Le Monde Éducation, vendredi 22 janvier 2021 1292 mots
Les épreuves de spécialité du baccalauréat sont supprimées, annonce Jean-Michel Blanquer
Par Violaine Morin
La situation était devenue « intenable » ; il fallait « trancher » , cesser une bonne fois pour toutes de « laisser les élèves mariner » … Jeudi 21 janvier en milieu de soirée, le ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer s’est donc résolu à annoncer, dans un courriel adressé aux chefs d’établissements et aux enseignants, la suppression des épreuves de spécialité du baccalauréat (lesquelles auraient dû se tenir le 15 mars). Les résultats, qui comptent pour 32 % de la note finale du bac, seront calculés « sur la base des moyennes des trois trimestres de terminale de ces enseignements », précise la lettre consultée par Le Monde .
Dès lors, ce sont les moyennes des deux premiers trimestres de chaque enseignement de spécialité qui seront prises en compte dans Parcoursup, en lieu et place des épreuves correspondantes (dont le bon déroulement à la mi-mars aurait dû permettre à l’ensemble des candidats d’obtenir leurs résultats à temps, de sorte qu’il fût fait mention des notes de spécialité dans chaque dossier Parcoursup).
L’épreuve de philosophie du mois de juin est pour sa part maintenue aux dates prévues, ainsi que le grand oral et les épreuves anticipées de français – non sans quelques aménagements. En philosophie, les élèves auront le choix entre trois sujets de dissertation au lieu de deux. En français, les épreuves orales pourront porter sur quatorze textes en première générale et sur sept en première technologique. L’épreuve écrite de français, elle, demeure inchangée.
Une suppression réclamée de longue date
L’annulation des épreuves de spécialité met fin à plusieurs semaines de suspense – et de pressions exercées par la communauté éducative pour adapter le bac 2021 au contexte sanitaire. Les syndicats d’enseignants et de chefs d’établissement réclamaient unanimement la suppression de ces épreuves ou, à tout le moins, leur ajournement jusqu’en juin – cette dernière option étant privilégiée par le syndicat majoritaire chez les enseignants, le SNES-FSU, fermement opposé à l’introduction du contrôle continu dans les notes du « bac Blanquer ».
Le report en juin « nous aurait (…) obligés à une fermeture anticipée des lycées généraux et technologiques pour que soit assurée l’organisation de ces épreuves , justifie le ministre de l’éducation nationale dans son courrier. La durée des apprentissages des élèves aurait été amputée d’autant de semaines. » Le contrôle continu, défendu par plusieurs syndicats, était également le scénario privilégié des copilotes du comité de suivi de la réforme du lycée, Jean-Charles Ringard et Pierre Mathiot, qui en début de semaine avaient rédigé une note plaidant cette solution.
Le choix d’annuler les épreuves de spécialité soulève cependant de nouvelles questions, au même titre qu’il réveille la crainte d’un bac « local ». En juillet 2020, alors que l’ensemble des épreuves avaient été annulées au bénéfice du contrôle continu, le taux de réussite en filière générale avait atteint un record, culminant à 98,4 % . Nombreux étaient les membres de jurys à avoir alors témoigné de bulletins « gonflés » par les établissements pour favoriser « leurs » élèves – des pratiques que les jurys académiques d’harmonisation n’avaient pas été en mesure de réévaluer au cas par cas.
L’annonce du contrôle continu, dans la mesure où elle survient en cours d’année, oblige par ailleurs les enseignants qui préparaient les candidats (à une épreuve sur table) à recalibrer leur notation. « Mes élèves se sont préparés pour une épreuve de bac, et je les ai notés en [conséquence] , indique une enseignante de la spécialité humanités, littérature et philosophie à Sarcelles (Val-d’Oise). Mes collègues dont les matières sont au contrôle continu [depuis l’annulation des évaluations communes, annoncée en novembre 2020] ne mettent jamais une note en dessous de 10. »
« Garde-fous »
Dans son courriel, M. Blanquer assure qu’un « cadre robuste » sera établi pour « objectiver les résultats » de chacun. Les établissements sont encouragés à organiser des devoirs « type bac », et un nombre minimum de notes sera exigé pour établir les moyennes. Des commissions d’harmonisation analyseront les « remontées des contrôles continus des établissements » sur la base d’un « cadre de travail » précis, promet-on.
