Communiqué de presse : Un Grand Oral élitiste et socialement discriminant

L’épreuve de Grand Oral « n’est pas conçue pour faire échouer les élèves »[1] et « ne sera pas discriminant[e] socialement » déclarait JM Blanquer à 20 minutes le 14 février dernier…

Vraiment ? Alors que les familles et les enseignant.e.s n’ont que des informations partielles sur cette nouvelle épreuve censée être préparée en deux ans, et qu’à la mi-septembre, la seule source d’information officielle sur les modalités concrètes de réalisation de cet oral est une fiche Eduscol qui renvoie à un « magistère d’autoformation » en ligne qui serait disponible « en octobre », nous exprimons les plus vives craintes concernant la première session et les plus grandes critiques pour les suivantes.

L’APSES (Association des Professeurs de SES) est convaincue de l’importance de l’oral dans la formation des lycéen·ne·s, mais ce « Grand Oral », tel qu’il est prévu à partir de juin 2021, est une machine à piéger les élèves et à accroître les inégalités sociales de réussite scolaire.

Que dit le texte officiel ? Une préparation de 20 minutes, suivie d’une présentation de 20 minutes répartie en trois temps : 5 minutes de présentation sur une des deux questions que le candidat aura élaborées au cours de l’année en lien avec ses deux spécialités, 10 minutes d’échanges, puis 5 minutes sur le projet d’orientation du candidat.

Pas de temps prévu pour préparer ce Grand Oral

Les candidat·e·s sont censé·e·s avoir travaillé pendant l’année les questions avec leurs professeur·e·s, mais aucun temps n’est prévu dans les grilles horaires du nouveau lycée pour cela. Les enseignant·e·s devront donc « préparer » leurs élèves pendant les heures de cours, parallèlement à la préparation aux épreuves écrites qui auront lieu au mois de mars et à l’enseignement de programmes extrêmement volumineux, le plus souvent sans dédoublement. Dans ces conditions, il n’est pas envisageable de développer des pédagogies actives pour amener tous les élèves à maîtriser les techniques de l’oral, et à développer leur autonomie… Pourtant, ces éléments seront évalués par une note coefficient 10 (autant que les écrits et oraux de français réunis).

Pas de véritable évaluation des connaissances

Le jury est censé « valoriser la solidité des connaissances du candidat », mais comment peut-il le faire puisqu’il n’y a pas obligation à avoir des professeur·e·s des deux spécialités choisies par l’élève ? Par ailleurs, comment les candidat·e·s pourront-ils et elles mettre en avant leurs connaissances et leurs capacités d’argumentation en seulement 5 minutes ? Quand ce ne sont pas les connaissances qui sont valorisées, cela laisse la place à l’évaluation de comportements, d’attitudes corporelles, d’aptitudes langagières qui sont répartis de manière très inégale selon les milieux sociaux. Nos élèves, qui étudient en SES les effets de la socialisation sur la réussite scolaire le savent bien, le Ministre ne peut l’ignorer !

Une épreuve socialement discriminante

Dans ces conditions, en l’absence de véritables moyens pour préparer les élèves dans les lycées, cette épreuve sera très discriminante socialement, car la capacité à prendre la parole « de façon claire et convaincante » comme le demande le texte officiel est inégalement distribuée selon le milieu social[2]. Cette aisance, cette maîtrise de l’oral, va de soi pour certain·e·s lycéen·ne·s, qui l’ont appris dans leurs familles dès le plus jeune âge, mais pour d’autres, elle ne peut qu’être acquise à l’école à condition de lui en donner les moyens, ce qui n’est pas le cas dans ce nouveau lycée. Les élèves qui n’y parviendront pas seront sanctionné·e·s par le verdict scolaire.

Le 3e temps du Grand Oral, qui porte sur le projet d’orientation du candidat, est lui aussi scandaleusement discriminant : le/la candidat·e doit parler de ses « rencontres, engagements, stages, mobilité internationale », etc. Or, la capacité à trouver des stages est très dépendante du réseau social des parents, et donc de leur milieu professionnel et social, comme le montrent déjà très bien les stages de 3e. Quel·le·s élèves pourront valoriser les « stages à l’étranger » et présenter, dès la Terminale, des preuves de leur « mobilité internationale » ? Comment des critères d’évaluation aussi marqués socialement ont-ils pu être intégrés dans le texte sur le Grand Oral sans que personne ne s’en émeuve ?

Plus généralement, comment évaluer un « projet d’orientation » ? Sur quels critères ? Y aurait-il pour notre ministère des bonnes et des mauvaises orientations ? Les élèves, déjà angoissé·e·s et trié·e·s par Parcoursup, le seront donc aussi par ce Grand Oral.

Ainsi, ce « Grand oral » a tout d’un concours d’éloquence, sans toutefois préparer les élèves ni former les enseignants. Pour faire d’un oral une véritable épreuve formatrice, émancipatrice, et juste, l’APSES demande :

– qu’un temps de préparation à ce grand oral lui soit accordé tout au long du cycle terminal, en dehors des horaires attribués aux disciplines de spécialité (comme c’était le cas jusqu’à présent pour les TPE[3]), avec des dédoublements afin de privilégier les travaux de groupe et les approches empiriques.

– une véritable formation des enseignant·e·s à la didactique de l’oral.

– que les critères et conditions d’évaluation de cette épreuve soient explicites, définis nationalement et ne soient pas socialement discriminants.

– la suppression des 5 minutes de questions sur le projet d’orientation.

– l’augmentation du temps consacré à la présentation du sujet.

– l’autorisation de notes ou d’un support de présentation préparé en amont par les élèves et permettant entre autres de présenter des infographies, données, citations, etc.

– que le jury soit obligatoirement composé d’enseignant·e·s des deux enseignements de spécialité.

L’APSES rappelle aussi que tout changement des épreuves de baccalauréat devrait être précédé d’un véritable bilan et d’une véritable concertation sur leur refonte, ce qui n’a pas été le cas dans la mise en place de cette réforme du bac et du lycée.

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