Dans les lycées, la peur du grand vide après les épreuves de spécialités du baccalauréat

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Dans les lycées, la peur du grand vide après les épreuves de spécialité du baccalauréat
Les deux épreuves, prises en compte pour Parcoursup, ont eu lieu au mois de mars. Alors que les élèves viennent tout juste de connaître leurs résultats, la crainte de l’absentéisme monte dans les lycées, où l’on tire un bilan sévère de la désorganisation causée par ces épreuves anticipées.
Par Violaine Morin

Pour la première fois depuis la réforme du baccalauréat, perturbée en 2021 et 2022 par l’épidémie de Covid-19, les épreuves de spécialité ont eu lieu aux dates prévues, fin mars. Les élèves de terminale ont reçu, mercredi 12 avril, leurs notes. Les dernières qui comptent pour leur dossier dans Parcoursup, la plate-forme d’orientation vers l’enseignement supérieur.

Ce calendrier enfin respecté, loin d’apaiser les enseignants, nourrit désormais une profonde inquiétude : comment maintenir la motivation des élèves, alors qu’il ne reste que le grand oral et l’épreuve de philosophie à préparer ? La « reconquête du mois de juin » était pourtant l’un des objectifs affiché par les promoteurs de la réforme. Les épreuves du bac avaient jusqu’alors la réputation de mettre tous les lycées à l’arrêt à partir de la fin du mois de mai.
Dans les établissements, la nouvelle formule nourrit les sarcasmes : « Ils voulaient reconquérir le mois de juin, on se retrouve à devoir reconquérir le mois de mars ! », explique une enseignante – qui ne souhaite pas donner son nom – du lycée Mozart du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), un établissement où plusieurs professeurs rapportent déjà des problèmes d’absentéisme.

Une motivation entamée
Dans les lycées, les constats varient du relâchement léger à la désertion quasi complète. « Quand j’ai dit à mes élèves que les épreuves avaient été placées au mois de mars pour reconquérir le mois de juin, ça les a fait rire », indique un autre enseignant du lycée Mozart qui ne souhaite pas non plus être nommé et indique que, depuis les épreuves de spécialité, ses élèves de terminale technologique oscillent entre sept et dix-huit présents, sur vingt-quatre en temps normal. « Ils m’ont dit : “Mais monsieur, c’est l’inverse ! On dirait qu’ils ne veulent plus qu’on vienne.” »

Si avoir obtenu de bons résultats – les deux épreuves représentent 32 % de la note finale – peut entamer la motivation pour la suite, de nombreux enseignants soulignent aussi l’impact dévastateur des mauvaises notes. « Les collègues optimistes disent que les élèves qui se sont plantés vont revenir préparer le grand oral, rapporte Raphaël Giromini, enseignant de mathématiques au lycée Le Corbusier d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) et syndiqué au SNES-FSU. Les pessimistes disent qu’au contraire leurs notes les ont définitivement découragés. »
Ce professeur, mobilisé de longue date contre la réforme, insiste sur les résultats plutôt faibles obtenus par de nombreux élèves de son lycée – connu jusqu’ici, dans les indicateurs du ministère, pour faire partie de ceux qui « portent » le mieux leurs élèves jusqu’à l’examen. « Tout cela nous enseigne que les enfants des quartiers populaires ont besoin de toute l’année pour se préparer aux épreuves, s’agace-t-il. Auparavant, en mars, ils se plantaient au bac blanc puis ils se mettaient à travailler. Maintenant, à la place du bac blanc, il y a une note finale ! »
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« Il est un peu tôt pour faire un bilan de l’absentéisme, estime cependant Yann Massina, proviseur du lycée Marceau de Chartres. Mais il faut rester mobilisés. Ici, nous avons clairement dit aux candidats que l’appréciation du troisième trimestre s’en ressentirait s’ils étaient trop souvent absents sur les heures de spécialité. Et j’ai demandé à la vie scolaire d’être vigilante sur les absences. »

