Café des sciences sociales de l’Apses
Le 7 avril 2022 à 18h30 au Lieu-dit (Compte-rendu: Marie Lamy)

La captation vidéo du café peut être trouvée ici:

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Pour introduire le café, Raphaëlle Marx (Apses Paris) a présenté les objectifs du Café Sciences Sociales, et en a profité pour glisser quelques mots sur le contexte actuel pour les SES, et notamment les attaques conservatrices contre la discipline. Elle présente aussi les objectifs de la soirée : s’interroger sur l’existence d’un vote populaire. Elle souligne la volonté de combattre une représentation : l’hypothèse de la désaffection politique des milieux populaires. En fait, le monde populaire n’est pas un tout unifié, il est traversé par discriminations.
D’où la question : comment vote-on ? Ne vote-on pas au bas de la hiérarchie sociale ?

Collectif FOCALE- Votes populaires! Les bases sociales de la polarisation électorale dans la présidentielle de 2017

La présentation diapo peut être trouvée ici: Présentation Focale Lieu Dit

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Hugo Touzet – Daniel Veron (Collectif Focale) présentent l’ouvrage du collectif Focale Votes populaires ! Les bases sociales de la polarisation électorale dans la présidentielle de 2017. Il s’agit d’une enquête menée durant l’élection présidentielle de 2017 par un groupe de chercheur.ses qui part d’une volonté de combattre une certaine analyse des résultats de l’élection, et en particulier les quatre tendances suivantes :
● La tendance à l’analyse gaucho-lepéniste selon laquelle la classe populaire tomberait à l’extrême droite. En fait, il s’agit davantage d’une polarisation politique.
● La tendance à analyser les résultats en termes de nouveauté, de disruption, là où au contraire il parait pertinent de les analyser à l’aide des indicateurs classiques.
● La tendance à ne pas prendre suffisamment en compte la question du travail
● La tendance à ne pas prendre suffisamment en compte l’expérience de la migration dans la construction d’un vote
L’enquête s’est déroulée dans deux villes, volontairement très polarisées socialement: Villeneuve Saint-Georges et Méricourt (près d’Hénin-Beaumont). Ces deux villes ont été choisies car Mélenchon et Le Pen y ont obtenu des scores élevés. Sur ces deux villes, les chercheurs.ses se sont notamment interrogé.e.s sur les caractéristiques spécifiques des classes populaires qui ne votent pas pour l’extrême droite.
Pour cela, ils et elles ont procédé à une méthode de « sortie des urnes » : récolte d’environ 2000 questionnaires dans les 2 villes, mobilisation de 80 enquêteur.trices.
Au final, 11 auteurs et autrices ont rédigé l’ouvrage avec l’aide d’une photographe, Cécile Harari
L’enquête comporte cependant les limites suivantes :
– Elle ne saisit pas l’abstention, pourtant forte chez les classes populaires
– Une partie des enquêté.e.s ont refusé de répondre ou de révéler leur vote.
On peut donc penser que l’extrême droite est sous-représentée dans l’échantillon tandis que le vote de gauche est surreprésenté.

Trois grands résultats ressortent de l’enquête :
– L’influence des rapports de travail sur l’orientation politique. La thèse de l’aliénation précaire selon laquelle la précarité entrainerait une dissolution du lien politique et donc une tendance au vote à l’extrême droite doit être nuancée. Elle se vérifie pour les « très précaires ». Mais dès qu’on est un peu moins précaire, on observe une recomposition entre Mélenchon et Lepen. Le lien entre précarité et vote pour l’extrême droite ne se vérifie pas du tout. Ces « moins précaires » sont caractérisé.e.s par des caractéristiques sociales (un diplôme un peu plus élevé, métier un peu moins précaire) qui les éloignent de l’aliénation précaire.
– La nécessité de prendre en compte le rapport au travail sur la discrimination : on constate un entrelacement entre les rapports sociaux de race et les filières de vote. Qu’est-ce qui, dans l’expérience du travail, va produire des formes de politisation en fonction des origines migratoires ? Par exemple, Mélenchon est hégémonique chez les personnes issues de l’immigration nord-africaine (100% chez les plus précaires). Les migrant.e.s d’origine subsaharienne se partagent entre Macron et Mélenchon, selon leur position dans la stratification sociale.
Il faut aussi prendre en compte la segmentation ethnique des marchés du travail propre à certaines bassins d’emploi (2 immigration nord africaines différentes entre Villeneuve et Méricourt).
– Un questionnement sur le rôle des organisation politiques dans le rapport au vote : assiste-t-on à la fin de l’encadrement politique du vote ? On a repéré des formes de résistances au vote FN, plutôt à Méricourt chez les votant.e.s sans ascendance extra-européenne : ces personnes ont un.e ascendant.e engagé.e dans les organisations ouvrières. Par exemple, les enfants de fonctionnaire, ancré.e.s à gauche, ou les héritier.e.s de la mine. Cette ascendance ouvrière ou de gauche constitue un frein à la progression de l’extrême droite. On peut parler à leur propos de « queue de comète » du monde ouvrier : le syndicalisme reste un frein à la progression de l’extrême droite.
Cet aspect doit être resitué dans une analyse plus générale des petites propriétés qui font barrage à l’extrême droite : les résistances au basculement vers l’extrême droite se jouent en dehors des organisations, en grande partie dans des subjectivités liées au travail comme l’expérience de la discrimination pour les personnes non blanches, et le diplôme pour le bas des classes moyennes et haut des classes populaires qui forment une sorte d’ « aristocratie ouvrière ».

Vincent Tiberj- Extinction de vote?