Autant de « garde-fous » dont ne se satisfait pas le SNES-FSU, estimant que « l’éducation nationale remplace un problème par un autre » lorsqu’elle opte pour le contrôle continu, mode d’évaluation « inégalitaire, comme l’a démontré le bac 2020 » , rappelle Sophie Vénétitay, secrétaire générale adjointe du syndicat. Et d’alerter sur le fait que « même si les lycées arrivent à organiser des devoirs communs – ce qui n’est pas dit –, ces notes seront marquées par l’établissement d’origine lorsqu’elles arriveront devant les jurys » .
En choisissant d’annuler les épreuves du 15 mars, l’institution prend acte du caractère exceptionnel de l’année scolaire en cours. Mais le contrôle continu peut-il à lui seul résorber les disparités entre les lycées – et partant d’éventuelles inégalités devant l’examen ?
Depuis novembre, 69 % des lycées ont fait le choix de l’enseignement hybride, sous des formes diverses : certains établissements ont maintenu les cours « en présentiel » pour les élèves de terminale; d’autres les ont fait revenir après la rentrée de janvier; d’autres encore ont scindé toutes leurs classes en demi-groupes, sauf pendant les heures de spécialité.
Disparités
Autant de manières de s’organiser qui, laissées à la discrétion de chaque lycée, font planer de sérieux doutes, à mesure qu’elles s’installent dans le temps, sur l’égalité de traitement des candidats. « Au début, tout le monde était content, se souvient Pierre Fournier, qui dirige un lycée polyvalent de 2 500 élèves à Béziers (Hérault) et a reconfiguré tous ses effectifs par demi-groupes dès le 2 novembre. Mais, maintenant, les enseignants me disent que les élèves ne vont pas y arriver. »
En effet, des écarts ont eu tôt fait de se former – entre les divers choix d’organisation, mais aussi en fonction des profils des élèves et de leur capacité à s’adapter à ce nouveau modèle d’enseignement, à son caractère hybride. « Avec 2 000 élèves, on n’a pas eu le choix : il a fallu faire des demi-groupes, rapporte l’enseignante de Sarcelles sus-citée. Mais nos élèves sont peu autonomes, et les situations sociales empêchent certains de travailler à la maison. Pour la plupart d’entre eux, il n’y a pas d’enseignement hybride : ils travaillent une semaine sur deux, un point c’est tout. »
Les associations disciplinaires s’inquiètent également des disparités de traitement des programmes qui existent d’un lycée à l’autre. Dans une enquête menée auprès de 1322 enseignants de sciences économiques et sociales, l’association de professeurs Apses rapporte que « 77 % de [leurs] collègues avaient traité moins de la moitié du programme à la veille des vacances de Noël » , ainsi que le rappelle sa présidente, Solène Pichardie.
Les trois quarts des répondants déclarent en outre ne pas avoir pu donner de dissertation à faire à leurs élèves – une épreuve « type bac » à laquelle ils devront pourtant se frotter, à en juger par le courriel adressé jeudi soir par Jean-Michel Blanquer.
Consolidation des acquis
Pour les défenseurs du contrôle continu, la « moins pire » des solutions permet néanmoins d’envisager plus sereinement les mois à venir. « Une fois que l’on a admis être dans une année anormale, on peut redéfinir les priorités, tranche Alexis Torchet, du SGEN-CFDT. Ne veut-on pas maintenir les apprentissages le plus longtemps possible ? Si l’on avait repoussé la date, les élèves auraient bachoté… pour peut-être tout annuler à nouveau dans quelques semaines. »
La consolidation des acquis avant l’entrée dans l’enseignement supérieur semble en effet avoir primé sur la volonté de maintenir un examen « normal ». « Les élèves vont avoir leur bac, ce n’est pas le problème, assure ainsi Pierre Mathiot, qui a plaidé cette ligne auprès de Jean-Michel Blanquer. La question est de savoir si l’on passe les cinq mois qui restent à avaler des programmes à toute vitesse pour rattraper, ou si on essaie d’approfondir des choses qui serviront plus tard. » M. Blanquer, lui, pose dans sa lettre la « préparation à l’enseignement supérieur » comme étant l’objectif principal du second semestre.