INTERVIEW – L’économiste, proche d’Emmanuel Macron, est à la tête d’un groupe d’experts chargé de réécrire les programmes de sciences économiques et sociales. Il assure, aux « Echos » vouloir mener des « débats sans tabou et sans a priori ».

Vous allez présider un groupe d’experts pour réécrire les programmes de sciences économiques et sociales. Avec quel objectif ?

On ne va pas faire table rase du passé. Les programmes existent et ils contiennent beaucoup de bonnes choses. Mais il y a, en France, un problème d’inculture économique. Je l’ai ressenti très fortement durant la campagne présidentielle : ce sentiment que nos concitoyens étaient perméables à des raisonnements économiques outrancièrement erronés, sans esprit critique. Il y a un manque d’éducation économique de notre population. Cette inculture concerne jusqu’aux écrivains et autres personnalités de l’intelligentsia qui interviennent régulièrement à la télévision : dès qu’ils parlent d’économie, le propos devient moins pertinent.

Il faut donc former des citoyens du monde qui comprennent les mécanismes économiques de base. Exemples : quelles seraient les conséquences économiques d’une sortie de l’euro ? Quels sont les effets directs et indirects d’une relance budgétaire ? Il faut que les mécanismes de base soient assimilés, comme dans les autres disciplines. Ensuite, on peut critiquer et comprendre pourquoi, par exemple, les marchés sont imparfaits. Mais il faut qu’un socle de base soit maîtrisé. Or, malheureusement, souvent, il ne l’est pas.

 

Vous disiez en 2017 : il faut une « évaluation rigoureuse » des programmes avant de les réformer. Allez-vous les évaluer ?

Nous n’allons pas prendre les programmes existants et les déchirer. Au contraire, nous allons nous appuyer sur les acquis et sur les réflexions menées par nos prédécesseurs. En particulier, le rapport Guesnerie [rapport de 2008 remis à l’ex-ministre Xavier Darcos, NDLR] contenait déjà d’excellentes idées qui ont été reprises. Donc il y a déjà une base.

Notre motivation est d’améliorer les programmes en s’inspirant des bonnes pratiques internationales et avec le souci permanent de motiver et d’intéresser les élèves : chaque sujet étudié devra être imprégné du dialogue entre l’empirique et la théorie, de sorte que les lycéens puissent lire un journal, comprendre ce qui se passe autour d’eux et que ceux qui veulent poursuivre en économie dans l’enseignement supérieur puissent le faire parce qu’ils auront des bases solides. On veut également que l’élève comprenne la différence entre une corrélation et un lien de causalité. Enfin, il y a un aspect ludique dans l’enseignement de l’économie – notamment lorsqu’on étudie les interactions stratégiques – qui est très important.

Est-ce possible de former les lycéens comme vous le souhaitez, avec 1 h 30 par semaine de sciences économiques et sociales en seconde ?

Tout sera débattu au sein de notre groupe et en relation constante avec les associations de professeurs de sciences économiques et sociales. Il est évident que ce que l’on peut faire avec 1 h 30 par semaine est relativement limité. Mais déjà on peut sensibiliser les élèves aux grandes questions et aux tendances historiques de l’économie. Et les introduire à certaines notions dont on parle dans les journaux : taux d’intérêt, taux de change, taux de chômage, mesures d’inégalités, déficits et dette, etc.

Des critiques se font entendre sur la présence, dans le groupe d’experts, de représentants de l’Académie des sciences morales et politiques – très critique avec les sciences économiques et sociales. Cela ne risque-t-il pas de crisper le débat ?

C’est un groupe diversifié, avec des éclairages et des expériences très complémentaires. Ce que je souhaite, c’est un processus constructif, avec des débats sans tabou et sans a priori, avec ce souci commun de former des citoyens capables de raisonner par eux-mêmes, de comprendre le monde dans lequel ils évoluent, et qu’ils soient bien préparés pour poursuivre des études supérieures. Je tiens beaucoup à maintenir un contact permanent avec les associations d’enseignants, car toutes ont une expérience très précieuse à apporter. Au final, ce seront aux professeurs de mettre en oeuvre ce programme : il faudra donc qu’ils se l’approprient en étant associés étroitement à sa conception.

Comprenez-vous les craintes de « démembrement » des sciences économiques et sociales de certains enseignants ?

Je les comprends et les respecte mais, précisément, mon objectif en engageant ce travail est de les rassurer en produisant le matériel pédagogique le meilleur possible pour appuyer leurs enseignements. A l’intérieur du cadre proposé, on peut faire quelque chose de très bien.

Marie-Christine Corbier
@mccorbier