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La présentation diapo peut être trouvée ici: Présentation V Tiberj:

Vincent Tiberj présente quelques résultats tirés de l’ouvrage collectif « Extinction de vote ? » :
Selon les dernières enquêtes, l’auto-positionnement à gauche dépend davantage du fait de faire partie d’un groupe discriminé que du positionnement social.
Concernant l’abstention : Pendant longtemps, la présidentielle a été relativement préservée de la progression de l’abstention constatée aux autres élections. (du fait du traitement médiatique important de l’élection, de l’effervescence due à la campagne électorale, de l’ensemble de micro pressions électorales lors des déjeuners familiaux ou à la machine à café…). Ce qui monte en puissance n’est pas l’abstentionnisme systématique mais le vote intermittent. Ce dernier ne dépend pas de l’âge mais d’abord de la génération d’appartenance. Le déséquilibre générationnel est encore plus fort à mesure que l’on prend en compte la classe sociale. Parmi les générations anciennes, mêmes les peu diplômé.e.s sont des votant.e.s constant.e.s. Alors que chez les plus jeunes générations, on constate de fortes inégalités selon la classe sociale en termes de participation politique.
Derrière le renouvellement générationnel, se dessine une évolution des cultures de participation : la culture des électeurs.trices pur.e.s est en train de disparaitre. Elle était le plus en adéquation avec la démocratie représentative. Cette acceptation de la délégation (de la remise de soi) était associée à la démocratie représentative. Aujourd’hui, on observe de plus en plus de polyparticipant.e.s, de citoyen.ne.s critiques capables de challenger leurs représentants politiques. Parmi les nouvelles générations, le rapport à la politique passe de moins en moins par les canaux du vote, ce qui pose la question de la légitimité des responsables politiques.

Débat avec la salle

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La présentation des deux ouvrages a été suivie d’un échange avec la salle et avec la modératrice de la soirée :

Catherine André : Quelle est la part du rejet des organisations politiques classiques ? Quelle part des attitudes de retrait peut s’expliquer pour ces raisons-là ? L’abstention n’est pas un trou noir, il y a sans doute de multiples formes d’expression dans cette abstention.

V. Tiberj : En fait abstention en doit pas être lue comme un défaut d’intégration. En fait, l’abstention n’est pas juste un message adressé à un moment. Le lien est rompu durablement. En termes de demande de protection, il y a une demande, des valeurs, des envies mais qui ne trouvent pas un lieu pour s’exprimer. R. Lefebvre montre bien qu’il y a un problème de l’offre politique pour coller aux attentes des catégories ouvrières. Les partis sont coupés des ouvrier.e.s, des employé.e.s. En fait, les candidat.e.s vont dans les usines, voir les ouvrier.e.s. Mais aujourd’hui le visage de la précarité s’est transformé : les vrais précaires, ce sont les employé.e.s de services à la personne, les caissières de supermarché, plutôt que les ouvrier.e.s des usines à temps plein en CDI.

FOCALE : Le rejet est extrêmement politisé en fait. Les classes populaires ressentent Macron comme leur ennemi. Le problème se situe bien du côté de l’offre. Mais surtout l’abstention est très différenciée selon les élections. L’élection présidentielle reste identifié comme le lieu où se décident les grandes options politiques. Ce différentiel d’abstention selon les élections est donc très politique.

V. Tiberj : Il n’y a pas de déprise des valeurs démocratiques chez les jeunes générations. On observe une convergence des rejets mais pas de convergence des alternatives. Chez les plus jeunes, on constate une fascination pour l’armée, mais aussi une fascination pour les techniciens, « les expert.e.s au pouvoir ». On constate aussi une progression en faveur du tirage au sort chez les jeunes de gauche.

Question de la salle : N’y a-t-il pas un paradoxe entre le phénomène de massification scolaire et la participation électorale fragile dans les jeunes générations ?

V. Tiberj : Le lien entre diplôme et participation politique est très fort. Plus on est diplômé, plus on participe. Mais plus la génération est récente, moins c’est le cas. Le diplôme est de moins en moins prédicteur de l’intérêt pour la politique. Les autodidactes de la politique politisé.e.s par le travail sont en train de disparaitre par manque de relais d’opinion. De plus, le diplôme produit du désenchantement. L’accès à l’information désillusionne : cela crée de la distance pour les citoyen.ne.s. On a de plus en plus des citoyen.ne.s compétent.e.s cognitivement mais présentant moins d’appétence pour la vie politique institutionnelle.

Question de la salle : Si on prend en compte l’inscription en plus de l’abstention, les inégalités ne sont-elles pas encore plus importantes ?

V. Tiberj : derrière l’inscription, il y a la mal-inscription. B. Coulmont montre que la procuration est surtout utilisée par les catégories sociales les plus favorisées. Mais en revanche, la mal inscription est un obstacle à la participation chez les catégories populaires. Chez les plus ancien.ne.s, la mal inscription ne joue pas sur la participation.

Questions de la salle : Mais qu’entend-on pas « catégories populaires » au fait ?

FOCALE : Prolétaires et peuple sont des signifiants politiques. Ici on utilise populaire comme signifiant sociologique. L’objectif est d’attraper les transformations du monde du travail. Les catégories populaires se sont reconfigurées et sont plus complexes à analyser qu’avant. Par exemple, les emplois des secteurs de la sous-traitance et de la logistique sont comptabilisés dans les services, alors qu’il s’agit d’emplois ouvriers. De leur côté, les femmes du monde populaire sont très majoritairement employées. Le monde populaire très divers : il fait faire attention à la vision fantasmée de la catégorie populaire.

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