Un « effet d’entraînement » redouté
Ce proviseur d’un lycée de centre-ville fait savoir que même s’il parvient à « serrer la vis » pour l’instant, le mois de mai va être « propice » à l’absentéisme. Un signe qui ne trompe pas : certains élèves ont demandé à être désinscrits de la demi-pension pour le troisième trimestre. « Les élèves savent qu’ils ne resteront pas toute la journée », regrette Yann Massina, qui craint également un « effet d’entraînement » au mois de mai : « Les premières risquent de voir que les terminales jouent à ça et ils vont avoir envie de faire pareil, et de même pour les secondes… »

Dans certains lycées, cet effet d’entraînement se fait déjà sentir. « Les élèves ne s’absentent pas uniquement sur les heures de spécialité », indique l’enseignante du Blanc-Mesnil, qui décrit une atmosphère de « pré-vacances » construite dès le mois de mars, et pour les trois niveaux du lycée, par la désorganisation des cours.
Entre les plages de révision accordées en dernière minute à tous les candidats au baccalauréat au nom de l’équité, l’organisation des épreuves elles-mêmes, la dispense de cours de spécialité à la suite des épreuves, les oraux de langues et les épreuves expérimentales, les demi-journées accordées aux enseignants pour les corrections… le mois de mars est décrit par tous comme un « gruyère ».

Le syndicat SNPDEN-UNSA, majoritaire parmi les personnels de direction, s’est essayé au comptage du temps perdu : 1,2 million d’heures, selon lui. A l’échelle d’un établissement, cela représente « à la louche, une semaine perdue pour tout le monde », indique M. Massina. Soit la durée des épreuves de l’ancien baccalauréat, à l’époque où il se tenait au mois de juin.

Fébrilité du ministère
De son côté, l’éducation nationale laisse transparaître une certaine fébrilité face à ce troisième trimestre en forme de point d’interrogation. Une désertion massive des lycées pourrait remettre en question le calendrier du nouveau bac, qui a toujours fait l’objet d’intenses crispations. Des fiches par discipline ont été mises en ligne sur le site de ressources pédagogiques Eduscol, qui distillent des conseils pour « travailler autrement pour stimuler l’engagement des élèves ».

Dans un communiqué de presse diffusé le 12 avril, jour des résultats des épreuves de spécialité du bac, le ministère indiquait que « les élèves doivent maintenant poursuivre leurs efforts autour des évaluations des disciplines du tronc commun qui comptent dans 40 % des résultats finaux ». Le même communiqué rappelait avec sévérité que les appréciations du livret, qui tiennent compte de l’assiduité, seront regardées dans les jurys du mois de juillet. Ces derniers ont le pouvoir d’arrondir une note afin de diplômer un candidat, ou de lui accorder une mention. Ces appréciations seront également prises en compte lors de la « phase complémentaire de Parcoursup », indiquait-on.
Le 14 avril, dans Le Figaro, le ministre Pap Ndiaye a rappelé que « la présence en cours est obligatoire à tout moment de l’année ». Le même jour sur Twitter, il s’est adressé aux lycéens pour les féliciter d’avoir passé l’étape « importante » des épreuves de spécialité… mais aussi pour les mettre en garde. « Je vous dis de ne rien lâcher, et de poursuivre vos efforts ! », a-t-il lancé, face caméra.

Bac 2023 : nouvelles critiques sur l’harmonisation des notes
Des correcteurs des épreuves de spécialité du baccalauréat ont constaté que les notes qu’ils avaient attribuées avaient été modifiées dans le cadre de l’harmonisation sans qu’ils en soient avertis, comme c’était normalement le cas avant 2022. A l’issue des épreuves de l’an dernier, ces modifications sans accord de l’évaluateur, permises par la correction en ligne, avaient déjà provoqué un tollé parmi les enseignants. L’Association des professeurs de sciences économiques et sociales a ainsi dénoncé un « bidouillage » qui « fausse un peu plus la donne » pour ces épreuves, critiquées pour leur précocité et leurs modalités d’organisation jugées inéquitables. Le directeur général de l’enseignement scolaire, Edouard Geffray, a confirmé à l’AEF que des harmonisations avaient été effectuées et que les correcteurs n’en avaient pas nécessairement été informés, mais a contesté toute « harmonisation au clic et des notes remontées pour tout le monde ». Le ministère n’a pas souhaité communiqué les moyennes finales.
Violaine Morin

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