Compte-rendu de l’audience MEN – 14 mai 2025
Présent·es pour l’APSES : Lucile Girollet, Raphaëlle Marx, Amandine Oullion, Benjamin Quennesson
Nous avons été reçu·es par Mme Brigitte Lacoste, Conseillère orientation, politiques pédagogiques et éducatives au cabinet de la ministre Elisabeth Borne.
L’audience débute à 15h45 et dure 45 minutes.
- Présentation de l’APSES
Nous présentons rapidement l’APSES : au 12 mai 2025, association de 2234 adhérent·es soit plus de 38% du total des enseignant·es de SES (RERS 2024 : 5759), l’association la plus représentative du secondaire.
Nous réalisons des enquêtes auprès des enseignant·es et analysons les données recueillies (comme dans la dernière note sur la place des SES au lycée que nous portons à sa connaissance).
Ces enquêtes nous permettent de dire que les professeur·es de SES sont aujourd’hui fragilisé·es pour diverses raisons :
- Attaques contre notre enseignement
L’APSES rappelle la multiplication des cas de remise en cause cette année, de la part de parents d’élèves et d’élu·es. Ces attaques sont remontées jusqu’à l’Assemblée Nationale.
Madame la Conseillère, Brigitte Lacoste dit qu’elle était présente, et que tout le monde a été choqué. Elle a interprété les mots de l’élue comme de la maladresse.
Pour l’APSES, la question c’est le système derrière qui a permis à une députée de s’exprimer sur ce sujet en citant une collègue. Nous demandons à l’institution de nous apporter un soutien et une protection : les collègues tardent à avoir une réponse sur la protection fonctionnelle alors qu’ils et elles sont potentiellement en danger (par exemple une collègue mise en cause et menacée sur X pas le réseau « parents vigilants » avec le nom de son lycée). Les collègues ne devraient pas avoir à faire la démarche.
Madame la Conseillère Brigitte Lacoste rappelle que c’est le Recteur qui accorde la protection fonctionnelle, il faut qu’il ait connaissance du problème.
L’APSES indique que les chef⋅fes d’établissements doivent la demander, or certain⋅es chef⋅fes d’établissements ne répondent même pas aux collègues.
Madame la Conseillère, Brigitte Lacoste rappelle l’existence des équipes « valeurs de la République », qu’il faut avoir le réflexe de contacter en cas d’attaque. En effet les attaques ne viennent pas que de la sphère islamiste, elle en parlera à la conseillère qui travaille sur ces sujets, pour que soit rappelée l’existence de ce dispositif et que le process soit communiqué aux chef⋅fes d’établissements dans la lettre de rentrée.
Réforme du concours et formation continue
- Le concours de recrutement
L’APSES expose un deuxième point de fragilisation des enseignant·es : la réforme de la formation et des concours et l’insuffisance de la formation continue qui les fragilisent dans leur maîtrise des savoirs disciplinaires.
L’APSES est favorable à une réforme du CAPES car la situation actuelle n’est pas tenable. Il y a un problème d’attractivité des concours en regardant les données sur les présent·es au CAPES en SES:
Nous regrettons la méthode (précipitation, absence de bilan de l’organisation actuelle…), nous n’avons jamais été auditionné⋅es en tant qu’association disciplinaire, alors que nous avons des mandats sur la question spécifique des SES, en tant que matière pluridisciplinaire.
Nous nous interrogeons sur la formation des étudiant⋅es et la préparation au CAPES dans ce cadre.
Comment des étudiant·es qui viennent d’une licence de science politique pourraient-ils traiter un sujet avec une majeure en sociologie étant donné qu’elle ne relève pas de leur licence ? La question peut se poser également pour les étudiant·es issus d’une licence de droit, d’histoire ou encore de géographie qui ne seront probablement pas préparés à ces épreuves.
Nous nous inquiétons des exigences du sujet 0, qui est proche d’un sujet de bac, calqué sur les OA, que nous critiquons par ailleurs : absence totale de questions sur l’histoire de la pensée économique, sociologique, pas d’exigence d’épistémologie.
Nous demandons donc :
- Un moratoire sur la réforme, le temps d’une réelle concertation sur cette réforme ;
- Un travail plus concerté sur la formation et sur les concours ;
- Des moyens suffisants pour la formation.
Madame la Conseillère, Brigitte Lacoste indique qu’elle ne peut pas juger des sujets zéro, mais il faut avoir en tête que c’était vraiment une première proposition. Le dialogue social a eu lieu avec les organisations syndicales. Le travail avec les associations est plus intéressant dans la phase qui vient maintenant, de définition des contenus de la formation.
Le moratoire n’est pas d’actualité. E. Borne a obtenu l’arbitrage de Bercy permettant la rémunération des étudiants et étudiantes de Master et ne l’obtiendra pas une deuxième fois. Il est important pour elle de pouvoir annoncer la rémunération des lauréat·es en tant qu’élèves fonctionnaires, pour ouvrir socialement le recrutement des concours.
L’APSES s’interroge sur la place de la formation disciplinaire.
