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Par Bruno Magliulo, publié le

Avez-vous remarqué qu’à chaque fois qu’un Ministre de l’Éducation nationale s’attaque au vaste chantier de la réforme du lycée, il ne manque pas de la justifier par la nécessité de « rééquilibrer les filières » (entre autres objectifs à atteindre) ? En outre, il obtient généralement un assez vaste consensus de principe de la part des « partenaires sociaux ». Alors comment se fait-il que, depuis une bonne quarantaine d’années, à chaque nouvelle réforme du lycée on nous ressert le même argument, ce qui veut dire que l’on fait un constat d’échec sur les précédentes tentatives ? Et y parviendra-t-on enfin par la dernière en date des réformes du lycée français, celle que porte Jean-Michel Blanquer, l’actuel Ministre en charge de l’Education nationale, qui va progressivement être mise en œuvre à compter de la rentrée 2019 ?

1. La question du déséquilibre des filières se pose depuis la réforme du lycée de 1945 :

Longtemps, le lycée français n’a connu qu’une seule filière, héritière du baccalauréat moderne créé en 1808 par Napoléon 1er. C’était un cursus d’études essentiellement composé d’enseignements centrés sur ce qu’on appelait alors « les humanités classiques », donc fortement marqué par les langues de l’antiquité . Il fallut attendre la réforme du lycée de 1945 pour que cette filière unique soit scindée en trois : philosophie, sciences expérimentales et mathématiques. Les débats qui entourèrent cette réforme furent vifs, nombreux étant ceux qui s’opposaient à la création de ce qu’ils considéraient comme étant des « baccalauréats au rabais ».

Par la suite, de réforme en réforme, le nombre des filières augmenta : près de trente après la réforme de 1966/68 (avec la naissance des « baccalauréats de techniciens »), puis environ 120 après la création de la voie professionnelle au milieu des années 1980.

Parallèlement, le nombre annuel des bacheliers explose, passant de 33000 en 1950, à 675.600 en 2018. A tort ou à raison, cette inflation donne à un nombre croissant de familles le sentiment d’une dégradation de la valeur individuelle du baccalauréat, conduisant certaines d’entre elles à rechercher une sorte de « valeur refuge » en poussant leurs enfants à entrer dans la « bonne filière » , de préférence dans un « bon lycée ». Cette logique consumériste procède évidemment de réflexes sociétaux très profonds qui se sont progressivement ancrés dans l’esprit des familles, mais aussi de nombre d’enseignants et cadres de l’Education nationale. Elle a conduit à avoir une vision très hiérarchique des filières des lycées, mais aussi des lycées eux-mêmes. Au sommet de la pyramide : la voie générale, avec la prééminence de la filière S, suivie de la ES, puis de la L. Les baccalauréats de la voie technologique constituent le niveau intermédiaire de cette hiérarchie. Enfin, à la base, on trouve la voie professionnelle, et sa centaine de filières spécialisées, de très inégales réputations.

Sur quoi repose cette hiérarchie des filières, et le déséquilibre qui en résulte ? Certains enseignements sont vus comme étant plus discriminants que d’autres. Ils permettent d’opérer la sélection des « bons élèves ». Ces disciplines discriminantes n’ont pas toujours été les mêmes. Ce fut longtemps le latin et le grec classique, si bien que jusqu’aux années 1960/1970, le baccalauréat philosophie fut mieux considéré que ceux de mathématiques et sciences expérimentales. Par la suite, les humanités classiques ayant été reléguées au second plan, ce sont les mathématiques que se sont imposées en tant que discipline principale permettant la sélection des élèves. Or, c’est en filière scientifique générale qu’on trouve la plus grande concentration de ce type d’enseignements. De ce fait, de plus en plus nombreux sont ceux qui considèrent que c’est en préparant le bac S qu’on peut le mieux se protéger de la dévalorisation globale du baccalauréat, et maximiser ses chances de parvenir à intégrer les meilleures formations supérieures, et y réussir. Ainsi, la fonction première de la filière S n’est pas de susciter de nombreuses vocations scientifiques, mais de doter une bonne part de ceux qui bénéficient d’un tel parcours, du très solide bagage mathématiques censé leur ouvrir les bonnes portes de l’enseignement supérieur, et de la plupart des hautes carrières…scientifiques et autres.

2. La filière S : cible principale apparente

L’idée s’est donc progressivement installée dans l’esprit des familles, de la nécessité de passer par la filière S, même si on n’a pas une vocation scientifique affirmée, dans le souci premier de se doter d’une solide aptitude aux mathématiques et de pouvoir afficher ce baccalauréat dans son C.V.

