Sous-doués

Les Français nuls en économie : la faute au lycée ?

Par Lucas Mediavilla | mis à jour le 14/05/2018

De nombreuses études posent le constat d’une inculture économique chez les citoyens français. Une étude réalisée par l’Institut Sapiens veut y remédier. La plupart des propositions du think tank concernent le lycée.

Curieux mais incultes. Tel est le constat de la relation des Français avec l’économie posé par l’Institut sapiens, un think thank libéral qui vient de produire une note sur le sujet, intitulée “Comment élever le niveau des Français en économie ? La culture économique : la clé du dialogue social et de la démocratie”.

Le postulat de base est peu avant-gardiste. Des études menées ces dernières années rapportent de façon récurrente les lacunes des Français en matière de connaissances économiques et financières.

L’Institut sapiens s’appuie notamment sur un sondage réalisé par IFOP-Fiducial fin 2017 montrant que 63% des personnes interrogées n’ont aucune idée de l’ordre de grandeur du PIB français (2.200 milliards environ pour info), bien que 46% d’entre elles disent se sentir “très à l’aise” (7%) ou “assez à l’aise” (39%) avec les sujets relatifs à l’économie. Une étude réalisée par Allianz en 2016 plaçait même la France bonne dernière des pays européens en matière de culture financière.

ierre Robert, professeur de chaire supérieure en Économie, Sociologie, Histoire et auteur de la note juge les Français “globalement méfiants envers le monde de la finance et plus hostiles qu’ailleurs à l’économie de marché.” Un scepticisme qui “coûte cher à notre pays en termes de croissance et d’emploi”, soit environ un point de croissance par an selon l’économiste Edmund Phelps, convoqué dans l’écrit.

Les professeurs et programmes de SES au lycée dans le collimateur

A la recherche de solutions, c’est vers l’enseignement secondaire que l’auteur se tourne. Le lycée et la façon dont sont enseignées les sciences économiques et sociales (SES) sont plus particulièrement dans le viseur.

Un sujet brûlant, alors que se profile la réécriture des programmes du secondaire, ainsi que la réforme du baccalauréat voulue par Jean-Michel Blanquer. Un groupe d’experts a été missionné par le ministre de l’Education nationale pour revoir les programmes de sciences économiques et sociales. A sa tête, Philippe Aghion, économiste proche d’Emmanuel Macron. Ce dernier expliquait sans détour aux Echos en avril dernier “il y a en France, un problème d’éducation économique.” Mais les premières propositions du groupe d’experts ont fait bondir de nombreux enseignants de SES, descendus dans la rue pour dénoncer un détricotage de la filière.

Un enseignement jugé “politisé”

Sans doute, nombre d’entre eux ont aussi dû tiquer à la lecture de la note réalisée par le think thank. Pierre Robert critique beaucoup la posture des enseignants du secondaire en SES, leur immobilisme et la façon supposée “politisée” dont ils font cours. Il leur reproche un tropisme sur les théories keynésiennes et une résistance marquée à l’orthodoxie libérale. “Une grande partie des enseignants du secondaire ont adopté une posture plus militante que scientifique”, explique l’auteur, qui parle d’une “prise en ‘otage’ de pans entiers de l’économie.”

“C’est de la désinformation, répond à START Erwan Le Nader, président de l’Association des professeurs de SES (Apses). Notre éthique, c’est la neutralité et le pluralisme. Il n’y a pas de biais. Cette note avance de façon totalement inexacte que les professeurs de SES critiquent le marché sans en expliquer le fonctionnement. On connaît très bien cette critique qui tend en réalité à faire adhérer les élèves à l’économie de marché”

Un programme trop ambitieux et pessimiste

Outre la politisation supposée de l’enseignement des SES, Pierre Robert pose une critique plus structurelle quant au contenu des programmes, jugés trop encyclopédiques et empêchant de fait tout approfondissement des notions. D’autant plus difficile au regard du faible volume horaire, notamment en seconde (une heure trente par semaine en option). Les programmes portent aussi un regard trop pessimiste sur l’évolution de la société et du marché, selon l’auteur et certains économistes cités dans l’écrit.

Pour le think thank, il est donc d’abord essentiel de porter l’enseignement obligatoire à deux heures hebdomadaires  pour tous les élèves de seconde générale et technologique. Le groupe d’experts mené par Philippe Aghion ne propose pas en revanche d’augmentation de ce créneau horaire. En seconde, l’auteur de la note juge qu’il faut “recentrer le programme sur l’apprentissage des mécanismes et méthode de raisonnement de base en économie.” Un recentrage autour de 4 axes (le marché ; l’entreprise et les entrepreneurs; l’Etat; et la société).

Les classes de premières et terminales de la filière ES doivent servir à approfondir les acquis de seconde. L’auteur juge qu’il faut “initier les élèves à la recherche en économie”, et “mettre l’accent sur la transmission des méthodes de raisonnement en économie et sciences sociales.” Une transmission qui pourrait passer par de nouveaux outils (Mooc, serious games).

Erwan Le Nader de l’Apses partage la proposition des deux heures hebdomadaires obligatoires pour la classe de seconde, et souhaite même renforcer le volume horaire en première et terminale. Mais si l’Association des professeurs de SES revendique aussi la fin de l’encyclopédisme, il redoute que la proposition faite par Pierre Robert “se recentre sur des prétendues bases en faisant obstacle au pluralisme.”

Le professeur met en garde contre une vision trop centrée sur la théorie économique pure. “L’objectif, c’est de donner aux élèves les meilleurs outils de compréhension de la société. Pour comprendre la réforme du rail, du code du travail, il faut adopter une vision pluraliste en convoquant l’économie comme la sociologie.”

“Il faut faire attention à l’instrumentalisation des résultats des études sur la supposée inculture économique des Français. Ils aboutissent systématiquement à des critiques exprimées contre les SES alors que beaucoup d’élèves n’ont justement pas suivi ses cours. Je fais au contraire le pari qu’un élève qui a suivi la matière aura de bons résultats à ces tests”, conclut Erwan Le Nader.

Facebooktwittermail