Les professeurs de SES dans la rue pour défendre leur discipline

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Qu’ont ils de particuliers les professeurs de SES ? Devant le ministère de l’éducation nationale, ils étaient plusieurs centaines à manifester le 11 avril contre la réforme du lycée, 500 selon les organisateurs. Un nombre pas négligeable pour une discipline qui ne compte que 5600 enseignants. Et pour une réforme qui n’a mis aucune association d’enseignants dans la rue jusqu’à maintenant. Si autant de professeurs de SES sont déjà mobilisés contre la réforme c’est parce qu’ils sont persuadés que le ministre a décidé d’en finir avec la dernière née des disciplines.

 

Derrière la question de l’horaire…

 

« On veut une place véritable dans le tronc commun de seconde », nous a dit Erwan Le Nader, président de l’Apses, l’association qui réunit les professeurs de SES. « Les SES sont une matière absente du tronc commun au collège et après la seconde or elle traite de questions essentielles pour la démocratie comme comprendre la mondialisation, les inégalités entre hommes et femmes , le chômage. » Or 1h 30 semble insuffisant pour transmettre  cet enseignement même si c’est le volume que les élèves ont actuellement  en seconde. « Une heure trente c’est actuellement un  temps de souffrance pour les enseignants », nous a dit Patricia Morini, professeure au lycée Claude Monet de Paris. « On n’a pas assez de temps pour mettre en place la matière, la faire connaitre aux élèves ». Si les enseignants sont heureux du passage d’un enseignement d’exploration pratiquement pris par 90% des élèves, au tronc commun, ils estiment que les conditions ne sont pas réunies pour ça se passe bien.

 

Celle de la dénaturation des SES

 

Car une menace plane sur les SES. « On veut conserver l’identité de notre discipline », nous a dit E Le Nader. « Il y a une menace très forte de suppression de la science politique et on veut garder à la fois l’économie, la sociologie et les sciences politiques ». La disparition des sciences politiques semble actée puisqu’un nouvel enseignement de spécialité, qui pourra être confié aux professeurs d’histoire-géo, en proposera.

 

Mais il y a pire encore. La disparition de l’enseignement de gestion en seconde laisse entendre que gestion, droit et comptabilité entreront dans l’enseignement de SES . Et cela ne pourra se faire qu’au détriment d’autre chose, la sociologie pour l’Apses. « Aucune autre discipline n’est menacée comme la notre » , nous dit E Le Nader. Ce constat est vraiment ce qui réunit les manifestants. « On forme des citoyens , pas des gestionnaires », nous dit P Morini. Elle craint aussi que les futurs programmes avec les évaluations répétées pour le bac ne changent la façon d’enseigner. « Avec le nouveau programme déjà (de 2010) on court après le temps et les notions. On est prisonniers », dit-elle. « Si l’on enlève la sociologie, s’il ne reste que l’économie, ça va être compliqué de former les élèves à avoir un sens critique », nous confie M Raiess, professeur à Dreux.

 

Une discipline attaquée de façon continue depuis 2008

 

Les professeurs de SES ont-ils raison d’avoir peur pour leur identité professionnelle ? L’annonce de la nomination dans le groupe d’expert chargé d’établir le futur programme de deux représentants de l’Académie des sciences morales et politiques (ASMP) semble leur donner raison. « C’est une provocation », estime E Le Nader. « Sous ce titre se cache une section composée de dirigeants patronaux qui en 2008 et en 2017 ont établi des rapports à charge sur les SES et se sont discrédités par le coté partial de leurs analyses ». En 2017, l’ASMP, présidée par M Pébereau,  avait qualifié de « néfaste » l’enseignement des SES. Il propose à la place un enseignement de la micro économie : gérer un crédit ou un compte en banque par exemple.

 

JM Blanquer a confié ce groupe d’expert, d’où l’Apses est exclue,  à un économiste proche d’E. Macron, Philippe Aghion. Or, dans les Echos, P Aghion ne cache pas  ses intentions de changer les choses en SES, estimant que les français manquent de culture économique. « nous allons nous appuyer sur les acquis et sur les réflexions menées par nos prédécesseurs. En particulier, le rapport Guesnerie contenait déjà d’excellentes idées qui ont été reprises. Donc il y a déjà une base », dit-il. Mais ce rapport Guesnerie est la bête noire des professeurs de SES. « Il est évident que ce que l’on peut faire avec 1 h 30 par semaine est relativement limité. Mais déjà on peut sensibiliser les élèves aux grandes questions et aux tendances historiques de l’économie », ajoute-il passant totalement sous silence la sociologie.  » Je tiens beaucoup à maintenir un contact permanent avec les associations d’enseignants, car toutes ont une expérience très précieuse à apporter », dit-il enfin. Or il n’y a qu’une association de professeurs et un petit groupe qui avait participé à la construction des nouveaux programmes de 2010 dans la suite du rapport Guesnerie…

 

Les SES sont à nouveau menacés d’une révolution culturelle lancée par les milieux patronaux contre une discipline scolaire jugée trop critique envers l’entreprise et trop pessimiste pour le nouveau monde. Les professeurs de SES ont de la ressource. Ils ont déjà réussi à subvertir les programmes de SES en proposant leur propre manuel numérique reprenant les thèmes au programme mais dans un autre esprit. Face à eux, JM Blanquer, déjà accusé d’avoir toléré des liens étroits entre son ministère et les GAFAM pourrait l’être de donner les SES au patronat.

 

François Jarraud

 

ASMP : Les SES « néfastes »

Dans Les Echos

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