Il en résulte logiquement l’idée que, pour bien s’attaquer au problème de la hiérarchisation des filières, il convient de réduire l’attractivité de la filière S. Or, ce discours s’accompagne d’un autre qui dit que notre filière S est … insuffisamment scientifique, et ne permet pas de susciter en France suffisamment de vocations pour des études supérieures et des professions véritablement scientifiques. Il est vrai que les enseignements proprement scientifiques (hors mathématiques), y sont minoritaires, la majeure partie étant composée d’enseignements de nature plutôt littéraire (français, philosophie, langues, histoire-géographie …). Pour reprendre un propos exprimé récemment par Alain Boissinot, ancien directeur des lycées et collèges au Ministère, et ancien recteur, dans un article mis en ligne le 3 juillet 2018 sur le site « Campus/Le Monde » : « nous voulions créer une filière pour de futurs étudiants en sciences, et nous en avons fait un modèle de bac « attrape-tout » « . Et d’ajouter que la filière S est « socialement élitiste », ce qui explique sa forte attractivité aux yeux de certaines familles soucieuses de protéger leur(s) enfant(s) du risque de n’obtenir qu’un bac sans grande valeur.

En réalité, il n’a jamais été sérieusement question de réduire l’attraction exercée par la filière S, mais d’en faire une filière véritablement scientifique, suscitant plus de vocations pour des études supérieures scientifiques qu’aujourd’hui. A cet égard, il faut souligner que les bacheliers S ne sont en France que 55% à opter pour des études supérieures spécifiquement scientifiques, alors que c’est le cas pour 75% en moyenne des bacheliers scientifiques de l’Union européenne.

Qu’en sera-t-il dans le cadre du nouveau lycée qui va progressivement se mettre en place entre 2019 et 2021 ? A première vue, le Ministre semble avoir pris le problème à bras le corps : pour résoudre le problème de la hiérarchisation excessive des filières générales, il les supprime purement et simplement ! Contrairement à ses prédécesseurs, Jean-Michel Blanquer, s’inscrit donc dans une toute autre logique : en fusionnant les actuelles filières S, ES et L, il donne le sentiment d’avoir trouvé la bonne formule. Cependant, rien n’est moins sur car le cursus général unique qui va se mettre en place permettra à certains de reconstituer un équivalent de la « filière S » par les choix des enseignements de spécialité et de certaines options. Rappelons que cette nouvelle filière générale proposera un tronc commun (18 heures par semaine) ne comprenant aucun enseignement de mathématiques, et deux heures d’enseignement scientifique mêlant SVT et physique-chimie. Les élèves devront en outre opter pour trois enseignements de spécialité à raison de quatre heures chacun par semaine (en entrant en première), puis deux en classe terminale (six heures hebdomadaires chacun) à choisir parmi les trois de classe de première. Or, parmi les enseignements de spécialité au choix, figurent les mathématiques, les sciences de l’ingénieur, numérique et sciences informatiques, la physique-chimie, les sciences de la vie et de la Terre. Il y a donc de quoi reconstituer un profil « maths/sciences ». Bien plus, dans la liste des enseignements optionnels facultatifs, il est proposé en terminale un enseignement de « mathématiques expertes » à raison de trois heures par semaine, strictement réservé aux élèves qui choisissent la spécialité mathématiques. Ainsi, il y aura possibilité de suivre un cursus d’études secondaires comprenant neuf heures par semaine de mathématiques à haut niveau, plus six heures d’un enseignement scientifique au choix, s’ajoutant aux deux heures d’enseignement scientifique du tronc commun : en tout, jusqu’à 17 h par semaine. On a donc bien créé la possibilité de s’inscrire dans une filière nettement plus « maths/sciences » que dans la filière S actuelle. C’est tout le contraire d’une diminution de l’attractivité de la filière S ! En outre, Jean-Michel Blanquer pourrait avoir réussi à créer la filière véritablement scientifique qui faisait défaut jusqu’ici.

Si on avait réellement voulu diminuer l’attractivité de la filière S, on aurait évité de proposer un tel enseignement de mathématiques expertes aux seuls élèves ayant opté pour la spécialité mathématiques. En outre, pourquoi ne propose-t-on pas, dans un réel souci de rééquilibrage, des options telles que « sciences économiques et sociales expertes », « anglais expert », « histoire-géographie experte », « sciences et technologies des laboratoires expertes »… ?

