Tribune publiée dans Le Monde de l’éducation le 2 décembre 2025

Cette tribune a été rédigée par le Bureau National de l’APSES et co-signée par de nombreuses associations du supérieur impliquées dans le Collège des SES.

A l’heure où les sociétés sont traversées par de multiples crises économiques, sociales, politiques et écologiques, on pourrait s’attendre à ce que l’école forme des citoyennes et des citoyens capables de comprendre ces enjeux à travers une démarche scientifique rigoureuse. Pourtant, le ministère de l’éducation nationale s’apprête à adopter un nouveau référentiel de formation des futurs enseignants de sciences économiques et sociales (SES) qui prend le contrepied de cette ambition. Il entend en effet exclure les débats des salles de classe et réduire l’enseignement à une simple transmission de notions supposément indiscutables.

On peine à y croire, mais le texte affirme noir sur blanc que l’enseignement des SES « n’a pas pour objet la présentation de débats, qu’ils soient de société ou théoriques », et que la participation des élèves à ces débats serait « réductrice » et « facteur de relativisme ». Faut-il comprendre qu’il sera dorénavant demandé aux futurs enseignants de SES d’enseigner les sources de la croissance sans s’interroger sur ses effets sur les inégalités ou l’environnement ? D’étudier l’organisation de nos sociétés sans aborder les débats théoriques entre sociologues sur l’actualité des classes sociales ? D’analyser le commerce international sans clarifier les éléments du débat entre libre-échange et protectionnisme ? Ou encore d’examiner la vie politique contemporaine sans interroger les modes de scrutin ou le rôle des médias et des sondages dans la construction de l’opinion publique ? Ce déni de questions socialement vives est effrayant.

Ce refus du débat va aussi à rebours de ce qu’est la démarche scientifique. Les sciences sociales – comme toutes les sciences – ne se construisent que par la confrontation raisonnée d’hypothèses, par l’examen critique des faits, par la mise en discussion des cadres théoriques et des outils empiriques. La science ne s’impose jamais par dogme, mais par l’argumentation, les preuves, la comparaison. Invisibiliser ces débats conduit dès lors à s’écarter d’une démarche scientifique rigoureuse. Concrètement, à travers ce nouveau référentiel, le ministère demande aux futur⋅es enseignant⋅es de transmettre des « fondamentaux » vidés de leur sens, comme s’ils étaient éternels, indiscutables et anhistoriques.

Un contresens éducatif et démocratique

Depuis la réforme du lycée Blanquer (2019), les programmes de SES se sont déjà rétrécis, autour de la mémorisation de mécanismes, parfois déconnectés du monde réel, sans ancrage dans l’histoire de la pensée et sans réel pluralisme. Le nouveau référentiel franchit une étape supplémentaire en transformant la formation des professeur⋅es non en espace d’apprentissage scientifique et didactique, mais en outil de formatage. Comment présenter les débats théoriques qui structurent nos disciplines si les enseignants ne sont plus formés à les comprendre ? Comment développer l’esprit scientifique et critique des élèves si celui-ci disparaît des objectifs officiels de la discipline ?

L’école ne peut pas être le lieu du déni. Elle doit rester un espace où l’on apprend à analyser, confronter, discuter, douter. A l’heure où les citoyens sont submergés d’informations, où les « fake news » prospèrent et la polarisation informationnelle se renforce, renoncer au débat serait un contresens tant éducatif que démocratique.

Il est urgent de réécrire ce projet de référentiel et, plus largement, de repenser les programmes de SES pour remettre l’esprit critique et la formation du citoyen au cœur des ambitions du lycée.

Signataires : Sophie Bernard et Laurent Willemez, coprésidents de l’Association française de sociologie (AFS), Anne Bory et Fanny Jedlicki, coprésidentes de l’Association des sociologues enseignants du supérieur (ASES), Christophe Jaffrelot, président de l’Association française de science politique (AFSP), Agnès Labrousse et Gaël Plumecocq, coprésidents de l’Association française d’économie politique (AFEP), Emmanuelle Caley et Benjamin Quennesson, coprésidents de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (APSES).

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