La réforme du lycée comporte plusieurs volets imbriqués : celui du baccalauréat, celui de l’orientation dans le supérieur (« parcoursup »), celui de l’organisation du lycée et celui des contenus d’enseignement. Qu’en est-il de ces deux derniers aspects ?

Une nouvelle organisation du lycée

La réforme du lycée portée par le ministre Blanquer est aujourd’hui connue et, quoique repoussée par le Conseil supérieur de l’éducation, où elle a réalisé la performance de rassembler contre elle le SNES-FSU et le SGEN-CFDT, chose rare, elle devrait s’appliquer dès la rentrée de septembre 2019 pour les classes de seconde et de première. On sait en effet le peu de cas que le pouvoir en place fait de la « concertation ».
Dans ses grandes lignes, il s’agit de supprimer les séries (dans le « général », car elles sont maintenues pour l’instant dans l’enseignement technologique), remplacées par une combinaison d’enseignements communs, d’une part, et d’enseignements de spécialité, d’autre part. Sans se transformer en un lycée « modulaire », à la britannique, que certains appelaient de leurs vœux et d‘autres redoutaient , le poids du choix des élèves et des familles s’accroît par rapport à la situation actuelle où l’organisation en « séries » offrait une structure cohérente mais « rigide ».
Les programmes devraient être ré-écrits, très vite, puisque une « consultation » sur ces nouveaux programmes devrait être organisée en octobre 2018 et les dits programmes finalisés pour décembre 2018, alors que les groupes chargés de l’écriture de ces programmes ne sont pas encore installés et qu’on commence seulement à en connaître la composition.
Pour être un peu plus complet, signalons que le lycée professionnel n’est pour l’instant pas concerné par la réforme, son sort sera traité avec la question de l’apprentissage, tant il est vrai que pour le gouvernement actuel, les lycéens professionnels ne devraient pas avoir leur place à l’université, « parcoursup » est fait pour procéder à cette orientation.

Et les sciences économiques et sociales ?

En apparence, cela ne se présente pas mal.

En classe de seconde, les SES, actuellement enseignement « d’exploration », deviendraient « enseignement commun » pour tous les élèves de l’enseignement général et technologique (contre 85 % environ aujourd’hui). Mais l’horaire hebdomadaire resterait inchangé (1h30), soit fort peu pour une matière nouvelle pour des élèves venant du collège et dont il s’agit de découvrir méthodes, manières de penser et premiers concepts. Des premières annonces ministérielles avaient laissé croire que ces « SES » pourrait inclure des contenus enseignés aujourd’hui dans l’enseignement « d’exploration » PFEG (principes fondamentaux de l’économie et de la gestion). Il semble qu’il n’en sera rien puisque qu’une option « Management et entreprenariat » serait proposée en classe de seconde selon les déclarations du ministère lors du CSE déjà évoqué.
En classe de première et terminale, les SES ne figurent pas parmi les « enseignements communs » (comme le sont français, Histoire-Géographie ou Education Physique et Sportive), mais pourront être choisies en « enseignement de spécialité » (3 à choisir en première, 2 en terminale) pour un horaire de 4h en première et 6h en terminale (5 et 5 actuellement, en série ES). Rien n’est prévu pour des « dédoublements » si nécessaire à l’appropriation des méthodes.
Reste, parmi les « enseignements de spécialité » un OSNI (objet scolaire non-identifié), « l’Histoire-Géographie, géopolitique, sciences politiques », nouvelle discipline scolaire dont les contours sont flous et dont l’attribution donne lieu à des spéculations. Les associations de spécialistes en demandent un cadrage disciplinaire, mais il n’est pas sûr que cela évite la guerre des disciplines.
Si les professeurs de sciences économiques et sociales peuvent être relativement sereins en ce qui concerne l’organisation des enseignement, il en va autrement pour les contenus.

Un « groupe d’expert » inquiétant

La présence d’un enseignement de science politique (bizarrement au pluriel dans l’OSNI ci-dessus), n’est pas entièrement nouvelle – il existe déjà une « spécialité » « sciences sociales et politiques » en terminale distinct de celui des sciences économiques et sociales comme il existait auparavant une option « science politique » en première – mais elle fait craindre un « tronçonnage de la discipline. D’autant que le président désigné pour piloter le Groupe d’experts chargé de rédiger les futurs programmes est un économiste « pur sucre ». Philippe Aghion, économiste aux titres avérés (spécialiste des théories de l’innovation, professeur au MIT et au Collège de France), comme est avéré son macronisme et son « indifférence » aux questions sociales, pointée par Pierre-Cyrille Hautcoeur comme aux sciences sociales, ainsi que le montre son interview aux Echos où, interrogé sur les sciences économiques et sociales, il ne parle que d’économie, thatchérien à sa façon « There is no such thing as society ». Signalons enfin qu’il serait, avec son collègue Jean Tirole, à l’origine du refus du gouvernement précédent de créer la section « économie et société » au sein du Conseil Nationale des Universités, réclamée par l’AFEP.

De quoi inquiéter les partisans du pluralisme, pluralisme en économie comme pluralisme des sciences sociales.
Mais il y a plus préoccupant. En effet, deux économistes, méconnaisseurs mais néanmoins farouches adversaires des sciences économiques et sociales auraient été nommés par le ministre. Pierre-André Chiappori, professeur à l’université de Chicago et Georges de Menil, franco-américain, anciennement professeur au MIT, tous les deux professeurs aux Etats-Unis, libéraux (très) proches des milieux patronaux, membre pour l’un et correspondant pour l’autre de la très conservatrice section IV de l’Académie des sciences morales et politiques pour laquelle, ils avaient été les co-auteurs de deux rapports, l’un il y a dix, l’autre l’année dernière, très critiques pour ne pas dire assassins à l’encontre de l’enseignement des SES considéré comme « néfaste ». On peut donc leur faire confiance pour contribuer à la « rééducation » des jeunes générations préconisée par leur ami (de l’ASMP) Michel Pébereau.
Jérôme Gautié, autre économiste pressenti, qui lui connait les SES (il est agrégé de SES) risque de se retrouver bien seul, d’autant que rien n’a filtré sur les autres membres de ce groupe.

Le pire n’est jamais sûr et les professeurs de SES et leur association sont mobilisés et ont reçu des soutiens de poids aimablement caractérisés comme « lobbying lourdingue » par Philippe Tournier, secrétaire général du principal syndicat de chefs d’établissement, le SNUPDEN, soutien résolu de la réforme du lycée. Des inflexions sont donc encore possibles.

Pour autant, ce dernier épisode en date témoigne d’un pas supplémentaire dans le lent effacement du projet initial des SES au profit d’une juxtaposition de trois disciplines, économie, sociologie, science politique, déjà largement entamé en particulier avec les programmes actuels, voir ici et .

Gérard Grosse
Le 18 avril 2018