Tribune de Philippe Askénazy au sujet de la composition de l’AMSP
Académie des sciences morales et politiques : il faut élire « une femme non liée au patronat »
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L’éclairage. Dans sa chronique mensuelle, l’économiste Philippe Askenazy constate que si, depuis 1832, la section « économie politique, statistiques et finances » de l’Académie des sciences morales et politiques n’a désigné que des hommes, l’équilibre de la section a, lui, basculé en quelques années, le patronat privé étant devenu majoritaire.
Selon le statut de l’Académie des sciences morales et politiques (ASMP), les «avis» que rend cette institution publique constituent une pure «contribution à titre non lucratif au perfectionnement et au rayonnement des sciences».
Sa section IV (économie politique, statistiques et finances) vient d’être auditionnée par le Conseil supérieur des programmes et le Conseil national éducation-économie, qui doivent rendre dans quelques jours un rapport sur l’enseignement des sciences économiques et sociales au lycée, introduit il y a tout juste cinquante ans dans les programmes scolaires. Son «avis» recommande de donner plus de place à une vision «optimiste» de l’entreprise et des banques, et moins au rôle régulateur de l’Etat et à certains sujets comme les inégalités…
L’ASMP est l’une des académies qui forment l’Institut de France. Elle a joué un rôle important au XIXe siècle avec des rapports célèbres comme celui de Louis René Villermé (1782-1863) sur le travail des enfants (1840), à l’origine de la première loi interdisant l’emploi d’enfants de moins de 8 ans dans les entreprises de plus de vingt salariés.
Comme dans les autres académies, ses membres sont cooptés lorsqu’un siège devient vacant, ce qui est le cas aujourd’hui. Depuis 1832 la section IV n’a désigné que des hommes, y compris récemment lors de ses derniers choix, en 2011 et 2016.
La France ne manque pourtant pas d’économistes brillantes. Les trois dernières Médailles d’argent du CNRS en économie sont Françoise Forges, en théorie des jeux, Gabrielle Demange, en finance mathématique, et Marie-Claire Villeval, pionnière de l’économie expérimentale. La direction du Trésor, le Conseil d’analyse économique, etc., sont ou ont été dirigés par des femmes.
Patronat privé majoritaire
Si la masculinité exclusive semble éternelle, l’équilibre de la section a, lui, basculé en quelques années. En 2000, la section était composée de quatre universitaires, deux grands serviteurs de l’Etat et deux patrons du privé : Pierre Tabatoni, créateur de l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Marseille et recteur de l’Académie de Paris ; Pierre Bauchet, professeur d’économie, ancien président de la section économie du Comité national de la recherche scientifique ; Maurice Allais, Prix Nobel d’économie ; Jean-Claude Casanova, professeur d’économie, un temps conseiller de Raymond Barre ; Michel Albert, commissaire au Plan et dirigeant de l’entreprise alors publique AGF ; Marcel Boiteux, dirigeant pendant vingt ans de l’entreprise nationale EDF ; Gaston Défossé, banquier du segment coopératif puis directeur de la BNP avant sa nationalisation ; Yvon Gattaz, ancien président du CNPF (l’ancêtre du Medef).
Aujourd’hui, le patronat privé est majoritaire. Le siège de M. Bauchet est vacant. Certes, Jean Tirole, Prix Nobel d’économie 2014, a succédé à Maurice Allais. Mais M. Défossé a été remplacé par Bertrand Collomb, ancien président de l’Association française des entreprises privées (AFEP) et toujours membre du conseil d’administration du cimentier Lafarge Holcim, englué dans ses arrangements en Syrie et appâté par le mur mexicain de Donald Trump.
Michel Pébereau, haut fonctionnaire qui mena la privatisation de la BNP et en prit la direction, devenant ainsi le parrain de la finance française, a repris le siège de M. Tabatoni. Enfin, a été élu en 2016 sur le siège de M. Albert Denis Kessler qui, après une carrière universitaire, est devenu un des grands patrons français, ancien numéro deux du Medef et actuel PDG de la Scor, géant mondial de la réassurance.
Cette composition prêterait à sourire si l’Académie ne conservait d’importants pouvoirs. Chaque section distribue, en effet, des prix académiques prestigieux. Leurs membres valident les recrutements d’enseignants-chercheurs dans de grands établissements d’enseignement, comme par exemple l’Ecole des hautes études en sciences sociales.
