Entre le milieu patronal et les enseignants, c’est l’amour vache. L’Académie des sciences morales et politiques scrute ce lundi les livres scolaires.
Lors de ses voeux à la presse, le 19 janvier, la ministre de l’‘Éducation Najat Vallaud-Belkacem avait ironisé, pariant sur une nouvelle polémique concernant les programmes scolaires d’économie. De fait, l’Académie des sciences morales et politiques leur consacre ce lundi une journée qui ne sera pas tendre. Et sur fond d’actualité, puisque le programme d’économie de seconde considéré comme impraticable par les enseignants est allégé depuis juillet. Le thème « Comment se forment les prix sur un marché » est devenu facultatif. Plusieurs membres du Medef s’en sont émus cet été, dénonçant une « erreur dramatique » , même si, du côté des enseignants, on rappelle qu’en première et terminale les élèves planchent toujours sur le marché et les avantages du libre-échange.
Ce sujet polémique sera certainement abordé alors que l’académie, présidée par Michel Pébereau, a demandé à cinq économistes internationaux d’examiner les programmes et les manuels scolaires. L’ex-PDG de BNP Paribas n’en est pas à son coup d’essai. Entre le milieu patronal et les enseignants, c’est l’amour vache. En 2008, l’académie avait évalué les programmes sans concession : « Il est difficile d’écarter l’‘hypothèse que cet enseignement, inadapté dans ses principes et biaisé dans la présentation, soit néfaste » , avait résumé l’économiste Chiappori, professeur à l’université de Columbia, dont les travaux débouchèrent en 2010 sur une réforme.
Trop de macroéconomie
Des programmes trop keynésiens, très critiques vis-à-vis des entreprises, trop portés sur la macroéconomie. Cette critique, récurrente, est adressée aux programmes de sciences économiques et sociales depuis la création de cette discipline hybride dans les lycées il y a cinquante ans. Parmi les cinq économistes sollicités par l’académie, Yann Coatanlem, président du Club Praxis, est le plus remonté après son analyse des manuels de l’éditeur Belin : « De nombreux courants de pensée sont présentés dans une égalité scrupuleuse, mais qui laisse perplexe le futur citoyen et contribue à une impression générale de pessimisme particulièrement dangereuse, alors qu’il existe un socle théorique de base qu’aucun économiste ne songerait à remettre en cause » , écrit-il. La dimension du « risque » en économie lui semble escamotée. Elle permettrait de « balayer rapidement les points de vue marxistes présentés dans le manuel de terminale, assimilant les plus-values à l’extorsion des travailleurs, plutôt que de laisser l’élève dans un flou malencontreux » , indique-t-il.
Le rapport de Bernard Salanié, professeur à Columbia, est plus nuancé. « Je dois dire que j’ai été favorablement surpris. Les sources des articles retenus sont certes bien plus souvent Alternatives économiques que Le Figaro Économie ; mais les extraits cités sont moins marqués en général qu’ils ne l’étaient il y a quelques années. » Il cite cependant des « exceptions » , comme le traitement « très insuffisant » du chapitre « Comment se forment les prix sur un marché » dans un manuel de seconde, ou la présentation « franchement caricaturale » de la partie sur la justice sociale et le marché du travail d’un livre de terminale. Il observe une présentation « souvent tendancieuse » sur le chômage keynésien, très positive sur les politiques de relance par opposition au chômage classique. Kevin H. O’Rourke, professeur d’économie à Oxford, juge, lui, les manuels remarquables mais critique lui aussi le chapitre sur le chômage : « On demande aux élèves si ce dernier est dû à des coûts salariaux excessivement élevés ou à la faiblesse de la demande. Cela me semble renvoyer directement au paysage politique français ; poser la question en ces termes paraît extraordinairement partisan… » Pour Salvador Barberà, professeur d’économie à l’université de Barcelone, « les programmes ont bien tenu compte des propositions des précédentes commissions, mais jusqu’à un certain point » . Il note « une tendance à insister sur les aspects négatifs. Je pense qu’on est en droit de soutenir que l’économie mondiale dans son ensemble est en bien meilleur état qu’elle l’a jamais été dans l’histoire » .
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