Madame la Conseillère, Brigitte Lacoste : en M1, 70% du temps sera consacré aux apports disciplinaires [1]. Il n’y a donc pas de baisse de niveau. Le but est d’avoir davantage de candidat·es. Certaines disciplines connaissent une grande crise du recrutement. La question du niveau est autant dans le ratio entre le nombre de candidat·es et le nombre de reçu·es que dans les exigences du concours.
APSES : le concours est calqué sur la formation initiale des élèves, mot pour mot les OA du lycée, qui ne demandent plus de problématiser, la préparation des étudiant·es va consister à recracher les fiches eduscol.
Madame la Conseillère, Brigitte Lacoste : il faut des gens qui réfléchissent, il faut inviter les candidat·es à problématiser et didactiser les OA. Brigitte Lacoste s’engage à en discuter avec l’inspection générale et nous indique que les sujets zéro ne sont que des projets qui peuvent être revus.
APSES : pour pouvoir questionner les enjeux autour des sujets, il faut des moyens pour préparer étudiant⋅es aux concours
Madame la Conseillère, Brigitte Lacoste : Dans certains pays de l’OCDE l’accès au métier d’enseignant ne passe jamais par un concours. Le système français ne brille pas par sa performance. L’important est de redonner aux étudiant⋅es l’envie d’enseigner.
APSES : En SES il y a aujourd’hui 120 lauréat·es du concours dans toute la France…ce qui ferait seulement 120 étudiant⋅es de Master : ce seraient les seuls ? En cas d’échec au concours, faudrait-il refaire une L3 pour passer le concours ou le repasser en M1 ?
Madame la Conseillère, Brigitte Lacoste : ce n’est pas encore complètement décidé.
L’APSES dénonce le fait que les étudiant·es soient précocement enfermé·es dans un cursus.
Madame la Conseillère, Brigitte Lacoste explique que la possibilité pour des étudiant⋅es titulaires d’un autre master de passer le concours serait maintenue. Dans ce cas ils commenceront leur formation d’enseignant⋅es directement en M2.
L’APSES souligne que cela peut constituer un problème pour les étudiant·es qui seraient surspécialisé·es. Par exemple, les étudiant·es qui auraient un parcours universitaire (de la L1 au M2) en économie qui intégreraient alors le M2 SES alors qu’ils ou elles n’auraient pas les connaissances disciplinaires en sociologie et science politique. La nouvelle organisation du concours et de la formation initiale des enseignant·es montre qu’il y a un impensé concernant les matières pluridisciplinaires.
L’APSES a l’impression que le fossé va se creuser entre agrégation et CAPES et rappelle que les précédentes réformes n’ont pas fermé le recrutement social des enseignants [2].
- La formation continue
Par ailleurs, l’APSES a de réelles inquiétudes sur la formation continue. Notre dernière enquête flash montre que 80% des collègues ont renoncé à participer à une formation continue du fait de son positionnement hors temps scolaire.
Madame la Conseillère, Brigitte Lacoste indique que cette inquiétude est partagée et on y travaille dans un contexte budgétaire qui ne laisse pas beaucoup de marges. Il y a eu ces dernières années un focus sur les RCD et les heures perdues, c’est compliqué de revenir en arrière. C’est en tout cas une préoccupation partagée par la ministre.
- Situation des SES depuis la réforme du lycée
L’APSES indique que les SES sont un succès auprès des élèves mais la fragilité des professeur·es de SES s’explique par la dégradation de leurs conditions de travail, notamment du fait du nombre de classes et de groupes dont ils et elles ont la charge.
Source : Enquête sur la place des SES au lycée, Avril 2025
Source : Janvier 2023, enquête conditions de travail (Note APSES)
« Au total les enseignant·es de SES ont en charge 6,4 groupes d’élèves différents pour un nombre total moyen de 183 élèves, soit des groupes moyens de 28,6 élèves. En SES, les collègues ont en charge en moyenne 5,05 groupes pour un nombre moyen de 150 élèves, soit 29,7 élèves par groupe. Les données de la DEPP indiquaient en 2020-2021 une moyenne de 27,4 élèves / groupes, faisant des SES la discipline où les groupes sont les plus chargés avec l’histoiregéographie et la philosophie. »
Source : Janvier 2023, enquête conditions de travail (Note APSES)
« Au total, les collègues de SES enseignent en moyenne 2,2h devant des groupes à effectif réduit, contre 3,1h en moyenne à la rentrée 2019 et 3,81 heures en 2018-2019. Depuis l’application de la réforme le nombre d’heures à effectif réduit a donc été divisé par presque 2 en SES. »
Source : Janvier 2023, enquête conditions de travail (Note APSES)
Place des SES en seconde
Les SES ont le plus faible volume horaire du tronc commun, majoritairement en classe entière (la proportion de collègues enseignant en classe entière en seconde a été multipliée par deux depuis la réforme), alors que la discipline est nouvelle au lycée et que les enjeux en termes de formation citoyenne sont énormes (connaissance des institutions politiques, égalité filles-garçons, enjeux environnementaux, lien diplôme/emploi, maîtrise des outils statistiques, etc.). Les effectifs sont très élevés.
