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NOUVEAU BAC

Les SES redoutent de perdre leur sens

Par Marlène Thomas —  (mis à jour le )

Au delà de la perte du nombre d’heures, les enseignants pointent les effets pervers du lycée à la carte.

Ils sont très inquiets. Les professeurs de sciences économiques et sociales (SES) voient d’un mauvais oeil cette réforme du bac, qui met en péril leur matière, déplorent-ils. Première inquiétude: la baisse du nombre d’heures.  La suppression des S, ES et L prévue par la réforme va déboucher sur la création d’un tronc commun, complété par trois disciplines de spécialité en première (quatre heures hebdomadaires chacune), puis deux en terminale (six heures chacune). Les SES feront partie de ces matières proposées en spécialité. De fait, le volume horaire va donc baisser – les lycéens avaient jusqu’alors cinq heures hebdomadaires  minimum de SES en première, pareil en terminale, et plus encore pour ceux prenant l’option SES et en comptant l’aide personnalisée.

Au delà de la perte en volume horaire, l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (APSES), très active, craint que la suppression des séries ne remette en question la cohérence des SES. «On risque de perdre la cohérence intellectuelle, la complémentarité entre les disciplines qu’offrent les séries, déplore Erwan Le Nader, président de l’APSES, qui rassemble plus d’un tiers des enseignants de la profession. On pourrait avoir des élèves qui choisissent d’étudier les SES, mais pas les maths, qui ne seront pas dans le tronc commun. D’une part, les maths sont utiles pour comprendre le monde social, d’autre part ce système va constituer des classes de niveaux et accentuer la hiérarchisation au lycée. Les élèves qui n’auront pas choisi maths risquent de se fermer des portes dans l’enseignement supérieur.»

Défendre leur série : les profs de la filière y sont rompus depuis la création de cette matière et du bac B à dominante SES en 1966, sous De Gaulle. Fondée sous l’impulsion d’historiens, la filière, considérée par certains comme trop de gauche, a intégré l’idée de l’unité des sciences économiques et sociales. Une pluridisciplinarité qui dérange. D’abord parce qu’elle ne fait pas écho à l’enseignement supérieur, où la fac de sociologie est différenciée de celle d’économie-gestion. Ensuite, explique Erwan Le Nader, en raison de «l’influence de lobbys patronaux. Ils considèrent que les SES seraient « compassionnelles », néfastes, qu’on aborderait négativement l’étude de la société française. En gros, qu’on déprimerait la jeunesse. Ils ont donc toujours voulu que les SES soient moins axées sur les problématiques économiques et sociales contemporaines et plus sur le fonctionnement de l’entreprise et de l’économie de marché.»

Ces critiques, portées selon le président de l’APSES par le Medef ainsi que par les rapports de la section économie et statistiques de l’Académie des sciences morales et politiques, ont résonné jusqu’au ministère de l’Education et «préfiguré la réforme Chatel de 2010». Erwan Le Nader regrette que le découpage du programme soit «devenu disciplinaire – économie, sociologie et une petite partie regards croisés -, alors qu’on avait une approche par thèmes – emploi, mondialisation, etc. Or, si on veut comprendre le monde social, on a besoin de confronter les approches économiques et sociologiques». Une évolution que déplore aussi le Conseil supérieur des programmes, dans son rapport rendu en octobre 2017.

Marlène Thomas

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