Formation des enseignants : « Les évolutions envisagées ne semblent pas gages d’une amélioration, et nous apparaissent même faire peser un risque important »
Un collectif d’associations d’enseignants de l’enseignement secondaire et supérieur en science économique et en sciences sociales s’oppose, dans une tribune au « Monde », au projet de réforme des concours et de la formation porté par le gouvernement.
Le Monde, publié le 25/06/2024
Dès cette rentrée 2025, le ministère de l’éducation nationale a décidé unilatéralement de modifier en profondeur le recrutement et la formation des enseignants, en avançant le concours au niveau licence (en 3e année), en créant des écoles normales supérieures du professorat (ENSP) et en présentant de nouvelles épreuves du capes pour la prochaine session.
Associations de l’enseignement secondaire et du supérieur, nous exprimons nos plus vives inquiétudes sur le calendrier et les conditions de mise en place de cette réforme, ainsi que sur les incertitudes qui pèsent sur le contenu de la formation initiale des futurs professeurs de sciences économiques et sociales (SES).
Le positionnement du capes à bac + 3 contre bac + 5 actuellement ne pourra que se traduire par un appauvrissement de la maîtrise des connaissances des enseignants dès lors que la formation post-concours au sein des ENSP n’accordera qu’une place limitée aux enseignements disciplinaires.
La suppression d’un parcours spécifiquement consacré à la préparation aux concours (celle-ci se faisant uniquement par des modules additionnels aux enseignements des licences universitaires existantes) pose par ailleurs un problème spécifique pour les matières pluridisciplinaires comme les sciences économiques et sociales : comment un étudiant en licence d’économie pourra-t-il suffisamment se former en sociologie et science politique, et vice versa ? Quid des profils d’étudiants plus variés en sciences humaines et sociales, qui jusqu’ici pouvaient combler leur retard au cours des deux années de master et nourrissaient aussi les promotions par la diversité de leurs formations et expériences ?
Un moratoire mais pas de statu quo
Si les nouvelles épreuves du capes envisagent un choix par les candidats d’un « domaine majeur » et d’un « domaine mineur » (qui ne compterait que pour moins d’un quart de la note globale) entre « science économique » et « sociologie et science politique », cette modalité ne ferait donc qu’acter la fragilisation des connaissances des lauréats induite par cette absence de préparation spécifique.
Ces nouvelles épreuves sont aussi marquées par la suppression des questions d’épistémologie et d’histoire de la pensée : une telle réduction des exigences et de l’ambition des épreuves ne permettra pas d’évaluer la capacité du candidat ou de la candidate à contextualiser les savoirs et les théories en sciences sociales.
La place, l’organisation et les modalités de ces nouvelles épreuves vont donc davantage cloisonner les disciplines constitutives des sciences économiques et sociales, réduire le vivier des futurs professeurs, et leur ouverture à d’autres sciences humaines et sociales.
A ces problèmes de formation disciplinaire, avant le concours, s’ajoute la grande incertitude concernant le contenu de la formation, après la réussite du concours. L’indication floue renvoyant à des « organismes de formation » ne peut que nous inquiéter, puisqu’elle ne garantit pas d’assise universitaire et ouvre la voie aux organismes privés.
Il ne s’agit pas ici de se prononcer en faveur d’un statu quo, car la situation actuelle n’est pas tenable : les étudiants doivent aujourd’hui mener de front préparation du concours, rédaction d’un mémoire professionnel pour valider leur master et préparation de cours pour les contractuels alternants comme pour les étudiants réalisant des stages de pratique accompagnée. Pour autant, les évolutions envisagées ne semblent pas gages d’une amélioration, et nous apparaissent même faire peser un risque important sur la formation initiale des enseignants de SES.
Ainsi, devant les risques de dégradation du niveau de formation des futurs enseignants, face à un projet de réforme pensé dans la précipitation et sans concertation, nous appelons le ministère à un moratoire sur la mise en œuvre de la réforme de la formation et à ouvrir le dialogue avec les associations disciplinaires du second degré et du supérieur, les organisations syndicales représentatives du personnel du second degré et l’ensemble des acteurs et actrices qui interviennent dans les organismes de formation universitaire des enseignants.
Signataires : François Allisson, président de l’Association Charles Gide pour l’étude de la pensée économique, Sophie Bernard et Cédric Lomba, copresidents de l’Association française de sociologie (AFS), Pierre-Cyrille Hautcœur, président de l’Association française de science économique (AFSE), Christophe Jaffrelot, président de l’Association française de science politique (AFSP), Fanny Jedlicki, présidente de l’Association des sociologues enseignants du supérieur (ASES), Agnès Labrousse et Gaël Plumecocq, coprésidents de l’Association française d’économie politique (AFEP), Amandine Oullion et Benjamin Quennesson, coprésidents de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (APSES).