Une prof de l’Essonne accusée de « propagande politique », ses soutiens défendent « la liberté pédagogique »
Le Parisien, 5 mars 2025, par Nolwenn Cosson
Bonnet sur la tête, Marie (le prénom a été modifié) écoute, en retrait, les différentes interventions devant le lycée Marie-Laurencin de Mennecy (Essonne). C’est pour cette jeune enseignante, tout juste titulaire, qu’enseignants, parents d’élèves, syndicats, élus et même quelques élèves se sont réunis ce lundi en fin de journée. Pour lui apporter leur « soutien ». Mais aussi pour défendre « la
liberté
pédagogique
».
Le 12 février dernier, le nom de cette professeure a été cité lors d’une commission des affaires culturelles portant sur l’enseignement scolaire en présence de la ministre de l’Éducation, Élisabeth Borne. Lors des questions des représentants des groupes, la députée (LR) de Corrèze Frédérique Meunier revient sur la lettre adressée par la mère d’une élève de seconde au recteur de l’académie de Versailles (Yvelines).
Une vidéo diffusée en cours
Cette dernière relate que, lors d’un cours d’enseignement moral et civique, cette professeure de sciences économiques et sociales a diffusé une vidéo du politologue et chroniqueur Clément Viktorovitch, qui enseigne la négociation et la rhétorique à Sciences-po Paris. « Cette vidéo explique de façon assez simple et rapide que M. Retailleau est le pire ministre de la Ve République, lit la députée, qui a eu la mère de famille en question au téléphone. Et qu’il a une doctrine fasciste.»
Selon la mère, l’enseignante « a utilisé cette vidéo comme propagande politique afin d’essayer de modeler les enfants présents et leurs futures idées politiques ». Pire encore, elle aurait, lors de ce même cours, défendu Dahbia B., mise en examen pour le meurtre et le viol de la petite Lola, en octobre 2022.
« Elle a expliqué que même un OQTF (obligation de quitter le territoire français) avait le droit à la légitime défense », indique la députée. Et que, étant « psychologiquement dérangée », « ce n’était pas de sa faute si elle en était venue à tuer ». S’adressant à la ministre, la députée conclut : « C’est comme cela qu’on élève le niveau des enfants et des élèves ? Qu’allez-vous faire ? »
« J’ai été un peu trop vite »
Si le nom de l’enseignante a depuis été bipée dans la vidéo disponible sur le site Internet de l’Assemblée générale, il a avant cela largement circulé. Dans le lycée en particulier. « Tout le monde l’a partagée, assurent trois élèves de terminale. Nous sommes très perturbés par cette dénonciation publique. Accuser ainsi de propagande politique un personnel de l’Éducation nationale est choquant. C’est, pour nous, de la censure politique. Comment peut-on avoir une vraie idée du monde si on nous dissimule certains thèmes, surtout dans ce cours-là ? »
Les faits remontent au 26 novembre 2024. Ce jour-là, Marie souhaite faire cours sur l’État de droit. « Pour tenter de leur faire comprendre le concept, et les enjeux de sa remise en cause, j’ai utilisé cette vidéo qui décrypte des propos tenus par Bruno Retailleau, explique Marie. Je reconnais que j’ai été un peu trop vite, je me suis rendu compte que ce n’était pas adapté à des secondes. Pour parler de l’égalité devant la loi, j’ai pris l’exemple de cette femme car le meurtre de Lola avait été très médiatisé. Je me suis dit que ce serait plus concret pour parler aux élèves. »
À la fin du cours, une élève vient la trouver. « Elle m’a expliqué qu’elle avait été choquée que j’exprime mes opinions politiques, se souvient-elle. J’ai été très surprise et je lui ai demandé pourquoi elle n’était pas intervenue pendant le cours, que cela aurait été intéressant d’échanger sur son ressenti. »
Il y a eu « clarification », selon le rectorat
Quelques jours plus tard, Marie est reçue par la cheffe d’établissement, alertée par la mère de famille. Puis, ensemble, elles reçoivent cette dernière. « Au cours de cet échange, il a été évoqué le fait que certaines formulations ont pu prêter à confusion, ce qui a donné lieu à une clarification, indique le rectorat. La professeure a exprimé sa volonté de veiller à une présentation
pédagogique plus précise et contextualisée à l’avenir. »
Les jours passent. Jusqu’à l’intervention de la députée. « En tant qu’élue, elle doit prendre la mesure de ce genre d’actions. Elle connaît le contexte de dangerosité de rendre publique ce type d’information. Cela m’a provoqué beaucoup de stress et affecté mon entourage. Heureusement, je ne suis pas sur les réseaux sociaux. »
Des professeurs du lycée se disent aussi « choqués ». Dans un courrier adressé dès le 14 février à la ministre, et signé par 54 enseignants, ils condamnent « ces accusations infamantes qui portent atteinte à la libertépédagogiqueainsi que le fait de jeter en pâture le nom d’une collègue et celui de l’établissement ». Ce dernier, comme le nom de la mère de famille, n’ont, quant à eux, pas été bipés dans la vidéo.
Une plainte contre la députée ?
« Nous dénonçons le fait que de simples accusations – mensongères – de la part d’un parent d’élève puissent donner lieu à une polémique politicienne d’ampleur nationale et à une déferlante de commentaires sur les réseaux sociaux, rappelant le mécanisme ayant mené à l’assassinat de Samuel Paty », écrivent-ils. Ces signataires ont exercé leur droit de retrait « inquiets des possibles attaques que cet emballement pourrait provoquer, dans la lignée des professeurs agressés ou assassinés en cette période troublée. »
Selon eux, « la recrudescence actuelle, en Essonne, des interventions de parents dénonçant un prosélytisme politique imaginaire appelle à une réaction la plus rapide possible de la part des autorités académiques ». C’est pourquoi ils attendent aujourd’hui de la ministre qu’elle porte plainte contre cette députée.
Quant à Marie, qui a le statut de remplaçante, elle exerce depuis ce lundi dans un autre département. « C’était prévu avant cette affaire. Mais c’est à plus d’une heure de chez moi, regrette-t-elle. Et je ne suis pas remplacée à Mennecy. »