Le contenu des programmes économiques de l’Education Nationale encore et toujours orienté
par Claude Robert, consultant international en organisation d’entreprise et auteur du blog http://www.eradiquons.fr,
L’audit des programmes scolaires de l’Education Nationale en matière d’économie a tiré un constat particulièrement alarmant sur l’orientation des programmes. Pourtant, peu de médias ont évoqué ces conclusions…
Fin janvier 2017, l’audit des programmes scolaires de l’Education Nationale en matière d’économie est passé quasiment inaperçu. Pourtant, cet audit a été réalisé par l’Académie des sciences morales et politiques, ce qui n’est pas rien, et ses résultats auraient mérité que l’on s’y attarde sérieusement. Le peu de buzz généré par les médias semble d’ailleurs rétrospectivement suspect. Tout comme la façon dont quelques uns parmi les journaux « bien pensants » ont dénigré l’événement. Revenons donc sur cette évaluation qui n’est pas si anodine que cela…
Mais avant toute chose, il convient de rappeler le profil des experts qui ont été chargés de jauger les contenus des livres pédagogiques :
-Bernard Salanié, professeur d’économie, Columbia University, président du Club Praxis (think tank réformateur), Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du Front Monétaire International, Kevin H. O’Rourke, professeur d’histoire économique à All Souls College, Oxford, Salvador Barberà, professeur d’économie à l’Universitat Autònoma de Barcelona, et président de la Commission pédagogique de l’Association espagnole des sciences économiques, Thomas Philippon, professeur d’économie, New York University, Bernard Salanié, professeur d’économie, Columbia University.
De toute évidence, le panel de spécialistes qui a analysé les manuels des éditions scolaires Belin, Bordas, Hachette, Hatier, Magnard et Nathan ne comporte ni journaliste, ni militant. Tous ses membres sont des professeurs d’universités (américaines, anglaise et espagnole), à l’exception d’un praticien, ancien économiste du FMI, ce qui garantie un minimum d’expertise et de détachement sur ce sujet ô combien polémique.
Oui, les programmes de l’Education Nationale sont encore économiquement orientés !
Bien mieux qu’une synthèse, voici quelques extraits particulièrement éloquents des différents rapports établis par ces six experts. Un véritable florilège, certes long mais de nature à régaler les lecteurs les plus passionnés par le sujet ! Qu’on en juge:
« La dimension fondamentale du risque en économie nous semble escamotée presque entièrement, notamment les notions de prise de risque et de prix du risque. Elle permettrait de balayer rapidement les points de vue marxistes présentés dans le manuel de Terminale, assimilant les plus-values à l’extorsion des travailleurs, plutôt que de laisser l’élève dans un flou malencontreux ».
« Le chapitre sur les classes sociales relève davantage de l’histoire, pas de la sociologie contemporaine, tant le concept nous paraît aujourd’hui dépassé pour décrire la société et ses dynamiques. On passe beaucoup de temps sur l’individu et l’employé, pas assez sur l’entreprise. Des thèmes importants nous paraissent manquer, tels que la création et la croissance des entreprises, les problématiques de gouvernance moderne, l’optimisation de portefeuille, la propriété intellectuelle et les brevets, le financement de la recherche et de l’innovation ».
« La fiche “l’union monétaire en zone de turbulences” ne mentionne pas clairement les évolutions asymétriques et l’explosion du crédit dans les pays d’Europe du Sud. Elle insiste sur les responsabilités de la BCE dans le déclenchement de la crise, ce qui est discutable ».
« Les effets pervers de l’ouverture internationale » : il est curieux de parler d’effets pervers sur la base de prévisions établies en 2005 pour la période 2005 – 2015 alors que nous sommes en 2016 ».
« Aucune étude empirique n’est mentionnée pour soutenir l’affirmation (contestable) que la spéculation est déterminante dans la « multiplication des crises de change ». L’abus du terme spéculation (sans définition précise) ne contribue du reste pas à éclairer sur le fonctionnement des marchés ».
