Avant les épreuves de philosophie, dans un lycée du XVe arrondissement de Paris, en juin 2016.
Avant les épreuves de philosophie, dans un lycée du XVe arrondissement de Paris, en juin 2016. Photo Gaël Kerbaol. Divergence

Un examen final allégé et davantage de contrôle continu : telles sont les pistes qui devraient être présentées ce mercredi au ministre Jean-Michel Blanquer pour remanier en profondeur une institution à la fois sacralisée et dévaluée, réputée irréformable.

Bac comme «Bon à changer» ? Des années que le vieux monument (210 ans) tremblote, objet de diatribes qui étrillent son côté «ça sert à rien», «c’est mal foutu», «et en plus, ça coûte une fortune» tout en lui reconnaissant sa part symbolique, «rite de passage obligé». Candidat, Emmanuel Macron avait promis de s’y attaquer, là où ses prédécesseurs ont échoué (lire ci-contre). La machine à réformer a turbiné. Au terme de plus de cent auditions de syndicats d’enseignants, Pierre Mathiot, ex-directeur de Sciences-Po Lille chargé du dossier (lire notre portrait en page 30), doit remettre son rapport et ses pistes de ravalement ce mercredi après-midi au ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer. Ledit ministre se laissant deux-trois semaines d’arbitrages avant d’en donner une version définitive à la mi-février.

Le calendrier est serré : le bac nouveau doit entrer en vigueur en 2021 et aura un impact dès la rentrée prochaine sur les lycéens de seconde. La course est aussi très orchestrée en termes de communication : alors que des bribes du projet fuitent de-ci de-là depuis des semaines, les journalistes n’ont été conviés à prendre connaissance de l’ensemble que ce mercredi matin – à croire que des ajustements sont encore en cours ? – et priés très officiellement de ne rien publier avant 15 heures. Un sacré cadrage.

Dans l’attente du rapport complet, quelle est la philosophie de cette réforme ? Est-elle nécessaire ou hasardeuse ? Décryptage.

Quel bac se dessine ?

Exit le bac concentré sur le mois de juin qui chaque année met en vacances prématurément les élèves de seconde. La nouvelle version se veut allégée. On s’oriente vers un examen final resserré autour de six épreuves (comptant pour 60 % de la note finale), le reste étant évalué par un contrôle continu (40 % de la note du bac). Dans son rapport, Pierre Mathiot ne se mouille pas sur cette question très débattue du contrôle continu et propose trois scénarios : soit des épreuves ponctuelles réparties dans l’année (une sorte de bac blanc standardisé avec anonymat garanti), soit des épreuves ponctuelles et la prise en compte des bulletins scolaires, soit uniquement les bulletins scolaires. A Blanquer de trancher.

Parmi les épreuves à «passer», on devrait retrouver le bac de français (écrit et oral) en fin de première. En terminale, deux matières «majeures» (choisies par l’élève), la sacro-sainte épreuve de philosophie (présente depuis la naissance du bac) ainsi qu’un grand oral. Une vraie nouveauté, que certaines sources annoncent «interdisciplinaire», comme il se pratique en Italie.

Mais ce bac remanié n’est en réalité que la partie émergée d’un nouvel iceberg. A travers les pistes annoncées, c’est un nouveau lycée qui se dessine. Un lycée plus modulaire ou, pour le dire autrement, à la carte. Ainsi, outre un tronc commun d’enseignements (français en première, philo en terminale, mais aussi histoire-géographie, langues vivantes…), chacun devrait avoir à opter pour deux disciplines «majeures» (ce sont celles que le candidat passera au bac) à choisir dans un menu de neuf ou dix combinaisons possibles (par exemple maths-sciences économiques ou lettres-langues) et deux disciplines «mineures». S’ajouteraient des enseignements facultatifs, comme les langues anciennes. Voilà à gros traits le schéma. Autre changement à noter : un temps scolaire rythmé par semestre, et non plus par trimestre. Une petite révolution.

Quelles sont les craintes ?

Depuis quelques semaines, la moindre information sortant dans la presse nourrit les inquiétudes des enseignants. Première source de crainte, le découpage en majeures et mineures, avec des disciplines qui seraient mieux traitées que d’autres. L’Association des professeurs de biologie et géologie, par exemple, redoute de voir disparaître du tronc commun les cours de sciences et vie de la Terre (SVT). «Ce serait un recul très grave, s’alarmaient-ils dans une tribune publiée dans Libélundi. […] La culture scientifique est nécessaire dans la lutte contre l’obscurantisme.» Autre danger : aggraver encore un peu plus les inégalités sociales entre les élèves. Pour Erwan Le Nader, de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales, l’idée d’un bac modulaire présente de vrais risques : «Les travaux en sociologie le démontrent : plus on laisse la place au choix, plus certains élèves sont avantagés par rapport à d’autres, car eux seuls connaissent la meilleure stratégie à suivre afin de maximiser leurs chances pour la suite.» De la même façon, le contrôle continu présente le risque d’inégalités territoriales (lire ci-contre), avec demain des bacs à valeur variable d’un lycée à l’autre. «Sans même parler de la pression accentuée d’une évaluation permanente des élèves», soupire Erwan Le Nader.

Le Snes-FSU, principal syndicat d’enseignants du secondaire, lui aussi inquiet d’une montée des inégalités territoriales entre les lycées, critique «un bac maison sans ambition». Il redoute aussi des conséquences directes sur la façon d’enseigner. Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes-FSU : «Avec les cours organisés en semestre, on va se retrouver en milieu d’année devant des élèves qui ont suivi la discipline depuis plusieurs mois et d’autres qui la découvrent.» Le Snes, bien décidé à faire fléchir Blanquer dans ses arbitrages, appelle à la grève tous les enseignants du secondaire (collège compris) le mardi 6 février pour mettre un coup de pression.

Mais pourquoi changer le bac ?

L’argument massue du gouvernement est que le bac coûte un bras. 57 millions d’euros flambés l’an passé pour 729 600 candidats, selon le ministère de l’Education. Ce nombre comprend l’indemnisation des frais de déplacement des intervenants, leur rémunération et les frais inhérents à l’organisation. Tout ça pour quoi ? Certains, comme le sociologue Michel Fize, auteur du Bac inutile (éditions l’Œuvre, 2012), n’hésitent pas à réclamer sa suppression. «Le bac, c’est une sorte de binge drinking qui consiste à ingurgiter un maximum de choses pour les recracher aussitôt et ne plus s’en souvenir», assurait-il déjà àLibération en 2013.

Autre grande critique à l’encontre du bac : «Il nécessite une organisation gigantesque et ne sert à rien puisque les décisions pour l’enseignement supérieur sont prises avant même les épreuves du bac», tacle Philippe Tournier, secrétaire général du Syndicat des chefs d’établissement (SNPDEN). De fait, la philosophie de cette réforme, telle que vantée par le gouvernement, est la suivante : via une spécialisation progressive, le bac devrait rejouer un rôle dans l’orientation des lycéens dans l’accès au supérieur. Cette réforme n’est en effet qu’un volet de la partie qui se joue en ce moment. Le vrai enjeu – avec d’énormes changements à la clé – est bien la loi qui modifie l’accès à l’université, et que le Parlement est en train de voter.

Catherine Mallaval Marie Piquemal

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