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Allègement du programme de SES au lycée : le choix des chapitres à supprimer passe mal chez les profs

Demandeuse d’un allègement du programme, l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales s’inquiète de la réponse du ministère qui a supprimé trois thématiques particulièrement sensibles traitant de l’action de l’État.

Benjamin Quenesson, coprésident de l’Apses : « Le caractère pluridisciplinaire des SES doit être préservé. »

Benjamin Quenesson, coprésident de l’Apses : « Le caractère pluridisciplinaire des SES doit être préservé. » Photo Thierry Nectoux/Gamma Rapho

Par Marion Rousset

Publié le 26 juin 2024 à 18h09

Le ministère de l’Éducation nationale vient d’annoncer l’allègement du programme de SES au lycée. Depuis plusieurs mois, l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (Apses) alertait sur sa lourdeur. À l’appui : une enquête auprès des enseignants de la discipline montrait que, début mars, 64 % d’entre eux n’avaient traité que la moitié du programme de terminale, soit six chapitres sur douze. Reste que la réponse du ministère suscite des inquiétudes parmi les professeurs. Benjamin Quenesson, coprésident de l’Apses appelant à une grève du grand oral, détaille les raisons de ce mécontentement.

Le ministère vient d’annoncer l’allègement du programme de SES, en réponse à votre demande. Pourquoi cette mesure ne vous convient-elle pas ?
Le ministère fait preuve de mépris à notre égard. Il a pris une décision verticale, sans s’appuyer sur notre expertise de terrain. Nous n’avons pas été concertés, alors même que nous avions travaillé au sein de l’association à construire des mesures d’urgence et des propositions d’allègement, au sein de chaque chapitre. Une approche qui avait l’avantage de ne laisser de côté aucune thématique, et de préparer au mieux les élèves à l’enseignement supérieur. Mais le ministère a préféré supprimer trois chapitres, soi-disant pour « resserrer » le programme sur les « savoirs fondamentaux » : il veut faire disparaître ceux qui portaient sur le rôle joué par les pouvoirs publics dans la lutte contre les inégalités, sur l’inégalité des chances à l’école et sur les crises financières. Certes, l’ensemble des thématiques du programme de SES soulève des questions de société, autour de la lutte contre le chômage, de la croissance économique, etc. Mais ces trois chapitres sont particulièrement sensibles, puisqu’ils traitent de l’action de l’État. Si on les supprime, les élèves seront moins armés intellectuellement, à l’issue de leur cursus scolaire, pour comprendre le fonctionnement de la société et les inégalités qui la structurent.

Si je reçois une convocation pour le grand oral, je ne siégerai pas dans le jury.

Les programmes avaient été alourdis en 2019 par l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, au moment de la réforme du baccalauréat…
Cette réécriture avait non seulement alourdi les programmes, mais aussi entraîné un manque de pluralisme dans le traitement des sujets. L’économie dominante est clairement mise en valeur, ce qui laisse assez peu de place au débat. On demande de plus en plus aux élèves d’apprendre par cœur des mécanismes qu’ils doivent recracher lors des épreuves du baccalauréat. À propos des limites environnementales de la croissance économique, par exemple, on ne leur présente plus qu’une seule solution : l’innovation technologique… Dans les programmes précédents, on traitait aussi la question de la sobriété. Ce recul du débat est une tendance que l’annonce récente de la suppression des trois chapitres par le ministère va encore accentuer.

Cet allègement vient-il troubler l’équilibre des SES, entre l’économie et la sociologie ?

Le déséquilibre entre les thématiques économiques, d’un côté, et celles qui relèvent de la sociologie et des sciences politiques, de l’autre, est inquiétant. On supprime des cours sur la sociologie de l’école ou la justice sociale, tandis que trois chapitres sont consacrés au marché en première. Le caractère pluridisciplinaire des SES doit être préservé. De ce point de vue, le projet de réforme de la formation des enseignants ne va pas dans le bon sens. Jusqu’à présent, le concours du Capes était en master 2, ce qui laissait le temps de former correctement les candidats à ces trois disciplines. Avec un recrutement plus précoce, au milieu de la troisième année de licence, les étudiants en économie qui forment le gros des troupes risquent de ne pas avoir les compétences suffisantes en sociologie et en sciences politiques. D’autant que la place prévue pour la formation disciplinaire dans les nouvelles Écoles normales du professorat est relativement faible. Cela ne veut pas dire que la formation en master 2 était satisfaisante ! Mais le projet présenté va mettre à mal la formation disciplinaire et didactique des enseignants, et plus généralement la capacité de l’école de la République à émanciper les élèves, à leur apporter de la rationalité scientifique.

Maintenez-vous votre appel à la grève du grand oral ?
Cette décision a été prise lors de l’assemblée générale de l’Apses, et nous l’avions annoncée en janvier, pour dénoncer les conditions inégalitaires de préparation de cette épreuve : le programme de SES était trop lourd pour que nous ayons le temps d’entraîner les élèves au grand oral. Au vu de la réponse du ministère, nous maintenons cet appel à la grève. Si je reçois une convocation pour le grand oral, je ne siégerai pas dans le jury, et, si je ne suis pas remplacé, les élèves seront reconvoqués. Nous avons conscience que cela ajoutera du stress, mais nous sommes dans un conflit de valeurs.

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