« Est-on obligé de commencer ce chapitre par un exposé des théories marxistes et la définition des plus-values comme une extorsion des travailleurs plutôt que comme une simple rémunération du capital? C’est, il nous semble, pousser le relativisme un peu loin. De plus doit-on parler de Marx en Seconde, Première et Terminale? Pourquoi ne pas laisser le sujet aux programmes d’histoire ou de philosophie? Qui parle encore aujourd’hui de classes sociales? La précarité peut toucher tout le monde, y compris les autoentrepreneurs qui prennent des risques personnels importants. Le monde des rentiers décrit par Balzac est depuis longtemps fini. On en est réduit dans ce chapitre à confondre « classes sociales » et simples « catégories sociales », en pratique CSP et catégories de revenus. Il faudrait ajouter parmi les catégories de Max Weber ou de Pierre Bourdieu la relation au risque. L’injustice la plus criante aujourd’hui est que les « insiders » concentrent de nombreux avantages sans prise de risque personnelle ».
« La conflictualité sociale: pathologie, facteur de cohésion ou moteur du changement social? On aurait préféré un titre plus positif. Il est ironique de penser que l’esprit des lois Auroux était de « promouvoir une démocratie économique fondée sur de nouvelles relations du travail ». Pourquoi revenir encore à la « lutte des classes » et à Marx? ».
« On a peut-être « institutionnalisé » les conflits (Ralf Dahrendorf), mais les syndicats ne sont ni représentatifs ni efficaces, et trop de conflits s’enlisent dans la violence. On semble justifier par un principe général tous les blocages de la société française: « les conflits qui manifestent une résistance aux changements peuvent aussi marquer une lutte menée au nom de valeurs supérieures ».
« Le résumé sur les inégalités devrait préciser que le coefficient de Gini est stable en France et même en baisse depuis 1985 ». La trappe à pauvreté pourrait être illustrée sur un exemple français (il existe par exemple des études du Conseil d’Analyse Economique) plutôt que basée sur l’expérience de l’État de Virginie ».
« Pourquoi poser la question de la justice sociale, nécessairement subjective, plutôt que celle de l’accès à des prestations et à des assurances de qualité ? Tout ramener à une question de justice, impliquant un déni et un préjudice, peut sembler une différence de présentation subtile. En réalité on finit par inculquer un esprit de comparaison critique permanent et on brime inutilement la réussite ».
« Il nous paraît choquant d’affirmer que les discriminations sont à l’origine des différences de salaire non dues à la productivité, à l’ancienneté, au niveau du diplôme ou à la pénibilité, comme si la relation salariale ne répondait pas aussi à une logique d’offre et de demande ? ».
« Ouvrir le chapitre sur l’énoncé « la mission de l’État-providence : assurer la cohésion sociale » nous paraît pour le moins simplificateur ».
« Il faut éviter des termes comme « épargne de spéculation », qui sont impropres (une compagnie d’assurances investissant à long terme dans des actions ne spécule pas) et qui contribuent à attiser les préjugés »
« Encore une fois, nous sommes frappés par une négativité certaine de ton : est-il judicieux de parler de précarité (avec une vignette assez cynique) et des dysfonctionnements de Pôle emploi dès les premières pages ? On pourrait aller plus vite pour aller à l’essentiel (comment trouve-t-on le moyen de parler de la crise des subprimes ?) : pourquoi attendre 9 pages avant de réfléchir aux causes du chômage et aux moyens de le réduire ? Et le lien entre chômage, et rigidité du marché du travail et niveau du SMIC, devrait être exposé plus clairement, plutôt que de présenter une opposition artificielle entre les points de vue néoclassique et keynésien ».
« Il est pour le moins surprenant d’assimiler une réduction des déficits à de l’austérité. Et encore une fois il est navrant de sembler impliquer une relation de causalité à partir de 4 données historiques, et sans avoir jamais expliqué la différence essentielle entre corrélation et causalité » (Yann Coatanlem sur Belin).
Les chapitres 3 et 4 sur le marché, ses forces et ses limites, sont bons aussi. La encore, j’aimerais des conclusions plus fortes. Y a-t-il une alternative à l’économie de marché ? Pourquoi la planification centrale n’a-t-elle pas marché ? (Olivier Blanchard sur Bordas).
« Le seul problème que semble poser le programme, tel que défini par le ministère, est que le chapitre sur l’offre, la demande et la détermination du prix est purement positif (et très bien fait). Ce qui signifie que la seule analyse normative des marchés est celle ayant trait à la pollution et aux manières de rendre le marché plus efficient (également très bien fait selon moi). En revanche, la raison pour laquelle il arrive que les marchés fonctionnent bien n’est malheureusement pas abordée ici…/.. Cependant si on ne suit que le cours de Seconde, il y a un petit risque qu’on conclue qu’en général, les marchés ne fonctionnent pas bien ».