Tribune parue dans Le Monde Éducation le 3 décembre 2024

« Les lycéens ne peuvent pas pleinement comprendre les implications du débat sur le budget de l’Etat, alors que ce devrait être une des missions de l’enseignement de SES »

Amandine Oullion, coprésidente de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales

Benjamin Quennesson, coprésident de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales

L’association des professeurs de sciences économiques et sociales déplore, dans une tribune au « Monde », que les programmes actuels ne permettent pas une bonne compréhension du fonctionnement de l’Etat par les lycéens et appelle à les revoir.
Alors que le budget 2025 arrive au Sénat, à la suite de débats animés à l’Assemblée nationale, les programmes de sciences économiques et sociales (SES) au lycée devraient fournir aux futurs citoyens des clés de compréhension sur la fiscalité, le rôle des dépenses publiques, leur impact sur l’activité économique et sur les inégalités. Or, la réforme du lycée de Jean-Michel Blanquer a dégradé la formation scientifique et civique des élèves. Il faut repenser un programme de SES qui éclaire les futurs citoyens sur le rôle, le fonctionnement et le financement de l’Etat.
Densité des programmes et manque de temps : voilà deux obstacles majeurs à la bonne compréhension du fonctionnement de l’Etat par les lycéens. En 2de, l’enseignement des SES est présent dans le tronc commun, mais se limite à une heure et demie par semaine. L’action de l’Etat n’y est alors abordée que sous l’angle de la production, à travers le rôle des administrations publiques.
En 1re, les SES deviennent une spécialité choisie par 40 % des élèves, à raison de quatre heures par semaine. Le programme comporte 12 chapitres, 55 objectifs d’apprentissage et seulement l’un d’entre eux porte en partie sur le budget de l’Etat : avec un programme aussi dense, cette question ne peut être traitée que de façon trop superficielle. Les élèves n’ont pas vraiment le temps pour maîtriser les notions relatives aux finances publiques et comprendre les effets macroéconomiques des politiques budgétaires.
De plus, ce programme catalogue adopte une vision biaisée du rôle de l’Etat en matière de protection sociale, en le présentant comme un acteur parmi d’autres sans insister sur ses spécificités. Ni les enjeux démocratiques ni les questionnements concernant l’efficacité des différents systèmes de protection sociale ne sont explicitement abordés. Les élèves sont alors privés d’une formation pluraliste et exigeante qui pourrait leur permettre de saisir pleinement les tenants et les aboutissants des débats sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Les reculs de la réforme Blanquer
Jusqu’à cette rentrée, les débats sur l’action de l’Etat et son financement étaient abordés en terminale dans le chapitre sur les inégalités et la justice sociale. Mais, pour répondre aux demandes d’allégements justifiées par la lourdeur des programmes, le ministère a décidé, contre l’avis de la profession, de supprimer ce chapitre du périmètre des chapitres évaluables au baccalauréat. Non évalué à l’épreuve écrite en juin, de fait, ce chapitre ne sera pas étudié par une grande majorité des élèves, l’évaluation finale fixant un horizon et conditionnant fortement nos pratiques en classe.
C’est pourtant dans ce chapitre que nous aurions pu, avec davantage de temps, amener les élèves à se questionner sur les débats actuels. Nos élèves de terminale ne pourront plus aborder l’effet redistributif des différents impôts. Ils n’interrogeront plus les choix portant sur les dépenses publiques et leurs effets sur l’activité économique et l’emploi, sur les inégalités, sur la transition écologique. Enfin, ils ne débattront plus des implications du déficit public et de la dette publique ni des différents choix de financement de ce déficit.
Les lycéens ne peuvent donc pas aujourd’hui pleinement comprendre les implications du débat sur le budget de l’Etat, alors que ce devrait être une des missions de notre enseignement et, plus largement, de l’école. Cet exemple, comme d’autres, montre les reculs majeurs dans la formation des élèves engendrés par la réforme Blanquer et par ses aménagements successifs.
L’association des professeurs de sciences économiques et sociales rappelle donc la nécessité d’accorder à l’enseignement des SES une place revalorisée au lycée, notamment en 2de, mais aussi de repenser les programmes, de la 2de à la terminale, de manière à les faire évoluer vers davantage de pluralisme scientifique, et à laisser la place à un traitement problématisé des questions économiques et sociales qui sont essentielles à la formation intellectuelle et citoyenne des lycéennes et lycéens.
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