3. La cible réelle : la filière ES…

La filière ES, créée en 1966 sous le nom de « filière B », a ouvert le lycée français à ce qu’il est convenu de nommer « la troisième culture », celle de la connaissance des sociétés contemporaines dans leurs dimensions économique, sociale et politique. Pour cela, on inventa une nouvelle discipline d’enseignement secondaire : les sciences économiques et sociales, caractérisées par une volonté de décloisonner des champs de connaissance que les universitaires considéraient alors majoritairement comme devant être séparés. En y ajoutant « un enseignement solide de l’instrument nécessaire à ces disciplines : les mathématiques et statistiques » (ces propos furent tenus par Christian Fouchet, alors Ministre de l’Education nationale, dans un discours de présentation de la nouvelle filière, à l’Assemblée Ntaionale, le 18 mars 1965), mais aussi le français, la philosophie, l’histoire-géographie et les langues vivantes, on constituait une filière nouvelle, tournée sur l’étude et l’analyse des questions relatives au monde contemporain.

Très vite, cette nouvelle filière rencontra un important succès auprès d’un nombre croissant de familles. Ses effectifs n’ont jamais cessé d’augmenter, en valeur relative (part des élèves de la filière ES dans l’ensemble des élèves du lycée), comme en valeur absolue (nombre de candidats au baccalauréat B/ES depuis la réforme de 1998). Au nombre de près de 10000 en 1969, représentant 13% des effectif globaux des diverses classes terminales générales et technologiques, les élèves qui optent pour cette filière passèrent à 86000 (17,5%) en 1988, près de 101000 (21,5%) en 2008, et 120000 (24%) en 2017.

Or, dans le même temps, les effectifs de la filière littéraire connurent une chute spectaculaire qui continue de nos jours : alors qu’ils représentaient 50% des élèves de classe terminale en 1968, les littéraires n’étaient plus que 18% en 1993, et 11% en 2017.

Une telle double évolution (forte croissance des effectifs de la filière ES, déclin régulier de ceux de la filière L), n’a pas manqué de conduire certains à accuser la première d’être à l’origine, par son succès, de la perte d’attraction de la seconde. C’est ce que suggèrent les Inspecteurs généraux co-auteurs d’un rapport officiel en date de juillet 2006 (« Evaluation des mesures prises pour revaloriser la filière littéraire au lycée », Rapport N° 2006-044), qui écrivent : « la série littéraire, qui représentait 50% des élèves de filières générales en 1968, est passée à 18% en 2005, tandis que la série ES progressait de 10% à 32% ». Depuis, ces tendances se confirmant, le discours affirmant que la croissance des effectifs en ES est la cause principale de l’effondrement de ceux de la série L s’est répandu, faisant de la filière ES une sorte de bouc émissaire.

Cette façon de voir les choses passe à côté du fait qu’ il existe plusieurs facteurs internes à la filière L qui expliquent fondamentalement cette importante perte d’attractivité, sans qu’il soit pour cela besoin de tout mettre sur le dos de la filière ES et de son succès croissant. Dans le rapport pré cité, les Inspecteurs généraux le reconnaissent en évoquant cinq facteurs qui seraient à l’origine de la réduction des effectifs en filière littéraire :

  • « L’accès à l’enseignement supérieur est plus difficile pour les bacheliers L (que pour les bacheliers ES et S) »
  • « Le succès des bacheliers L dans l’enseignement supérieur y est plus rare (que pour les bacheliers ES et S) »
  • « Les perspectives d’insertion professionnelle s’avèrent plus limitées pour les bacheliers L (que pour les ES et S) »
  • « L’image médiocre de la filière (qui résulte des trois constats précédents) provoque son déclin »
  • Une « erreur historique » s’est produite lors de la réforme du lycée de 1994, en supprimant l’enseignement obligatoire de mathématiques, pour le remplacer par un enseignement optionnel. De ce fait, la part des bacheliers L n’ayant pas suivi d’enseignement de mathématiques a fortement augmenté, ce qui a contribué à la réduction des possibilités de débouchés dans l’enseignement supérieur et au déclin de son image.

Bien que la preuve soit faite que le déclin de la filière L procède de puissants facteurs internes, et ne doivent qu’en petite partie au succès de la filière ES, de plus en plus nombreux sont ceux qui font de la filière ES la principale responsable du déclin de la filière L. Dès lors, ce qui est visé, c’est de réduire l’attractivité de la filière ES, et si possible de donner l’ « envie du baccalaurat L » à un plus grand nombre d’élèves. Force est de constater que jusqu’à ce jour, on n’y est pas parvenu. Cela est fort compréhensible car la hiérarchisation des filières découle de tendances sociales lourdes et profondes tels le déclin de la culture littéraire traditionnelle, l’engouement croissant pour les questions d’actualité économiques, politiques et sociales… Autrement dit, le rééquilibrage des filières ne se décrète pas, et c’est ce que semble avoir compris l’actuel Ministre en fondant sa réforme du lycée sur une toute autre logique : puisqu’on ne parviendra pas à rééquilibrer les filières de l’enseignement général… supprimons les en les fondant en une filière générale unique.