L’élection au fauteuil actuellement vacant sera déterminante. Henri de Castries, ancien PDG d’Axa et soutien de François Fillon, serait sur les rangs, s’il n’est pas appelé à d’autres fonctions après l’élection présidentielle. Ou bien, rêvons un peu : une femme non liée au patronat ?
Réponse de Jean-Robert Pitte (secrétaire perpétuel de l’ASMP)
« Un mauvais procès fait à nos membres »
LE MONDE ECONOMIE | 13.04.2017 à 12h27 • Mis à jour le 13.04.2017 à 12h28 | Par Jean-Robert Pitte (Secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques)
La chronique de Philippe Askenazy, publiée le 22 mars dans Le Monde sous le titre « Une Académie des sciences morales et politiques orientée », a jeté le trouble sur le récent avis adopté à l’unanimité par cette Académie sur l’enseignement des sciences économiques et sociales (SES) au lycée (http://www.asmp.fr/travaux/avis.htm).
Au motif que quatre des sept membres actuels de sa section économie politique, statistique et finances sont issus du patronat privé, l’auteur laisse entendre que les positions défendues sur ce dossier seraient au service d’intérêts catégoriels. Il suggère que cette influence pourrait s’étendre à d’autres activités de l’Académie, comme la distribution de ses prix.
Le résumé biaisé que donne M. Askenazy de notre position sur l’enseignement des SES ne reflète fidèlement ni « l’avis » de l’Académie à proprement parler ni les « propositions » élaborées par sa section économie. Il est inexact, comme il l’écrit, que notre « “avis” recommande de donner plus de place à une vision “optimiste” de l’entreprise et des banques, et moins au rôle régulateur de l’Etat et à certains sujets comme les inégalités ».
Le terme « optimiste » n’apparaît nulle part. Sans doute les « propositions » de nos confrères déplorent-elles un certain « pessimisme », mais celui-ci se rapporte à la vision de l’économie en général, et non – la nuance est de taille – à l’entreprise ou aux banques. Pour ce qui est des entreprises, nous nous bornons à demander que les élèves en acquièrent une meilleure compréhension. Quant aux banques, il n’en est pas fait mention. L’auteur a-t-il voulu instiller l’idée que nous serions soumis à la finance ?
Travail collégial
L’analyse qui est faite de la composition de notre section économie est partielle et réductrice, en ce qu’elle tend à enfermer nos confrères dans des catégories précises (« universitaires », « serviteurs de l’Etat », « patrons du privé »), qui occultent des parcours professionnels et humains beaucoup plus riches.
Agrégé de sciences sociales et de sciences économiques, Denis Kessler a été professeur d’université et directeur d’études à l’EHESS (comme le rappelle au demeurant M. Askenazy). Marcel Boiteux, Michel Pébereau et Bertrand Collomb ont assumé, outre des charges d’enseignement, la présidence d’établissements du supérieur ou d’instituts de recherche. Yvon Gattaz mène depuis trente ans une action reconnue par l’Education nationale en faveur de l’emploi des jeunes à travers l’association Jeunesse et Entreprises.
Du reste, la position exprimée par nos confrères est le fruit d’un travail collégial, commun – si on tient à cette distinction – aux « grands patrons » et aux « universitaires ». Cela vaut également pour l’avis rendu par l’Académie, qui intègre les remarques des académiciens des autres sections.
L’indépendance de l’institution en jeu
J’ajoute – ce qu’omet de faire l’article – que nos travaux sur l’enseignement des SES s’appuient sur les rapports d’expertise de six économistes internationaux et que la délégation auditionnée le 15 mars à la demande de Mme Vallaud-Belkacem se composait non pas, comme il est écrit, des membres de la section économie, mais de cinq économistes (les académiciens Jean-Claude Casanova, Jean Tirole et Denis Kessler, le correspondant de l’Académie Georges de Ménil et Patrick Bolton, professeur à Columbia), accompagnés par Michel Pébereau, président de l’Académie pour l’année 2017.
Ce qui est en réalité en jeu, derrière le procès qui nous est fait, c’est l’indépendance d’une institution comme la nôtre. Indépendance dans le choix de ses membres, dont sont juges les seuls académiciens, d’après l’idée que chacun d’entre eux a pu se faire des mérites des candidats à un fauteuil vacant. Indépendance dans le choix et la conduite de ses travaux. C’est cette liberté qui fait tout le prix de notre parole. Nous n’avons d’autre ambition que de voir nos propositions débattues, pourvu que ce soit par des arguments de fond et non en faisant de mauvais procès à nos membres.