A Paris, le 27 janvier 2023

Le bac en mars : un recul pour les acquis des élèves de lycée général et leur préparation à l’enseignement supérieur

Monsieur le Ministre de l’Éducation Nationale,
Madame la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche,

Depuis 3 ans, la réforme du lycée et du baccalauréat, initiée en 2019 par Jean Michel Blanquer, modifie en profondeur les conditions d’apprentissage des élèves, et nous nous inquiétons de ses conséquences sur leur poursuite d’études dans l’enseignement supérieur.

En effet, depuis la réforme, il est prévu que les épreuves écrites de spécialité, comptant pour 32% de la note finale du baccalauréat, se déroulent en mars, et non plus à la mi-juin comme c’était le cas jusqu’ici.

Du fait à la fois de la crise liée au COVID, et des contestations que ce calendrier a suscitées, cette date de mars n’a jusqu’ici jamais pu être mise en œuvre : les épreuves écrites de spécialité de 2020 et 2021 ont été annulées et remplacées par le contrôle continu, et celles de 2022 ont été décalées à la mi-mai. Toutefois, pour cette année, le ministère a tenu à maintenir les épreuves écrites de spécialité du 20 au 22 mars 2023, tout en concédant quelques aménagements cosmétiques dans les programmes, signe d’une prise de conscience de la fragilité de cette position.

En effet, le maintien de ce calendrier suscite l’opposition d’une très large part de la communauté éducative du secondaire (syndicats d’enseignant⋅es, d’inspecteurs⋅trices, de personnel⋅les de direction mais aussi associations disciplinaires). Et pour cause : il modifie structurellement l’organisation de l’année scolaire et dégrade la formation intellectuelle des élèves de terminale.

Les élèves disposent de moins de temps pour s’approprier les méthodes exigeantes des épreuves écrites puisque la préparation aux épreuves s’effectue seulement sur les 2 premiers trimestres. Compte tenu de la lourdeur excessive des programmes, cela signifie devoir transmettre au pas de charge des objectifs d’apprentissage sans permettre aux élèves de se les approprier réellement, et sans pouvoir les entraîner suffisamment aux méthodes de raisonnement et de rédaction. La structure du nouveau lycée, qui met fin au groupe-classe (les cours de spécialités regroupent des élèves venant de classes différentes) empêche également la réalisation de devoirs longs, de plus de 2 heures. Concernant les sciences économiques et sociales, cela signifie moins de formation à la problématisation et à la construction de plans, à l’argumentation structurée, aux savoir-faire statistiques, compétences indispensables à la réussite dans l’enseignement supérieur.

Par ailleurs, cela signifie également sacrifier des pans entiers des programmes. D’une part, si les enseignant⋅es de SES sont censé⋅es continuer à enseigner le programme entre mars et juin, dans les faits il est difficile de mobiliser les élèves après le passage de leurs épreuves écrites « finales ». En effet, ils doivent parallèlement préparer l’épreuve du grand oral qui, pour beaucoup d’élèves, ne portera pas sur les notions enseignées après les épreuves écrites. Les enseignant⋅es ont pu s’en rendre compte l’année dernière après les épreuves du mois de mai : élèves désinvesti⋅es, travaux non rendus, hausse de l’absentéisme…

D’autre part, alors que 7 chapitres sont imposés pour la fin mars, il restera, pour le seul troisième trimestre, 5 chapitres complets à traiter : le programme annuel n’est alors qu’illusion. Selon les années, les chapitres sur le commerce international, les politiques économiques dans l’UE, l’action publique pour l’environnement, l’école, le chômage, le travail et l’emploi, l’engagement politique (seul chapitre identifié « science politique » dans le programme)… passeront donc à la trappe. Face à ces contraintes, il est ainsi à craindre un resserrement de l’enseignement autour de certaines thématiques, de certains auteurs, de certaines méthodes, de certaines théories, de certaines approches disciplinaires… Cela nuit au pluralisme de la pensée nécessaire à la bonne formation des futurs étudiants en SHS, mais également de tout citoyen.

Chaque année, vont arriver dans l’enseignement supérieur des élèves qui maîtriseront moins les contenus et les méthodes, qui auront reçu un enseignement tronqué de thèmes centraux en sciences économiques et sociales, et dont les notes des épreuves de mars refléteront plus les errements du système que leurs aptitudes réelles. Ces notes ont par ailleurs été massivement remontées l’année dernière sans la consultation des correcteur⋅rices, ce qui pose question sur leur robustesse pour évaluer le niveau des élèves pour les établissements de l’enseignement supérieur.

Sur l’ensemble de ces points, nous, associations du secondaire et du supérieur en sciences sociales, considérons que la formation intellectuelle et la préparation au supérieur des élèves s’est retrouvée fragilisée par la réforme du baccalauréat et du lycée.

Par ailleurs, il est à signaler que, dans tous les cas, la prise en compte des notes de baccalauréat dans Parcoursup n’est pas un argument valable pour imposer des épreuves de baccalauréat en mars. Dans de nombreux pays, les procédures d’admission s’opèrent en fin d’année sans apparemment que cela crée des problèmes insurmontables. C’est d’ailleurs ainsi que fonctionnait l’entrée dans l’enseignement supérieur français avant Parcoursup !

Nous vous demandons donc de repenser le calendrier de l’année de Terminale afin de garantir aux élèves, futurs étudiants, une année pleine et entière de formation.

Veuillez, Monsieur le Ministre de l’Éducation, Madame la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, agréer nos salutations les plus respectueuses.

AFEP – Association Française d’Économie Politique
AFS – Association Française de Sociologie
AFSP – Association Française de Science Politique
ASES – Association des Sociologues Enseignants du Supérieur
APSES – Association des Professeurs de Sciences Économiques et Sociales

 

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