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L’économiste Philippe Aghion et seize experts sont en train de réécrire les programmes de sciences économiques et sociales. Des propositions très attendues, en pleine polémique sur la nature de ces enseignements.
Le Monde | | Par Elise Barthet
Les cancres ne seront pas seuls à suer sur leurs cahiers de vacances. Pour les experts chargés de réécrire les programmes de sciences économiques et sociales (SES) aussi, l’été s’annonce studieux. Emmenés par Philippe Aghion, professeur au Collège de France et proche d’Emmanuel Macron, les seize rédacteurs ont jusqu’au 5 septembre pour rendre leurs copies sur les classes de 2de et de 1re. Des propositions très attendues, en pleine polémique sur la nature de ces enseignements.
Il y aurait urgence, lit-on : les Français souffriraient d’une grave « inculture économique ». En cause, selon l’éditorialiste des Echos Eric Le Boucher : l’éducation nationale, bastion de « la glorieuse résistance à l’orthodoxie ultralibérale ».
Dans un rapport publié en 2008, l’Académie des sciences morales et politiques, aujourd’hui présidée par l’ancien PDG de BNP Paribas Michel Pébereau – qui a longtemps enseigné l’économie à Sciences Po – qualifiait même de « néfastes » les programmes de SES. Des accusations reprises récemment dans une note de l’Institut Sapiens, un think tank libéral, pour qui « la faiblesse des connaissances en matière d’économie entretient une défiance excessive envers le monde de la finance ».
Terrain miné
De l’autre côté de la tranchée, le corps enseignant se défend en faisant valoir son attachement à l’interdisciplinarité et aux débats d’idées. « Notre maître mot, c’est le pluralisme », souligne Erwan Le Nader, président de l’Association des professeurs de SES (Apses). L’économie, la sociologie et les sciences politiques « ne sont pas des vérités révélées ». Le manque de connaissance viendrait non pas d’un enseignement biaisé mais du peu d’heures allouées à la matière : une heure et demie par semaine en 2de et quatre heures en 1re, après la réforme du lycée décidée cette année.
Conscient d’avancer en terrain miné et soucieux, surtout, de ménager la chèvre et le chou, l’économiste Philippe Aghion se garde bien de prendre position. « L’économie n’est pas une science exacte, dit-il, mais elle s’appuie sur une démarche scientifique. Ce sont les ressorts du questionnement qu’il faut transmettre pour que les élèves soient capables de raisonner et de se faire eux-mêmes une opinion. »
Dans les propositions que devront remettre les experts, « chaque chapitre fera dialoguer les modèles théoriques et l’analyse empirique, assure-t-il. On expliquera par exemple ce qu’est un marché parfait et pourquoi ça n’existe pas. » En revanche, les « regards croisés » entre économie, sociologie et sciences politiques, les trois piliers de la matière, seront plus limités. Il ne devrait y en avoir qu’un seul dans les programmes de 2de et deux dans ceux de 1re et terminale.
« Très excité par cette aventure », l’universitaire compte créer un site, monté en partenariat avec le Collège de France et l’éducation nationale, pour compiler le matériel pédagogique à destination des enseignants et des élèves.
Sa ligne a beau être floue, elle suit à gros traits celle tracée par le gouvernement. « Si l’approche pluridisciplinaire, qui s’appuie notamment sur les sciences sociales, a tout son sens, il convient de renforcer les approches microéconomiques, nécessaires pour comprendre les mécanismes fondamentaux », écrivait le 3 juillet le ministre Jean-Michel Blanquer dans une lettre à la présidente du Conseil supérieur des programmes. Une révision qui se traduirait par « plus de mathématique » pour faciliter la transition avec l’enseignement supérieur.
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Mais l’équation n’est pas du goût de l’Apses. Un tel recentrage sur le comportement des agents et leurs interactions « ne pourrait se faire qu’au détriment des approches macroéconomiques », estime l’organisation. Or, « les programmes actuels, unanimement critiqués pour leur encyclopédisme, accordent déjà une place très conséquente à la microéconomie ». L’association déplore, en outre, que deux des quatre économistes membres du groupe d’experts appartiennent à l’Académie des sciences morales et politiques, assimilée à un lobby patronal.
Malgré ces craintes, il y a peu de chances que les nouveaux programmes aboutissent à un big bang. La refonte en cours s’inscrit dans le prolongement du rapport rendu en 2008 par l’économiste Roger Guesnerie, dont les conclusions avaient abouti à la réécriture des manuels pour la rentrée de 2012. La cinquième depuis l’introduction de l’enseignement des SES dans le secondaire, en 1966… « Des éléments solides existent déjà », reconnaît Philippe Aghion.
Remontées d’expériences
Quant à la supposée muraille qui séparerait le monde de l’entreprise de la sphère académique, elle a volé en éclats depuis longtemps. En témoigne la popularité grandissante des Entretiens enseignants-entreprises. Lancées en 2003, ces rencontres réunissent à la fin du mois d’août des professeurs et des dirigeants de sociétés autour de thèmes abordés dans les programmes. Plus de 500 enseignants et inspecteurs d’académie de la France entière devraient y participer cette année sur le site de l’Ecole polytechnique, selon Béatrice Couairon, professeure de SES et directrice du programme.
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L’enjeu, estime Yann Algan, enseignant à Sciences Po Paris, n’est finalement pas tant de combler « l’inculture économique des Français » mais de rendre la matière « plus attrayante ». En y intégrant notamment les avancées de la recherche en économie comportementale et les remontées d’expériences à l’échelle mondiale.
C’est l’objectif du projet CORE (pour Curriculum Open-access Resources in Economics), un manuel en ligne gratuit, dont la version française a été publiée en mai. Une déclinaison pour les lycées est en cours d’élaboration.