Courrier téléchargeable en PDF
A Paris, le 29 février 2024
Madame la Ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse,
Enseignant·es de Sciences Économiques et Sociales, nous constatons le choix qui a été fait de nous mettre dans l’impossibilité de préparer d’une manière satisfaisante nos élèves au baccalauréat 2024. En effet, le ministère a imposé 12 chapitres denses à traiter d’ici juin, contre 7 à la session précédente de mars 2023. Cela représente un quasi doublement du programme d’examen avec seulement un trimestre de plus, auquel s’ajoutent les besoins d’accompagnement de nos élèves vers le Grand oral. C’est aussi un bouleversement de l’année de Terminale annoncé un mois après la rentrée, par le Bulletin Officiel du 27 septembre 2023.
La précédente ministre de l’Éducation Nationale, Madame Amélie Oudéa-Castera, a d’ailleurs reconnu, mardi 6 février, lors d’une audition à l’Assemblée nationale : « je sais que c’est aujourd’hui difficile d’absorber la totalité du programme, c’est pourquoi une réflexion sera engagée sur les contours de ce programme pour cette discipline ».
En effet, nous sommes contraint·es de traiter ce programme de façon magistrale et expéditive, sans laisser à nos élèves le temps de comprendre, d’apprendre de leurs erreurs. Par conséquent, nos élèves sont abreuvé·es d’un savoir encyclopédique et nous ne pouvons aider les plus fragiles, celles et ceux qui ont besoin de davantage de temps et de remédiation.
Indéniablement, ce n’est pas dans ces conditions que pourra avoir lieu le « choc des savoirs » voulu par le Premier Ministre. À l’inverse, ces conditions sont favorables à un creusement des inégalités scolaires entre les élèves suivant la spécialité SES, deuxième spécialité la plus choisie, qui rassemble plus du tiers des élèves de la voie générale.
Depuis la réforme du lycée et du baccalauréat en 2018, nous n’avons eu de cesse d’alerter sur la lourdeur des nouveaux programmes. D’ailleurs, avant leur publication, ils avaient été massivement rejetés par le Conseil supérieur de l’Éducation (aucune voix pour et un record de voix contre). Depuis, sur le terrain, dans les classes, nous expérimentons chaque jour les impossibilités et les renoncements.
Alors que tous les signaux convergent désormais, nous ne comprenons plus l’inertie de notre ministère. Avec pour conséquence une mise en danger de la santé de nos collègues car leurs efforts pour remplir tant bien que mal leur mission sont faits à ce prix, avec souvent le déchirement de voir ces efforts rendus insuffisants par l’ampleur de la tâche.
L’APSES a déjà proposé d’en rester au programme d’examen exigible à la rentrée 2023, avec 8 chapitres prévus, et coordonné une progression commune sur cette base pour laisser l’opportunité au ministère de rendre effectif à tout moment cet allègement. À travers une pétition et nos enquêtes de terrain, force est de constater que cette action collective est très majoritairement suivie. Sans attendre la nécessaire réflexion de long terme sur les contours du programme, il est urgent de revenir à un programme d’examen réaliste, pour ralentir les cadences d’apprentissage, revenir sur des points trop vite abordés depuis septembre et donner la possibilité à tous les élèves de réussir l’épreuve.
Nous défendons une École qui forme des citoyen·nes éclairé·es, qui développe leur esprit critique, et qui, en accord avec les savoirs scientifiques que nous enseignons, soit au service de la lutte contre les inégalités scolaires et sociales.
ll n’est pas trop tard pour entendre la détresse et décider de faire porter les épreuves de spécialité SES uniquement sur ces 8 chapitres. En l’état de cette course au programme, et sans heures dédiées à la préparation du Grand Oral, il nous paraît impossible de participer à la mascarade que constitue cette épreuve.
Nous comptons sur votre discernement pour prendre en compte cette demande renouvelée, et nous restons à votre disposition afin d’échanger directement avec vous sur ces questions lors d’une audience.
Dans l’attente de votre réponse, nous vous prions, Madame la Ministre, de recevoir l’expression de notre sincère attachement au service public d’éducation nationale.