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La réforme du bac soulève les inquiétudes des enseignants

A la veille des annonces prévues mercredi, des professeurs de lycée s’inquiètent de l’avenir de leurs disciplines.

LE MONDE |  13.02.2018 à 10h45 • Mis à jour le 13.02.2018 à 14h17 | Par  Violaine Morin

Alors que le ministre doit rendre mercredi ses arbitrages sur la réforme du bac, les enseignants sont nombreux à s’inquiéter pour l’avenir de leurs disciplines. Des associations reçues par Pierre Mathiot lors des auditions destinées à nourrir l’écriture de son rapport l’ont fait savoir, et réclament des options alternatives. Même si la teneur de la réforme a déjà beaucoup changé depuis la publication du rapport, le 24 janvier.
Les premiers à monter au front furent sans doute les professeurs de sciences de la vie et de la terre (SVT) et de physique-chimie : Pierre Mathiot envisageait, en effet, de rendre optionnelle la physique et la SVT dès le deuxième semestre de 2de. Trois semaines après la remise du rapport Mathiot, l’horizon semble s’éclaircir. En 2de, le projet de matières optionnelles au deuxième semestre est abandonné.

Mais les professeurs de physique-chimie et de SVT restent inquiets. Qu’adviendra-t-il du bloc « sciences » indifférencié dont parle le rapport Mathiot, proposé en 2de ? « L’abandon de l’idée de rendre les SVT et la physique optionnelle au deuxième trimestre nous rassure », convient Serge Lacassie, le président de l’Association des professeurs de biologie et de géologie. « Mais on ne sait toujours pas comment va être départagé ce bloc ». Ces « sciences » pourraient cacher une réduction des heures de SVT et de physique-chimie. « On voit venir gros comme une maison un bloc de trois heures que l’on devra répartir entre les deux disciplines », s’inquiète Vincent Parbelle, président de l’Union des professeurs de physique et de chimie (UdPPC). Aujourd’hui, les élèves de 2de ont trois heures de physique et une heure et demie de SVT, sans compter les heures de TP.

Des craintes concernant les spécialistes

Les enseignants craignent pour la « culture scientifique commune » de tous les élèves, mais également pour les spécialistes. D’abord à cause de ces fameux « couples » d’enseignements de spécialité en 1re et en terminale, dont les assemblages possibles ne sont toujours pas arrêtés. Les enseignants de SVT, échaudés par les assemblages qui figuraient dans le rapport Mathiot (un seul binôme comprenant de la SVT, en association avec la physique) réclament toujours la possibilité d’assembler cette matière avec les mathématiques. « En prépa biologie par exemple, les élèves sont recrutés sur leur niveau en maths, il faut donc assurer ces deux matières au même niveau », commente Serge Lacassie.

« ON ENTEND LE PONCIF “ON SÉLECTIONNE PAR LES SCIENCES” ALORS QUE LES HEURES NE FONT QUE DIMINUER », VINCENT PARBELLE, ENSEIGNANT
Vincent Parbelle rappelle également que, dans le bac S actuel, les lettres et sciences humaines comptent pour 40 % de la note. Dans le bac resserré autour de quatre épreuves terminales et une épreuve anticipée, le poids des différentes matières permet aisément de calculer que les enseignements de spécialité vaudront environ 25 % de la note. « Donc un élève qui choisit deux matières scientifiques en spécialité voit les sciences peser encore moins que dans l’ancienne formule », résume Vincent Parbelle. L’UdPPC craint de perdre encore un peu plus le « cœur » de la filière S, où les heures ont déjà été rognées : en première, les élèves de S ont trois heures de physique par semaine, pour quatre heures trente avant la réforme de 2010. « On entend le poncif “on sélectionne par les sciences” alors que les heures ne font que diminuer », regrette l’enseignant.
Du côté des sciences humaines, on fait peu ou prou le même diagnostic : la sanctuarisation de quelques matières se fait au détriment des autres. Non pas à cause de leur disparition en épreuves terminales, cette solennité du mois de juin n’étant pas particulièrement chère au cœur des professeurs. En histoire-géographie par exemple, « l’épreuve du bac se résumait pour certains élèves à envisager les huit sujets possibles en histoire, huit autres en géo, à en choisir quatre de chaque et à les apprendre par cœur », se désole Bruno Modica, président de l’association Les Clionautes.

La dotation horaire fâche

Non, là encore, c’est plutôt la dotation horaire qui fâche. Vu le nombre de matières en tronc commun, l’histoire-géo se verrait octroyer une fourchette horaire située autour de deux heures par semaine en 1re et en terminale. Aujourd’hui en 1re elle est de deux heures trente pour les S, et de quatre heures pour les L et les ES. « Ceux qui prendront histoire-géo en spécialité en auront plus », concède Franck Collard, le président de l’association des professeurs d’histoire et géographie (APHG). « Mais ils seront peu nombreux ». L’APHG espérait que l’histoire-géo soit considérée comme une discipline « universelle » au même titre que la philosophie. « Va-t-on pouvoir assurer une connaissance de base de l’honnête homme ou du citoyen ? Ce n’est pas sûr du tout », conclut l’enseignant.

On trouve cependant un corps disciplinaire pour témoigner de son attachement aux filières actuelles : les sciences économiques et sociales, maîtresses de la « troisième voie » entre les lettres et les sciences. Dans la nouvelle architecture, les SES correspondraient à l’une des huit « spécialités » au choix en cycle terminal. Mais les assemblages possibles inquiètent beaucoup les enseignants, qui craignent que les SES ne soient proposées que dans un seul binôme. « Cette troisième culture existe bel et bien, et elle doit être préservée », martèle Erwan Le Nader, président de l’association des professeurs de sciences économiques et sociales (APSES). « Nous demandons le maintien des séries, qui permettent de concevoir des programmes en complémentarité ».

Car l’enjeu majeur de la réforme, aux dires mêmes de ceux qui la pilotent, est de réformer les derniers cycles du secondaire pour favoriser l’entrée à l’université. Pour les enseignants de ces disciplines, il était urgent d’agir, mais les pistes actuelles semblent en contradiction avec ce nouveau parcours pensé entre « bac – 3 et bac + 3 ». En sciences, on craint de préparer encore plus mal des élèves qui arrivent déjà faibles dans les classes préparatoires scientifiques ou à l’université, et de ne plus pouvoir offrir à tous, en cycle terminal (1re et terminale) un enseignement scientifique dont l’absence pourra pêcher ensuite, par exemple chez les élèves littéraires qui se destinent à devenir professeurs des écoles.
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