  • On trouve davantage de chapitres problématisés (« Comment lutter contre le chômage ? » par exemple).

L’APSES souligne toutefois une série de problèmes posés par ces programmes :

  • Un cloisonnement disciplinaire trop strict. Par exemple, sur les enjeux de travail et d’emploi, une telle séparation disciplinaire empêche de bien articuler les questions posées dans les deux chapitres. Sur la question de l’environnement, il y a un problème d’articulation entre le chapitre sur la croissance et le regard croisé de fin de programme.

L’APSES rappelle que ce cloisonnement est largement rejeté par la profession. Elle ne comprend pas pourquoi ce virage opéré en 2010 se poursuit ici, alors même qu’il n’a pas donné lieu à l’évaluation de ses effets sur l’acquisition des connaissances et savoir-faire par les élèves et sur les inégalités sociales de réussite scolaire,  qu’il montre des incohérences, et que la logique transdisciplinaire infuse dans de nombreux autres programmes (HGGSP, EMC, DGEMC).

  • Un manque de pluralisme, qui conduit à occulter des points qui font pourtant controverse dans le champ scientifique. Par exemple, dans le chapitre sur la croissance, le programme ne demande pas s’il faut poursuivre la croissance, ou quel type de croissance rechercher. Il présente l’innovation comme seule solution à la problématique environnementale ce qui revient à occulter les perspectives en termes de soutenabilité forte présentes dans le programme actuel. Ceci appauvrit la réflexion et fait reculer le pluralisme théorique. On constate également l’absence de mention d’autres effets négatifs du commerce international que les inégalités intra-pays. Il n y a pas de mention de la réduction du temps de travail comme solution possible au chômage. Dans le chapitre sur l’école, on ne trouve pas de réelle réflexion sur le rôle de l’école dans la reproduction des inégalités.

Par conséquent, l’APSES demande à ce que ces éléments puissent être présentés pour que les élèves aient connaissance des controverses scientifiques sur ces objets. C’est une raison supplémentaire pour diminuer le nombre de chapitres.

  • Une absence de mise en perspective théorique et historique. Les programmes ne mentionnent pas de cadres théoriques ni d’auteurs (à l’exception de Marx et Weber). Ils ne permettent pas, par exemple, de véritable mise en perspective historique sur la croissance ou le commerce international ;
  • Un problème sur la formulation des titres de chapitre, souvent descriptifs et non problématisés. L’exemple le plus flagrant concerne le chapitre : “Quelles inégalités sont compatibles avec les différentes conceptions de la justice sociale ?”. L’APSES suggère en l’espèce de le remplacer par “Inégalités et justice sociale sont-elles compatibles ?” ;
  • La faible part accordée à la science politique.

Les propositions d’amendement de l’APSES cherchent donc à remédier à ces défauts de conception, tout en étant subordonnées à la nécessité absolue de réduire les contenus enseignés, compte tenu du temps imparti. Dans un souci d’allègement des programmes, l’APSES propose des fusions des chapitres (crises financières et Union Européenne ; école et mobilité sociale) et des allègements au niveau des objectifs d’apprentissage. Ces propositions s’appuient sur l’expertise de terrain des membres de l’association.

L’APSES remarque que lorsque les programmes sont rédigés à ce niveau de détails, on rajoute de facto des attendus à l’examen, et on enlève des possibilités de liberté pédagogique permettant aux enseignant-e-s de s’adapter aux spécificités de leurs élèves. Elle insiste à nouveau sur l’inquiétude très forte des collègues vis-à-vis de la lourdeur des programmes.

4/ Les autres programmes (HGGSP, EMC, SNT)

  • Le programme d’HGGSP est abordé. L’APSES signale que le point positif de ce programme concerne le choix d’une approche par objets. Toutefois, elle déplore la présence très discrète des Sciences Economiques et Sociales dans les programmes actuels, ainsi que les redondances et la concurrence que ces programmes peuvent induire avec les programmes de SES (sur le thème des inégalités par exemple). Elle demande donc une réécriture des programmes avec cadrage paritaire Histoire-géographie/SES.

Le label « sciences politiques », présent dans l’intitulé de la spécialité, apparaît trompeur et concurrentiel avec les SES. A défaut d’une réécriture des programmes, il devrait donc être retiré de l’intitulé de cette spécialité.

L’APSES rappelle que la place marginale laissée aux enseignant-e-s de SES dans la spécialité HGGSP nourrit chez les collègues une crainte de dépossession des contenus enseignés.

  • Le programme de SNT en seconde emprunte également aux champs disciplinaires des SES. Pour l’APSES, il y a un problème de barrière à l’entrée sur les contenus liés à la programmation, qui peut freiner les collègues qui souhaiteraient y intervenir, alors que les enseignants de SES sont pleinement compétents pour enseigner la partie sur les usages.
  • Concernant l’EMC, l’association souligne l’intérêt des questions abordées, notamment en Première. Mais ce programme peut donner l’impression aux collègues de se faire déposséder d’une partie des enseignements pour lesquels ils sont formés, puisque les contenus à enseigner relèvent clairement de la sociologie.

[1] Compte tenu des périodes consacrées aux examens du contrôle continu, à la formation des enseignants, aux sorties scolaires, etc.

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