https://mobile.lemonde.fr/education/article/2018/10/15/des-enseignants-preoccupes-par-la-refonte-du-lycee_5369575_1473685.htmlDes enseignants préoccupés par la refonte du lycée

Des enseignants préoccupés par la refonte du lycée

La Révolution enseignée en 1re, des ouvrages imposés en français… Voici les changements qui attendent les élèves.

Par Violaine Morin

Les nouveaux programmes du lycée arrivent en discussion au Conseil supérieur des programmes. Saisis à la fin du printemps, pas moins de 400 experts ont planché tout l’été. Au total, 81 textes couvrant les enseignements des classes de seconde et de première des voies générale et technologique doivent être discutés et votés d’ici au 2 novembre. Le SNES, syndicat majoritaire dans le second degré, a d’ores et déjà fait fuiter sur son site de nombreux projets de programmes, suivis par certaines associations disciplinaires, indiquant qu’il souhaitait « permettre le début de la réflexion dans les délais contraints imposés par le ministre ».

Sur le programme d’histoire de seconde et de première, l’historienne Laurence De Cock a ouvert la discussion dans les colonnes de Libération, le 11 octobre. Contactée, elle confirme sa position et celle du collectif d’historiens Aggiornamento : les programmes d’histoire consacrent une approche « fixiste » de la discipline, sans tenir compte des avancées de la recherche récente qui consacre des approches plus variées, sur la place de la France dans le monde ou sur l’histoire populaire, portées par des historiens comme Gérard Noiriel. « C’est au pire un mépris des élèves et au mieux une indifférence aux avancées de la recherche », conclut-elle. « Refuser la mise en débat de l’histoire est une manière de refuser aux lycéens une formation critique et politique au sens le plus noble, par la formation aux sciences humaines et sociales. »

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Un quart des élèves ne verront pas la Révolution

Christine Guimonnet, membre de l’Association des professeurs d’histoire-géographie, regrette aussi la faible part de « l’histoire sociale » et de« l’histoire des femmes » dans les projets. Enfin, le projet prévoit désormais l’étude de la Révolution française au début de l’année de première, alors qu’elle était jusqu’ici abordée en seconde. Comme le rappelle Laurence De Cock, 25 % des élèves ne verront donc pas la Révolution, car ils sont orientés en première technologique où les programmes d’histoire ne sont pas réécrits. Christine Guimonnet souligne pour sa part que les enseignants n’avaient « jamais le temps » de traiter la Révolution en seconde.

Une autre discipline s’inquiète, à sa manière, de ce que Laurence De Cock appelle une « défiance envers les sciences humaines et sociales » : les sciences économiques et sociales (SES), dont l’association Apses représente une partie des enseignants. Selon son président, Erwan Le Nader, s’il y a « des avancées » dans les projets de programmes, « les approches englobantes reculent », au profit de la micro-économie, qui gênera les enseignants soucieux d’approcher les SES de manière critique.

En sociologie, la notion de groupes sociaux disparaît des programmes. L’Association des sociologues enseignants (ASES) a fait part de son inquiétude dans un communiqué intitulé « Qui a peur des classes sociales ? » mis en ligne le 11 octobre. « Il n’est nul besoin d’être marxiste orthodoxe pour raisonner en termes de classes sociales et (…) ces catégorisations du monde social, en constante évolution, font partie intégrante de la réflexion sociologique depuis des décennies », rappelle l’association.

L’Association française des enseignants de français (AFEF) critique, elle, un programme jugé très « classique », même si l’effort sur l’étude de la langue est plutôt salutaire, juge sa présidente, Viviane Youx. Plus inquiétante est l’approche des œuvres littéraires au travers de grandes sections chronologiques et de genre, comme par exemple « La poésie du Moyen Age au XVIIIe siècle » en seconde, ou bien « Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle » en première. Selon l’enseignante, ces choix dépossèdent l’enseignant de la possibilité de faire des « va-et-vient » entre les œuvres, essentiels pour intéresser les lycéens à la permanence d’un motif esthétique, d’un thème ou d’une forme littéraire à travers le temps.

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Des livres imposés

Mais le plus inquiétant reste le projet d’imposer aux enseignants une liste de livres à lire : sept œuvres en seconde (quatre en classe et trois à la maison) et huit en première dont quatre en classe. « Il y a clairement la volonté d’imposer une culture commune », regrette-t-elle. Mais l’orientation générale des programmes, veut croire Viviane Youx, laisse penser à une vision plutôt traditionnelle de l’histoire littéraire, même si l’AFEF a plaidé la cause de la littérature contemporaine et de la littérature francophone lors de sa réunion avec le CSP.

En mathématiques et en SVT, quelques petites craintes émergent aussi. L’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public pointe en effet, dans un compte rendu de sa rencontre avec le CSP, la difficulté du programme. En clair, celui de seconde n’est pas conçu pour des élèves ayant « peu d’appétence » pour la matière. Le programme de spécialité, à partir de la première, est jugé « plus ambitieux » que l’actuel programme de première ES, ce qui peut faire craindre une « fuite » de certains élèves en SES.

En SVT, quelques lecteurs avertis se sont émus sur les réseaux sociaux de voir deux chapitres des programmes basculer de la première générale à la seconde : l’étude de la reproduction et de la sexualité, et le chapitre « nourrir la planète ». Il s’agit en fait d’une demande des enseignants, qui souhaitaient que les élèves aient tous – avant l’orientation de 25 % d’entre eux en série technologique, où la SVT disparaît – une piqûre de rappel sur ces deux thèmes. Serge Lacassie, président de l’Association des professeurs de biologie et de géologie, se veut rassurant : les concepts scientifiques abordés ont été « adaptés » à ce changement de niveau.

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