SOS SES (sciences économiques et sociales au lycée), saison 2
La saison 1 de cette série « haro sur les SES », c’était sous Sarkozy. Elle a culminé en 2010 et 2011, mais c’est dès 2008 que Xavier Darcos, nouveau Ministre de l’éducation, devait enfoncer le clou. Quelques mois après la victoire de N. Sarkozy, il fait rédiger deux rapports sur l’enseignement des SES, dont l’un par l’Académie des sciences morales et politiques (ASMP, de fait un lobby patronal, voir l’annexe 1). Ce rapport qualifie l’enseignement des SES « d’inadapté dans ses principes et biaisé dans la présentation, soit en fait néfaste ». Xavier Darcos, pour sa part, multiplie les déclarations hostiles à la série ES, jugée « sans débouché évident », à l’encontre même des données issues des services statistiques de son Ministère, qui montrent la diversité des débouchés et les forts taux de réussite des bacheliers ES dans le supérieur !
J’avais consacré à cette saison 1 trois billets de blog. Le premier, en février 2010, était intitulé SOS SES ! (Sciences Économiques et Sociales). Le second, en mars, portait sur Les experts au chevet des SES en phase terminale. Le troisième enfin, en février 2011, avait pour titre : empêcher les SES de couler.
À l’époque, c’était sérieux mais assurément moins grave que le projet destructeur qui semble se dessiner (nous en saurons plus très bientôt) et que nous parviendrons peut-être à stopper dans les jours et semaines qui viennent. Il n’était question dans la saison 1 ni de réduire aussi fortement l’enseignement des SES au lycée, au point de le limiter à une option, ni de le fracturer en faisant disparaître une filière qui marche. Il s’agissait plutôt d’en réformer le contenu dans un sens voulu par Nicolas Sarkozy, lui-même conseillé par le banquier Michel Pébereau (voir l’annexe 1), omniprésent comme artisan de cette réforme, qui s’était entouré comme il se doit d’un groupe « d’experts » triés sur le volet.
Il y a toutefois des points communs essentiels – autre que Pébereau, Darcos et quelques autres – entre les saisons 1 et 2 : la volonté 1) de séparer l’enseignement de l’économie de celui de la sociologie, 2) de réformer la première dans un sens néolibéral (les marchés, l’entreprise, qui sont certes des sujets importants, mais dont les réformateurs voudraient qu’ils soient traités sur le mode de la pensée unique, et pas comme objets socio-économiques), et 3) de réduire la sociologie à la portion congrue – dans l’idéal à zéro. Les néolibéraux craignent la sociologie parce qu’elle met à jour des choses très sales comme les inégalités, les discriminations, les stéréotypes liés au genre ou les catégories sociales, sans même parler de cette horreur absolue que sont les classes sociales. Ils cherchent donc à la dévaloriser comme « discipline compassionnelle » (adjectif utilisé dans un rapport de l’ASMP), et si possible à l’évincer.
SOUTENIR RÉSOLUMENT L’APSES (association des professeur.e.s de sciences économiques et sociales) ET LES AUTRES ASSOCIATIONS RÉSISTANTES
L’issue est incertaine, car s’il est vrai que les néolibéraux font tout pour pousser leurs pions en espérant qu’avec Macron et Blanquer ils pourront aller bien plus loin qu’avec Sarkozy et Darcos, le tout avec l’appui offensif de leurs alliés de l’ASMP, d’autres avis autorisés ne vont pas les aider. Ainsi, en décembre dernier, le Conseil supérieur des programmes et le Conseil national éducation économie publient un rapport commun qui confirme l’idée d’un enseignement associant étroitement économie et sciences sociales et politiques. Ce rapport ne sera, selon une source bien informée, pas remis directement au ministre, signe qu’il ne le satisfait guère.
Et puis, pour ce combat comme pour d’autres, c’est du côté de la société civile et des associations que se trouvent les forces vives de la résistance à la pensée unique. Parmi ces associations on trouve notamment celles qui ont envoyé le 4 février dernier une lettre au Ministre (voir en annexe 2), dont l’APSES, au site de laquelle j’ai emprunté pour ce billet quelques passages. Je termine par ces extraits d’un texte de l’un de ses membres, texte accessible via ce lien :
Les SES démembrées dans la réforme du lycée ?
