«Le Conseil supérieur des programmes a été dépossédé de ses missions», dénonce son ex-vice-présidente

Linguiste et ex-vice-présidente du CSP, Sylvie Plane revient sur sa démission, notamment à la suite de la publication d’une tribune dans les colonnes de «Libération», et sur l’avenir plus qu’incertain de l’institution. Entretien.

Sylvie Plane, vient de démissionner de la vice-présidence du Conseil supérieur des programmes (CSP). Après le départ fin septembre de son président Michel Lussault, cette annonce résonne de manière particulière. L’instance, mise sur pied en 2013 par la loi de refondation de l’école, avait un statut à part, conçu pour qu’elle soit indépendante du ministère de l’Education. Les 18 membres, dont dix «personnalités qualifiées pour leur excellence dans leur domaine et leur connaissance du système éducatif», six parlementaires, deux membres du Conseil économique, social et environnemental (Cese) disposent ainsi, selon les textes, d’une liberté d’action dans leurs missions.

Sylvie Plane, professeure émérite de sciences du langage à l’université Paris-Sorbonne, explique sa démission à Libération et revient sur le rôle et l’essence de ce conseil qu’elle estime aujourd’hui vidé de sa substance.

Que s’est-il passé ?

J’estime qu’au cours des derniers mois, le CSP a été petit à petit complètement dépossédé de ses missions. Et je déplore aussi une remise en cause de l’indépendance du conseil, du moins de mon indépendance en tant que vice-présidente.

Que voulez-vous dire ?

Il y a quelques semaines, j’ai informé les autres membres du conseil que j’allais publier dans Libération une tribune pour mettre fin à une nouvelle rumeur, après celle qui avait couru sur le prédicat, et qui touchait à nouveau notre travail au CSP. Cette fois, la rumeur portait sur la disparition supposée du passé simple des programmes scolaires… Je voulais rétablir les faits, et démonter cette fausse information. Quelques jours après cette réunion, la présidente du conseil, Souad Ayada, inspectrice générale de l’Education nationale, m’a écrit un courrier, me disant que m’exprimer publiquement dans la presse nationale en tant que vice-présidente du CSP allait susciter une polémique dont le Conseil n’a pas besoin. «Je vous demande de vous assurer qu’il ne sera pas fait mention du CSP et du fait que vous en êtes la vice-présidente dans l’article à paraître dans Libération», pour reprendre ses mots exacts. Mais taire mon appartenance aurait détourné le sens de mon intervention, car si je suis linguiste, c’est aussi en tant que vice-présidente de cette institution que je tenais à prendre sa défense. Et surtout, une des conditions de l’indépendance du CSP, c’est la liberté de parole de ses membres qui n’ont pas à se soumettre à une autorité hiérarchique. C’est d’ailleurs pour cette raison que chacun des membres du CSP est nommé par décret ministériel et non choisi par le président du CSP. Et par ailleurs, nous ne sommes pas placés sous l’autorité du ministre [même si c’est au ministre que revient la nomination des membres du Conseil, ndlr].

Je lui ai donc répondu cela, en ajoutant qu’en cas de désaccord, je n’aurais d’autre option que de démissionner. La tribune est parue dans Libération le 15 janvier. Une semaine plus tard, la présidente m’écrit qu’elle accepte ma démission. Et elle envoie aussitôt un message aux autres membres leur disant que ma démission lui semblait souhaitable. Ayant été nommée par un ministre [Vincent Peillon, ndlr], c’est donc à un ministre [Jean-Michel Blanquer, ndlr] qu’il appartient de recevoir ma démission. Mais passons sur mon cas personnel, ce n’est pas le plus grave dans cette histoire.

Cela semble tout de même être une mise sous tutelle du CSP…

Quand Michel Lussault [l’ancien président du CSP, ndlr] a démissionné fin septembre, nous nous sommes retrouvés au CSP dans une totale incertitude sur notre devenir. A ce moment-là, je m’étais posée la question de partir. J’ai hésité, mais j’ai fait le choix de rester. Je croyais en nos missions et je pensais pouvoir aider le CSP à œuvrer pour une école plus juste, plus attentive à l’ensemble des élèves, et travailler sur des questions de fond.

Mais depuis l’arrivée de la nouvelle majorité, notre travail est devenu très compliqué. Pour prendre un exemple, le CSP a élaboré conjointement avec le Conseil national éducation économie un rapport sur l’enseignement des sciences économiques et sociales (SES), en réponse à une saisine ministérielle. L’élaboration de ce rapport a pris beaucoup de temps, nécessité beaucoup d’auditions. Nous avons voulu remettre notre rapport à Jean-Michel Blanquer. Le ministre ne nous a pas reçus, ni même accusé réception de notre travail que nous avons fini par lui envoyer.

Vous dites que le Conseil est peu à peu dépossédé de ses attributions…

Je donne un autre exemple : la mission confiée à Pierre Mathiot sur la réforme du baccalauréat. Dans la loi du 8 juillet 2013 qui précise nos missions, on trouve : «La nature et le contenu des épreuves des examens conduisant aux diplômes nationaux de l’enseignement du second degré et du baccalauréat». Sans vouloir faire de polémique, nous avons contacté Pierre Mathiot pour travailler avec lui… Il nous a auditionnés une heure comme les organisations syndicales et d’autres. Cela s’est arrêté là. Je pourrai aussi citer la «mission sur l’école maternelle» confiée à Boris Cyrulnik ou encore la «mission maths» de Cédric Villani, qui là encore court-circuitent le CSP. On se retrouve dépossédé de nos missions.

Et vos programmes de 2015 semblent aussi sur la sellette. Auditionnée à l’Assemblée, la semaine dernière, la présidente Souad Ayada a dit ouvertement son intention de revenir sur les programmes pensés par cycle.

Elle a annoncé en effet la publication de «repères annuels» pour les programmes du CP à la troisième. Les repères de progressivité existent déjà dans les programmes : ils figurent à la fin de chaque programme de cycle. En fait, ce qui est en jeu, c’est la logique de cycle de trois ans : il s’agit de casser les cycles, avec à la clé des tests annuels et le retour des redoublements. Il est question, dit-elle, de «lisser» les programmes… Sous ce vocabulaire, se cache en réalité l’idée de les réécrire, au risque de déstabiliser encore les enseignants, les éditeurs de manuels scolaires et les familles. Il nous a aussi été dit que le CSP devrait recevoir le nouveau Conseil scientifique de l’Education nationale, qui vient d’être créé par Jean-Michel Blanquer, et que nous tiendrons compte de leurs avis pour réviser les programmes. C’est un changement majeur. Jusqu’ici, nous étions libres de choisir les experts à auditionner ! C’est une remise en cause de notre indépendance que je dénonce.

Marie Piquemal

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