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Pour Xavier Huillard «rendre optionnelle une notion aussi fondamentale que le marché serait une grave erreur qu’il est encore temps de corriger».

Par Xavier Huillard

Figaro du 06/07/2016 Publié le 06/07/2016 à 08h50

FIGAROVOX/TRIBUNE – Le président de l’Institut de l’entreprise Xavier Huillard \*regrette que le gouvernement envisage d’alléger à nouveau les programmes d’économie en classe de seconde.
Les Français sont fâchés avec l’économie. Ils ne connaissent pas les concepts simples et ne maîtrisent pas les raisonnements économiques de base (déficit, dividendes, PIB…). Pire, les paramètres économiques de leur vie quotidienne leur échappent, qu’il s’agisse de calculer un salaire net ou le coût d’un emprunt. Ce constat n’est pas neuf. En 2010, un quiz de vingt-sept questions de connaissance économique réalisé par TNS Sofres auprès d’un millier de personnes de plus de 15 ans a donné une moyenne de 8,3/20.
Les conséquences d’une telle méconnaissance sont dramatiques. Nos concitoyens sont mal préparés à affronter une concurrence mondialisée qui a, elle, parfaitement intégré le jeu de l’économie de marché. Les jeunes ont du mal à définir un projet professionnel et à s’insérer dans le monde du travail. L’insuffisante compréhension des mécanismes économiques par les salariés et les responsables syndicaux rend plus difficile l’adaptation de nos entreprises à la conjoncture. Les Français comprennent mal les enjeux de la maîtrise des dépenses publiques et, dès lors, n’acceptent pas des réformes dont ils ne perçoivent pas la nécessité. Ils sont plus sensibles à des discours populistes ou nihilistes présentant la sortie de l’euro, l’érection de barrières protectionnistes ou la «mise à mort du capitalisme» comme la solution à tous nos problèmes. Il ne s’agit pas d’aimer ou non le fait économique, il s’agit de comprendre dans quel monde nos entreprises et notre pays s’insèrent. Enseigner l’économie le plus tôt et le mieux possible dans les cursus scolaires et renforcer le lien entre l’école et l’entreprise sont donc des leviers essentiels pour sensibiliser les prochaines générations à ces enjeux.

L’immense majorité des élèves arrivant au niveau du bac n’aura jamais eu l’opportunité de comprendre le jeu de l’offre et de la demande, compréhension sans laquelle la plupart des mécanismes économiques se résument au mieux à de la magie et au pire à d’obscurs arrangements entre initiés
En 2010, l’enseignement de l’économie en classe de seconde avait déjà été amputé de moitié. Cette matière se réduit actuellement à une heure trente par semaine d’enseignement d’exploration, ne donnant pas nécessairement lieu à notation. Afin d’alléger un programme jugé trop ambitieux en regard du volume horaire alloué, le ministère de l’Éducation nationale envisage de rendre facultatif le thème du marché («Comment se forment les prix sur un marché?»). On peut s’étonner que, parmi les cinq thèmes obligatoires, la question centrale du marché devienne optionnelle alors que par exemple la question «Comment devenons-nous des acteurs sociaux?», certes intrigante mais d’importance secondaire, reste obligatoire. Par le jeu de l’orientation après la seconde, seul un quart des élèves – ceux des filières sciences économiques et sociales ou économie-gestion – approfondiront la question du marché. Mais l’immense majorité des élèves arrivant au niveau du bac n’aura jamais eu l’opportunité de comprendre le jeu de l’offre et de la demande, compréhension sans laquelle la plupart des mécanismes économiques se résument au mieux à de la magie et au pire à d’obscurs arrangements entre initiés. Cette décision est d’autant moins compréhensible que beaucoup a été fait ces dernières années, par une institution réputée rétive à la chose économique, pour faire tomber les barrières. Le Conseil national éducation-économie, qui vise à mieux articuler les enjeux éducatifs et économiques, ou le parcours Avenir, qui permet aux élèves de se familiariser avec le monde professionnel, en sont des exemples.

C’est pourquoi rendre optionnelle une notion aussi fondamentale que le marché serait une grave erreur qu’il est encore temps de corriger. Certes, le péché originel a consisté à réduire les heures dévolues à l’économie en seconde, et il faudrait reconsidérer cette décision. Mais en l’état, si les programmes sont lourds, c’est qu’ils ont été pensés pour être délivrés via un enseignement classique. Augmenter le volume horaire doit aussi permettre de créer les conditions favorables pour que les professeurs puissent enseigner l’économie via des cas concrets, des visites en entreprise, des interventions en classe de chefs d’entreprise ou des projets pédagogiques de mini-entreprises, autant de façons de rendre accessibles des notions parfois difficiles. Par ailleurs, il est raisonnable de continuer à sensibiliser à l’économie les élèves des filières scientifiques et littéraires en première et terminale, pour qui l’approche économique se sera résumée à cinquante-quatre heures au cours de toute leur scolarité.

Il serait désastreux que les efforts déployés par les nombreux enseignants et chefs d’entreprise conscients de l’importance d’une compréhension plus concrète des mécanismes économiques par les élèves soient mis à mal par une décision hâtive. Des centaines de professeurs de sciences économiques et sociales viennent échanger avec des chefs d’entreprise et les meilleurs économistes de France lors des Entretiens enseignants-entreprises organisés tous les ans par l’Institut de l’entreprise (1). Le succès croissant de cet événement organisé depuis plus de quinze ans démontre – s’il en était besoin – que la soif de connaissance ne s’arrête pas aux portes de l’école ou à l’intitulé des programmes. Si l’on considère que le redressement économique est la priorité absolue du pays, ne bridons pas cet élan prometteur.

*Président-directeur général de Vinci. (1) La prochaine édition des Entretiens enseignants-entreprises se tiendra les 25 et 26 août 2016 sur le campus de l’École polytechnique(www.eee2016.fr).

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