Cependant, comme nous avons pu le mettre en évidence concernant le profil scientifique, il est clair que les élèves qui le voudront pourront reconstituer des parcours de type L ou ES par le choix des enseignements de spécialité. Il y a par exemple fort à parier que, compte tenu du fait que les mathématiques sont, dans le système éducatif français, la matière discriminante et donc sélective par excellence, la plupart des élèves qui opteront pour l’enseignement de spécialité de sciences économiques et sociales choisiront d’ajouter les mathématiques. Et rien n’interdira à un pur littéraire d’opter pour la combinaison « littérature et langues et civilisations de l’antiquité » plus « humanités, littérature et philosophie » s’il le souhaite. Le nouveau lycée offre bel et bien la possibilité de reconstituer les filières pré existantes, mais aussi de se doter de nouveaux profils qui ne correspondent pas aux actuelles filières : par exemple, une combinaison de type « sciences économiques et sociales + sciences de la vie et de la Terre », qui n’est pas possible dans le lycée d’aujourd’hui, deviendra possible dans le lycée de demain. De fait, cette réforme semble moins viser un véritable rééquilibrage des filières actuelles, que d’en augmenter le nombre par le choix désormais offert de combinaisons d’enseignements de spécialité qui n’existaient pas jusque là… sous réserve cependant des moyens dont disposeront les établissements.

4. … Et son enseignement emblématique : les sciences économiques et sociales.

Diverses études sur les facteurs explicatifs du succès de la filière ES mettent en avant un élément très fort : l’intérêt des élèves et de nombre de leurs parents pour les contenus et méthodes de l’enseignement des sciences économiques et sociales, un enseignement qui, hormis en classe de seconde, est spécifique à la filière ES. Dès lors, il est clair que si pour rééquilibrer les flux d’orientation post classe de seconde on se propose de réduire l’attraction du cursus qui conduit au baccalauréat ES, alors il convient de s’attaquer à l’enseignement des sciences économiques et sociales lui-même. Et force est de constater que depuis sa naissance, il y a un peu plus de cinquante ans, cet enseignement n’a pas manqué d’être très fréquemment attaqué.

Ce fut d’abord la bataille qui entoura (et entoure encore, mais de façon moins vive) la conception même de cet enseignement. Rappelons que ses fondateurs, fortement inspirés par l’ « Ecole des Annales », étaient convaincus de la nécessité d’intégrer dans un corpus unique des savoirs multiples : économie, sociologie, psychologie sociale, démographie, sciences politiques… tous domaines qui, à l’université, ont longtemps été abordés en tant que spécialités séparées les unes des autres. Cette conception unitaire d’un enseignement intégrant ces diverses disciplines académiques a fréquemment suscité des réserves, voire de vives oppositions, de la part de certains universitaires opposés à cette conception de cet enseignement, notamment de la part de ceux de sciences économiques. Très vif durant la phase de gestation de l’enseignement des sciences économiques et sociales au début des années 1960, puis pendant une trentaine d’années, ce débat s’est progressivement estompé, mais il n’a pas totalement disparu, bien que, dans le monde universitaire, on ait progressivement assisté à l’émergence de formations de premier cycle imitées du modèle « SES » (les licences d’ administration économiques et sociales, les licences de sciences économiques et sociales …). Ces opposants ont parfois trouvé des relais à l’intérieur même du système d ‘enseignement secondaire. Le recteur Boissinot, ancien Directeur des lycées et collèges au Ministère de l’Education nationale, n’a-t-il pas un jour déclaré publiquement que « les sciences économiques et sociales sont une erreur génétique » ?

