« Le Système concessif autoroutier, bien souvent décrié, est en réalité un outil puissant au service de la mobilité et de l’aménagement du territoire. L’exemple de la société Vinci permet d’analyser et d’approfondir le modèle économique de la concession. »

Vous pensez lire le début d’une publicité du groupe de BTP Vinci ?

Et bien non ! Il s’agit d’une étude de cas proposée aux lycéen-ne-s par le site de ressources pédagogiques Melchior. Celui-ci est une émanation du Programme Enseignants-Entreprises, qui s’inscrit dans une convention de partenariat signée entre l’Institut de l’Entreprise et le ministère de l’Éducation nationale. Pour rappel, l’Institut de l’Entreprise se définit comme « une communauté ouverte d’entreprises qui travaille à mieux comprendre et valoriser le rôle de l’entreprise au cœur de la société », et rassemble plus de 120 entreprises multinationales implantées en France. Parmi elles, Deloitte, Vinci, Sanofi ou Sodexo disposent d’un représentant au collège des entreprises de l’organe stratégique qui définit les orientations du Programme Enseignants-Entreprises.

Parmi les activités pédagogiques proposées, on trouve ainsi un document de l’Association Française des Sociétés d’Autoroutes (AFSA) qui affirme que « la privatisation a été une excellente affaire pour l’État », et en contrepoint, un article de presse présentant les fortes hausses des tarifs de péage pour les usagers, mais qui est immédiatement suivi par un graphique de l’AFSA comparant ces augmentations avec celles des tarifs de billets de TGV… Si certaines controverses liées aux concessions autoroutières sont évoquées, c’est d’abord pour proposer un exercice permettant de répondre à la question : « Quels arguments peut-on opposer à ces critiques ? ».

Sous couvert de proposer des activités pédagogiques à destination des lycéen.ne.s, le programme Enseignants-Entreprise se transforme en opération de communication au profit du groupe Vinci. D’ailleurs, il n’est pas étonnant que Pierre Coppey, Directeur général délégué de Vinci et siégeant par ailleurs au Comité stratégique responsable des publications de Melchior, soit chargé de « définir l’orientation des actions menées en fonction des besoins ».

Ce qui était au départ un outil pédagogique devient ainsi la courroie de transmission d’un lobby promouvant les intérêts des grandes entreprises auprès des élèves de lycée.

Autre exemple, une étude de cas proposée sur le thème du climat et de l’environnement s’intitule : « Total : le climat, un enjeu de la stratégie d’entreprise ».

Est-ce bien sérieux de mettre en avant cette entreprise sur ce sujet ? Dès le début du document, apparaît en grand format le logo Total puis, à six reprises, avant chaque exercice, la phrase « Total : le climat, un enjeu pour la stratégie d’entreprise », alors même que seuls deux exercices font mention de ladite stratégie de la firme, l’essentiel du document portant sur les travaux du GIEC, de l’AIE et sur les négociations des États sur le climat. Ainsi, l’entreprise Total apparaît étroitement associée aux initiatives des institutions et des États pour lutter contre le réchauffement climatique, ce qui est pour le moins trompeur.

Dans le sujet type bac proposé, figure un article de presse dans lequel Total est présenté comme un bon élève de la lutte contre le réchauffement climatique comparé à ses concurrents extra-Européens. Le document statistique présente une évolution positive des indicateurs climatiques du groupe Total en se basant sur une source interne à l’entreprise, sans en préciser les conditions méthodologiques de production. Aucun des supports pédagogiques fournis (synthèse, documents) ne comporte d’éléments de critique ou de remise en perspective de cette stratégie d’entreprise.

La contribution que les entreprises peuvent apporter à la gestion des biens collectifs ou à la réduction des émissions de gaz à effets de serre est une question légitime et intéressante pour les élèves. Illustrer les stratégies mises en œuvre par celles-ci en partant d’études de cas peut présenter un intérêt pédagogique. Toutefois, cela suppose de proposer des activités qui ne reprennent pas tels quels les supports de communication de ces mêmes entreprises et qui donnent au contraire aux élèves les outils leur permettant de comprendre les enjeux de ces stratégies ainsi que leurs limites.

L’APSES dénonce ces tentatives répétées d’influence des élèves de sciences économiques et sociales par des lobbies privés peu scrupuleux. L’association s’insurge contre le procédé consistant à promouvoir des supports pédagogiques introduisant des biais majeurs dans l’étude des phénomènes et empêchant de ce fait les élèves d’acquérir une connaissance scientifique de ces sujets, et ce, avec la caution de l’Éducation nationale. En effet, il est pour le moins étrange que le ministère de l’éducation noue un partenariat officiel avec un groupe de pression dont la fonction est de promouvoir les intérêts des grandes entreprises auprès du grand public et des pouvoirs publics. Un tel mélange des genres conduit à confondre l’intérêt des entreprises partenaires et l’intérêt général, comme l’attestent ces deux exemples. Il est incompatible avec le respect de la rigueur scientifique qui doit présider à la mise en œuvre des programmes.

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