Jean-Michel Blanquer va-t-il maintenir les SES « en un seul bloc ou les scinder en différentes disciplines – sciences économiques, sciences politiques, droit… -, et ainsi faire coïncider les disciplines du lycée avec celles de l’enseignement supérieur ? », écrit Les Echos. « Il faut des disciplines permettant à l’université de savoir si les attendus sont au rendez-vous ou pas », décrypte une source bien informée qui se demande toutefois « si le ministre va aller au charbon avec l’APSES, car une césure des sciences économiques et sociales ne se ferait pas sans cris ni heurts ».
La réponse de l’Apses
Pour l’Apses ce démembrement des SES serait un casus belli. Ce prétexte est bien sûr fallacieux. Car « pourquoi vouloir réserver un traitement de faveur aux SES et ne pas proposer, selon la même logique, de séparer l’histoire de la géographie, ou la biologie de la géologie ? », écrit l’Apses. « Le succès non démenti des sciences économiques et sociales depuis plus de 50 ans montre pourtant qu’associer les différentes sciences sociales pour étudier le monde contemporain est une nécessité à la fois pour la formation intellectuelle et citoyenne. Comprendre les débats sur l’emploi et le chômage, sur les entreprises et l’économie de marché, ou encore déconstruire les stéréotypes liés au genre ne peut se faire de manière mono-disciplinaire ».
ANNEXE 1
Sur Michel Pébereau et sur l’Académie des sciences morales et politiques (ASMP)
Michel Pébereau est un ancien président de BNP-Paribas, ancien conseiller de Valéry Giscard d’Estaing, « visiteur du soir » du président Sarkozy. Il a longtemps présidé l’Institut de l’entreprise (IDE), think tank patronal crée en 1975, où il a pratiqué un lobbying forcené pour transformer le contenu des enseignements d’économie au lycée dans un sens plus favorable à l’entreprise conformément à ce qu’il déclarait en 2006 dans une conférence : « Il serait peut-être bon d’effectuer un travail pédagogique de fond sur nos lycéens, comme cela a été fait par les entreprises depuis vingt ans auprès de leurs salariés, afin de les sensibiliser aux contraintes du libéralisme et d’améliorer leur compétitivité, en adhérant au projet de leur entreprise ». Citation plus longue en annexe.
Quant à l’ASMP, c’est en réalité, pour sa section « économie » (liste édifiante des membres ici ), un lobby du MEDEF et des banques, et c’est… Michel Pébereau, membre depuis 2007, qui a présidé l’ASMP en 2017. Son ami Xavier Darcos a été « secrétaire perpétuel » de l’ASMP de 2011 à 2016.
Michel Pébereau en 2006 : « À l’heure où l’on parle d’exception culturelle française et du problème des citoyens à comprendre le fonctionnement des marchés, il serait peut-être bon d’effectuer un travail pédagogique de fond sur nos lycéens, comme cela a été fait par les entreprises depuis 20 ans auprès de leurs salariés, afin de les sensibiliser aux contraintes du libéralisme et d’améliorer leur compétitivité, en adhérant au projet de leur entreprise. Je me positionne donc aujourd’hui devant vous pour un enseignement où la concurrence est la règle du jeu, où la création de richesses est un préalable à la distribution de richesses, et où le marché assure la régulation de l’économie au quotidien. Ce sont des concepts simples, que les jeunes Français doivent apprendre et comprendre, comme sont en train de le faire en ce moment même le milliard de Chinois et le milliard d’Indiens. »
ANNEXE 2
Réforme du baccalauréat et du lycée : lettre au Ministre sur la formation des lycéens en SES, 4 février 2018. La lettre est accessible via ce lien. Je ne reproduis que la liste des signataires :
Association des enseignants et chercheurs en Science politique (AECSP)
Association des professeurs de sciences économiques et sociales (APSES)
Association des professeurs de Sciences économiques et sociales en khâgne et hypokhâgne B/L (APKHKSES)
Association des sociologues enseignant-e-s du supérieur (ASES)
Association française d’économie politique (AFEP)
Association française de sociologie (AFS)
Collectif de défense et de promotion des sciences économiques et sociales (CDP-SES)