Plus récemment, toute une série d’attaques sont venues s’ajouter aux précédentes, émanant principalement d’organes patronaux (notamment le MEDEF et ses organes de presse relais), mettant en cause des programmes et un état d’esprit qu’ils considèrent comme étant marqué par une idéologie « gauchiste ». Dans leur ligne de mire : la trop faible part à leurs yeux de l’entreprise et de la fonction entrepreneuriale dans ses programmes, une discipline qui ne valoriserait pas assez l’économie de marché et ferait une part trop grande au courant de pensée keynésien et à la régulation par la puissance publique, et la présence d’un volet « social » qui devrait être atténué voire supprimé… Ces « travers » se retrouvant dans la plupart des manuels scolaires, ils en ont parfois appelé à un plus grand contrôle de leur contenu. Ces attaques et critiques participent manifestement de cette volonté de réduire l’attractivité de la filière ES en général, de l’enseignement des sciences économiques et sociales en particulier. Ces opposants vont parfois jusqu’à dire que la « bonne façon » de former les lycéens est celle qui est portée par l’enseignement d’ « économie/gestion » proposé aux élèves de la filières ex G (devenue STT, puis STG et STMG aujourd’hui).

Phénomène relativement rare dans notre système éducatif : jusqu’au début des années 1990, une grande convergence de vues existait entre la toute jeune Inspection générale des sciences économiques et sociales dirigée par Guy Palmade, père fondateur des SES, et le corps des enseignants de cette discipline, avec pour fer de lance l’association des professeurs de SES (l’APSES). Chaque fois qu’une attaque anti SES se déclencha, la solidarité objective entre ces deux instances permit de contrer les attaques et de maintenir l’esprit originel de cet enseignement. Par la suite, le nombre des professeurs de SES augmenta fortement (ils étaient 500 en 1972, plus de 6000 aujourd’hui), et cet ensemble de professeurs se montra de moins en moins unanime sur la conception qu’ils ont de cet enseignement. De son côté, après la disparition des « pères fondateurs », l’Inspection générale de sciences économiques et sociales rentra dans le rang, se montrant de moins en moins en phase avec les actions défensives des professeurs, et se rapprochant des vues critiques que nous venons de présenter.  On assista donc à diverses inflexions des programmes et objectifs qui écornèrent quelque peu les grands principes qui avaient conduit à la création de cet enseignement, mais sans pour autant parvenir à en entamer profondément ses fondements originels, et donc ce qui a jusqu’ici permis le succès de cet enseignement auprès des élèves qui en bénéficient.

Conclusion :

En France, lorsqu’on pose la question du rééquilibrage des filières, le plus souvent on centre le sujet sur les seules filières de l’enseignement général. Mais la question se pose aussi à propos de la revalorisation de l’enseignement technologique, et plus encore de l’enseignement professionnel, dont les filières souffrent depuis fort longtemps d’un manque d’attractivité au profit des filières générales.

Concernant la voie technologique, le Ministre a longtemps hésité : ne devait-on pas étendre aux filières technologiques le principe de la filière unique, qui se serait appelée « filière générale et technologique » ? Outre les enseignements du tronc commun qu’il aurait alors fallu remodeler, on aurait eu, parmi les enseignements de spécialité à horaires lourds, la possibilité de choisir une combinaison de type « enseignement général + enseignement technologique », par exemple : « sciences economiques et sociales + économie/gestion » ou « sciences de la vie et de la Terre + sciences médico sociales »… On y a (hélas selon nous) renoncé, et sommes de ce fait passé à côté d’une possibilité de revaloriser la voie technologique qui en a besoin, et se retrouve à nouveau dans une sorte d’ « entre deux » qui maintient le lourd problème d’identité qui la caractérise et ternit son image.

Par contre, la réforme annoncée de la voie professionnelle, qui doit être rapprochée de celle de l’apprentissage, donne le sentiment d’une ambitieuse volonté de rendre ce type de formation plus attractif qu’aujourd’hui. Sans entrer dans les détails de la réforme du lycée professionnel (nous renvoyons le lecteur intéressé à un autre article que j’ai rédigé sur Linkedin : « La réforme du lycée professionnel : d’indéniable avancées, mais aurait pu mieux faire »), notons que plusieurs mesures (le recentrage de l’offre de formation sur des spécialités à fort potentiel de recrutement , la décision de permettre une spécialisation professionnelle plus progressive qu’aujourd’hui en ramenant la centaine de spécialités des secondes pros actuelles à une quinzaine de familles de métiers, la constitution d’ un vaste réseau national de campus des métiers, une amélioration significative des conditions financières et matérielles de l’apprentissage…), permettent d’espérer que la voie professionnelle secondaire soit désormais plus attractive qu’elle ne l’était jusque là.

Bruno Magliulo

Inspecteur d’académie honoraire

Auteur, dans la collection L’Etudiant, de « Que faire avec un Bac ES ? » … un livre dont je suis fier de fêter cette année la quarantième édition, la dernière hélas puisque la filière ES va disparaître progressivement.

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