Yves de Kerdrel : «Les vieux slogans marxistes sont de retour!»

CHRONIQUE – C’est enfin la première fois, depuis très longtemps, que l’on voit un grand nombre de candidats dénoncer la lutte des classes, l’argent roi, la doxa libérale ou l’économie de marché.

Cette campagne pour l’élection présidentielle est vraiment inédite sous plusieurs aspects. C’est la première fois que la candidate favorite du premier tour est issue du Front national. C’est la première fois que le Parti socialiste semble exclu du second tour, sauf surprise de dernière minute. C’est la première fois que deux candidats se revendiquant du slogan «ni droite ni gauche» font la course en tête. C’est la première fois que le débat sur les candidats, leur vie privée ou leur comportement public revêt plus d’importance que le débat d’idées. C’est enfin la première fois, depuis très longtemps, que l’on voit un grand nombre de candidats dénoncer la lutte des classes, l’argent roi, la doxa libérale ou l’économie de marché. Comme si nous étions revenus quarante ans en arrière.

Selon le dernier sondage réalisé par la Sofres pour Le Figaro à partir des intentions de vote au premier tour, plus de 52 % des Français interrogés semblent prêts à donner leur vote à l’un de ces candidats qui fait de la mondialisation un enfer, qui décrit les évidentes réformes de structure à mener comme des sacrifices insupportables ou qui font des patrons (petits ou gros) des monstres sanguinaires uniquement motivés par l’accumulation d’argent. C’est à croire que les trois cents énergumènes qui ont pris possession de la place de la République au printemps dernier au nom du mouvement Nuit debout ont fait une OPA sur cette élection.

La question qui nous intéresse est plutôt de savoir comment la France des Lumières, la France de Guizot ou la France des Trente Glorieuses a pu en arriver à un tel obscurantisme en matière économique

Cette chronique n’inversera pas, malheureusement, le cours des choses. Elle va juste réconforter ceux qui se désolent de cette situation et regrettent ce déni français que Sophie Pedder et Nicolas Baverez ont tous les deux, successivement, si bien décrit dans leurs ouvrages. La question qui nous intéresse est plutôt de savoir comment la France des Lumières, la France de Guizot ou la France des Trente Glorieuses a pu en arriver à un tel obscurantisme en matière économique. Car il s’agit bien d’obscurantisme dans la mesure où celui qui parle de création de richesses pour le pays ou de suppression de l’ISF a droit immédiatement à un véritable procès de Moscou et assiste au déchaînement de quelques ayatollahs issus du petit monde des professeurs d’économie.

La responsabilité de cette situation tient à trois facteurs. D’abord, l’incapacité de certains syndicats à envisager les rapports au travail dans l’entreprise autrement que sous l’angle de la lutte des classes. Or, comme notre corpus législatif donne à quelques syndicats archaïques comme la CGT ou FO la même importance qu’à la CFTC ou la CFDT, c’est ainsi qu’a pu prospérer le discours antipatronal, anticapitaliste ou antimondialisation dont se sont emparés, avec bonheur, certains partis populistes afin de draguer le vote ouvrier. Même ce sympathique Jean Lassalle, issu de la vieille tradition démocrate-chrétienne, a déclaré il y a deux semaines au journal de 20 heures qu’il se portait candidat pour dénoncer «l’argent roi» avant d’avouer qu’il avait accordé son parrainage à Philippe Poutou, candidat du Nouveau Parti anticapitaliste.

Le second poison de notre société tient aux dégâts provoqués par l’Éducation nationale auprès des plus jeunes ; notamment à travers les cours d’économie

Le second poison de notre société tient aux dégâts provoqués par l’Éducation nationale auprès des plus jeunes ; notamment à travers les cours d’économie. L’Académie des sciences morales et politiques, présidée par Michel Pébereau, a fait un travail d’analyse des manuels d’économie, utilisés par vos enfants ou petits-enfants, qui les rapprochent davantage des tracts syndicaux distribués le matin à l’entrée de l’usine de Poissy ou de celle de Cléon que d’outils pédagogiques destinés à permettre aux lycéens de comprendre d’où vient la croissance économique, de réaliser qu’il n’y a pas de progrès social sans des entreprises bien portantes, et que la planète reste un fabuleux support de conquêtes pour nos entreprises.

Le dernier facteur tient à la lâcheté d’une grande partie du monde politique, qui n’a jamais eu le courage de défendre l’entreprise, les entrepreneurs ou la création de richesses. C’était le cas de François Mitterrand, qui adorait l’argent mais se méfiait des patrons. C’était aussi le cas de Jacques Chirac, qui, pendant douze ans, a installé un clientélisme malsain, laissant croire que l’argent pouvait tomber du ciel (à condition que l’État s’endette). Si bien qu’il reste aujourd’hui difficile d’expliquer aux Français qu’avant de distribuer ou de partager des richesses il est nécessaire de les créer. Au risque de sombrer dans une économie de type péroniste qui a fait sombrer l’Argentine d’avant-guerre ou qui a failli entraîner la faillite de la Grande-Bretagne. Et il ne faut pas s’étonner qu’un récent sondage effectué par OpinionWay pour La Croixmontre que seulement deux mesures économiques obtiennent l’assentiment de la majorité des Français: le plafonnement des hauts revenus (78 %) et le rétablissement des frontières économiques (50 %). Deux mesures prônées par les derniers dinosaures de la lutte des classes et du marxisme agonisant.

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