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Réforme du bac: Le massacre de la saint Valentin

Le ministre Blanquer a choisi la saint Valentin, non pas pour déclarer sa flamme au lycée, mais pour flinguer les séries, tout en les recréant plus ou moins.  Quel est l’intérêt (avouable?) de la manoeuvre? En quoi cela va-t-il améliorer le lycée, et aider ceux qui peinent?

Une réforme, c’est toujours un pari

Un consensus mou semble s’être installé. Il faut réformer le bac, et au fond, avec un peu de courage, on va prendre les mesures qui s’imposent. Avant de les détailler, rappelons une évidence, une politique, c’est à partir d’un diagnostic, des mesures que ceux qui les proposent espèrent efficaces, sans en être sûr. On a noté que la réforme du code du travail était une priorité, tout comme les cadeaux fiscaux accordés aux « premiers de cordée ». On libérerait ainsi l’économie qui prospérerait. Et maintenant, le président, le premier, nous dit qu’il faut attendre, et que pour le chômage et le pouvoir d’achat, les effets se feront probablement sentir en 2019 ou 2020. Ainsi donc, le nouveau bac  commence à se mettre en place en septembre 2018, pour aboutir en 2021, pour des effets sur la société, quand?  Faut-il laisser passer une réforme faite au pas de charge, et avec des effets nocifs pour les plus fragiles?

Les élèves fragiles, les oubliés de la réforme

Mauvaise foi penseront certains, mais cette réforme renonce à un principe essentiel, pour aider ceux qui peinent, avoir des créneaux horaires en effectifs allégés. Or,  les cours en tronc commun se feront à 35 ou plus, dès que les établissements le pourront (voir plus bas). Dans la réforme un peu d’aide à l’orientation, mais pas vraiment d’accompagnement personnalisé, de TD (travaux dirigés, de modules). On notera aussi que pour beaucoup d’élèves, le volume en langues vivantes reste bien trop faible, et qui plus est avec des effectifs probablement élevés, beaucoup d’établissements n’auront pas les moyens d’alléger les effectifs.

De même, l’oral en lui-même est loin d’être inintéressant, mais il faudra pouvoir le préparer correctement, or ce sera du bricolage en première, et de l’urgence en fin de terminale. Difficile de corriger les inégalités entre élèves issus de socialisations parentales différentes, dans des contextes culturels fort différenciés.

Bercy se frotte les mains avec la fin des séries

Quel est l’intérêt de les supprimer, puis quasiment de les recréer avec des spécialités? C’est simple, tous les cours communs seront assurés sans distinction de spécialités,  donc on pourra « bourrer les effectifs » et avoir 35 élèves ou plus en français, en langues etc. Là aussi, il suffit de se rappeler que déjà les places aux concours 2018 ont sensiblement baissé. Avant même de connaître les détails, la philosophie du projet était de baisser les coûts, pas uniquement du bac en fin d’année, ce n’est pas ce qui coûte le plus cher, mais en économisant sur la masse salariale (des professeurs).

Le ministre joueur de flûte et de pipeau?

Il faut reconnaître à monsieur Blanquer le talent de ne pas heurter. Comme dans le conte des frères Grimm, avec sa petite musique (« simplicité », « excellence », « modernité » etc.), il réussit le tour de force d’anesthésier les critiques. Ce matin même sur France Inter, une collègue, malgré quelques réserves reconnaissait être subjuguée par le Ministre, au point de se laisser empapaouter comme le suggérait la question de Léa Salamé. Personnellement, je n’ai pas envie de subir le même sort. Plus que de la flûte, j’entends du pipeau quand le ministre parle d’excellence, de préoccupation sociale. Son habileté pour prendre de cours les opposants, c’est de parler du bac, et comme une évidence il impose sa réforme du lycée.

Je pense qu’il faut un moratoire pour prendre le temps de voir l’intérêt et les limites de la réforme. On ne doit pas subir la méthode de gouvernement du président Macron, à savoir faire tout très vite, en laissant croire qu’on fait tout bien, et ensuite reconnaître que pour le pouvoir d’achat, c’est plus compliqué. Il reconnaît aussi qu’il a failli sur le zéro SDF dans la rue. Je n’ai pas envie que dans quelques temps, le duo Macron / Blanquer ou leurs successeurs viennent confesser que les résultats ne sont pas au rendez-vous, et qu’ils se sont trompés.

Une réforme sur un sujet sensible n’est jamais un simple choix entre des mesures purement techniques, ce sont des orientations qui impactent l’avenir de la société, et ici d’abord celui des jeunes. On ne peut pas sous prétexte de faire des coups politiques, montrer qu’on agit, prendre le risque de faire payer cher à une bonne partie de la jeunesse une précipitation, nourrie par une culture pédagogique anglo-saxonne, et libérale du point de vue des finances publiques.

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