Qui veut la peau des sciences économiques et sociales?

Nouveau guet-apens contre les sciences économiques et sociales, alors qu’elles fêtent leurs 50 ans d’existence.

Depuis plusieurs décennies, elles sont victimes d’attaques, parfois à fleurets mouchetés, parfois à l’arme lourde. C’est le cas avec l’agression de l’académie des sciences morales et politiques qui prétend dans son rapport, que les SES n’étaient pas loin d’être « néfastes » (p 35) et qu’elles auraient le fâcheux travers de « tomber dans une culture journalistique » (p 13)! Devant cette répétition d’attentats, un excellent inspecteur a été désigné pour mener l’enquête. Puisqu’il est excellent (ex Ceylan?), on peut donner une précision non capitale, son nom est Colombo.

Quel est le mobile des attaques?

Colombo a écarté la vieille rengaine sur des profs de SES qui ne seraient que des gauchistes, cherchant à pervertir l’esprit sain des élèves, pour affaiblir le capitalisme. En revanche, il a bien remarqué  que ces professeurs, en analysant le fonctionnement du capitalisme, en expliquaient aussi les dysfonctionnements et les conséquences sociales, puisque les SES ne peuvent se réduire à la science économique. Certains veulent oublier que les SES font la part belle à la sociologie. Voilà qui indispose ceux qui aimeraient qu’on donne les rudiments d’une science économique aux pseudo règles incontestables (!). Selon eux, l’ex élève de SES  devenu adulte,  doit être un consommateur, un épargnant, un homo-oeconomicus (ou  individu rationnel) qui acceptera les sacrifices, du fait de contraintes économiques qui le dépassent. Il n’ a surtout pas à se pencher sur les choix politiques qui ont conduit à ces situations.

L’inspecteur a été consterné par la prise de risques de ces enseignants, qui prétendent encourager les jeunes à penser par eux-mêmes, à se forger des opinions personnelles. En agissant de la sorte, ils seront forcément dans le viseur des conservateurs.

Quelles sont les modalités de ces attaques?

Difficile d’éliminer physiquement le corps des enseignants de SES. En revanche, il existe d’autres moyens sournois pour éradiquer, ceux qui ont la prétention de former des citoyens avertis.

L’acide est un bon moyen. Il faut dissoudre les SES. Ce n’est pas la  première fois qu’on les agresse de la sorte. R Jammes l’explique bien ici. Aujourd’hui, il s’agirait de fusionner les enseignements d’exploration d’économie au lycée en seconde. Ainsi, les professeurs de SES et d’économie-gestion feraient le même programme. La ficelle est grosse. On expurgerait de ce programme la sociologie, puisque les collègues estimables de gestion n’ont pas a priori de formation sociologique poussée. Et puis, pourquoi pas fusionner les séries ES et STMG? On voit aussi le piège, essayer de dresser les profs les uns contre les autres. Nos agresseurs obsédés par les SES sont comme un assassin, qui après avoir tiré sur la victime rajoute quelques coups de couteaux, pour être sûr du résultat. Ici, ils veulent pratiquer l’amputation. Ils veulent entre autres, qu’on écarte toutes les questions qui font débat, et qu’on renonce à la science politique, à la macroéconomie, mais aussi à la dissertation.

Qui sont les suspects?

L’inspecteur a bien repéré Pierre du Maideffe, qui comme son père Yvon n’est jamais très loin, quand quelqu’un fomente un coup tordu contre les SES. Pourtant, la rumeur ne fait pas de lui le mastermind, le liquidateur en chef des SES. Il semblerait qu’il se trouve au sein même de l’académie des sciences morales et politiques. L’inspecteur Colombo a trouvé que les enseignants allaient un peu loin, en suspectant cette noble assemblée composée sûrement d’universitaires capables de formuler des avis objectifs. L’interrogatoire de P Askenazy  a fait vaciller ses certitudes. L’inspecteur a appris que cette académie qui fait partie de l’Institut de France n’a depuis sa création en 1832, jamais élu de femme. D’autre part, elle est désormais composée très majoritairement de patrons ou ex patrons du secteur privé. Il est convaincu d’avoir démasqué l’instigateur persévérant de toutes ces manoeuvres contre les SES. Mais comment le prouver, comment démasquer un banquier qui a su faire prospérer sa banque dans les paradis fiscaux? Il est habitué aux couvertures, et aux hommes de paille. L’inspecteur pense désormais que cette académie est bien plus politique que morale.

Dans les enquêtes télévisuelles de Columbo [avec un U], l’histoire commence par un meurtre, l’inspecteur cherchant simplement à confondre le meurtrier. Dans notre enquête, notre Colombo a compris que le corps des enseignants était lui bien vigoureux, et qu’il n’allait pas se laisser trucider, pour satisfaire les vieilles lunes de ceux qui veulent que se multiplient les travailleurs résignés, et les consommateurs drogués à la croissance, plutôt que des citoyens critiques. Les profs de SES, pour se protéger ne vont pas utiliser des boucliers humains, mais ils invitent tous ceux, femmes et hommes, électeurs de gauche ou de droite, employeurs ou employés, cadres supérieurs ou chômeurs qui ont suivi des cours de SES, et estiment que ces cours les ont aidés à devenir des citoyens mieux informés, plus autonomes, à dire: « Ca suffit, les SES ne doivent plus être une cible! »

http://enseigner.blog.lemonde.fr/2017/03/31/qui-veut-la-peau-des-sciences-economiques-et-sociales/

 

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