L’APSES demande une augmentation du volume horaire des SES en classe de seconde pour arriver à 3h, avec des dédoublements définis nationalement.
Dans le cycle terminal
Gros succès de la discipline dans les choix des élèves mais un enseignement qui se fait dans des conditions dégradées avec la réforme :
Nous avons en effet les groupes les plus chargés des enseignements de spécialité (avec les maths) [chiffres DEPP : 26,3 élèves par groupe en moyenne en1ère et 25,2 en terminale contre 22,7 et 19,3 en LLCER Anglais ou encore 20,4 et 20,1 en Physique-Chimie].
Perte des dédoublements : [Enquête 2023 : « En première, il n’y a plus que 6% des collègues qui bénéficient d’une heure de dédoublement alors que ce chiffre s’élevait à 40% en 2018-2019, avant la réforme. En terminale, 10% des collègues seulement bénéficient d’heures de dédoublement en terminale, alors que cette situation concernait une majorité de collègues avant la réforme. »]
Perte du groupe classe avec tous les problèmes pédagogiques que cela pose. [Enquête 2023 : « La situation la plus fréquente est un groupe de spécialité composé d’élèves venant de 5 classes différentes. Seuls 6% des collègues enseignent dans des groupes où les élèves sont issus d’une seule et même classe. »]
Suivi des élèves plus difficile : le nombre moyen d’élèves dont a en charge un·e enseignant·e de SES a doublé depuis la réforme.
Impact sur les conditions de travail des enseignant⋅es. Les enquêtes menées sur les risques psychosociaux chez les enseignant⋅es de SES sont alarmantes.
[Dernière enquête APSES sur le sujet (2023) : « Alors que dans l’enquête de la DARES sur les RPS, 34% des enseignant·es déclarent que le travail a un effet néfaste sur leur santé, c’est 65% des enseignant·es de SES, soit presque deux fois plus. De même, 15% des collègues de SES déclarent avoir eu un arrêt de travail lié à leurs conditions d’exercice professionnel au cours de 12 derniers mois. »]
Cela va de pair avec des conditions d’apprentissage dégradées pour les élèves.
Bilan : plus d’élèves / moins d’heures / moins de professeur·es dans chaque établissement (lien avec les attaques de parents ?)
L’APSES demande :
- Un bilan de la réforme
- Le retour à une organisation en séries, dans un format rénové (qui permette ainsi de conserver certaines avancées de la réforme).
Allégements/réécriture des programmes
L’allègement en classe de terminale a soulagé les collègues mais encore une fois, il y a un problème de méthode car il a été fait sans concertation : d’autres allègements plus cohérents d’un point de vue pédagogique auraient pu être mis en place. L’APSES a publié des propositions bien en amont.
Il reste encore des améliorations à porter sur les programmes de première et de seconde.
La demande de l’APSES sur les programmes est une réécriture. L’association a engagé un grand travail de réflexion sur le sujet.
Nous avons besoin d’un programme qui donne plus le temps pour travailler la méthode, la problématisation, pour mieux préparer nos élèves au supérieur, un programme qui soit aussi en prise avec les questions vives et l’actualité de la recherche.
Nous demandons un groupe d’experts composé au moins pour moitié d’enseignant·es de SES
Pour Brigitte Lacoste, la réécriture n’est pas à l’ordre du jour. Les programmes des cycles 3 et 4 sont en train d’être finalisés, mais elle va poser la question, c’est une décision qui mérite une réflexion collective.
[1] Après avoir consulté à nouveau les plaquettes de présentation de la réforme publiées par le Ministère, le « 70% » mentionné fait en réalité référence à la future formation des professeur·es des écoles. En ce qui concerne le second degré, la part du disciplinaire annoncée dans ces plaquettes est en réalité de 60%.
[2] Nous n’avons pas les données sur l’effet du concours à bac+5 depuis 2020, mais la masterisation en 2010, et le concours à bac+4 au lieu de bac+3 n’ont pas modifié le recrutement social des enseignants d’après Delhomme, B. (2020). L’origine sociale des enseignant·e·s comparée à la population active occupée en 2015. Éducation & formations, 101, 27–51 : « Les enseignant.e.s les plus âgé.e.s sont composé.e.s de la même proportion de parents de référence ouvrier que les enseignant.e.s les plus jeunes en 2015. Compte tenu de la baisse du poids des enfants d’ouvrier.e entre les actif.ve.s les plus âgé.e.s et les plus jeunes, nous pouvons conclure un accès socialement plus ouvert au métier enseignant pour les générations les plus jeunes. Ce résultat est en cohérence avec l’évolution de l’accès à l’enseignement supérieur des milieux populaires. En 2015, 39 % des jeunes âgé.e.s entre 25 et 29 ans enfants d’ouvrier.e.s ou employé.e.s étudient ou ont étudié dans le supérieur, contre 23 % des enfants d’ouvrier.e.s ou employé.e.s âgé.e.s de 45 à 49 ans 11 (État de l’enseignement supérieur et de la Recherche, 2017). De plus, la réforme de la formation des enseignant.e.s de 2010 n’a pas évincé les milieux populaires dans l’accès à la profession enseignante. »