En l’état, la réforme du lycée déçoit la communauté éducative

Aucun des trois projets d’arrêtés soumis par le ministre Jean-Michel Blanquer, jeudi 12 avril, à l’avis – consultatif – du Conseil supérieur de l’éducation, n’a été adopté
LE MONDE | 14.04.2018 à 06h34 • Mis à jour le 14.04.2018 à 08h54 | Par Mattea Battaglia et Violaine Morin

Peut-on mener une réforme du lycée sans l’appui de la communauté éducative ? La question se pose, alors que les engagements pris par le président de la République, Emmanuel Macron, semblent faire l’unanimité sur le fond – assurer une meilleure cohérence entre le secondaire et la licence –, mais pas sur les modalités qui ont été soumises, jeudi 12 avril, à l’avis consultatif du Conseil supérieur de l’éducation (CSE).
Sur les trois projets d’arrêtés relatifs au nouveau lycée examinés par les syndicats d’enseignants, aucun n’a été adopté. Il n’empêche que les séries n’existeront plus, d’ici deux ans, remplacées par des matières « de spécialité ». Les élèves pourront en choisir trois en première (pour 4 heures de cours par spécialité et par semaine), deux en terminale (pour 6 heures dans chaque spécialité).
Pour mémoire, le CSE n’avait pas mieux accueilli, le 21 mars, les textes sur le nouveau baccalauréat attendu à l’horizon 2021, quand les classes de seconde et de première doivent avoir fait peau neuve en 2019, celle de terminale en 2020.
« Les textes présentés jeudi sont très loin du rapport Mathiot », commente Alexis Torchet, du SGEN-CFDT, syndicat réformiste qui milite pour un « lycée modulaire » mais a voté contre les projets d’arrêtés. « Le lycée tel qu’il est envisagé ne permet pas de construire le parcours des élèves vers le supérieur comme c’était l’ambition de cette réforme », déplore le syndicaliste. D’abord parce que les « enseignements d’exploration » en seconde deviennent optionnels, ne permettant plus, selon lui, d’accueillir comme il se doit les élèves et de les aiguiller dans leurs choix – ambition défendue par l’universitaire Pierre Mathiot dans son rapport remis le 24 janvier au ministre de l’éducation.

Vives crispations

Autre évolution, la transformation des heures hebdomadaires d’orientation préconisées dans le projet de réforme en heures « d’accompagnement personnalisé » et « d’aide à l’orientation » dont l’enveloppe horaire, désormais annualisée (54 heures), devra être prise sur la marge des établissements. Les plus rétifs, sur le terrain, évoquent même une possible « externalisation » aux régions de cette mission dévolue aux enseignants.
Mais c’est la marge des établissements qui suscite les crispations les plus vives : les lycées disposeront à l’avenir de 12 heures hebdomadaires contre 10,5 aujourd’hui en seconde, 8 heures en première et en terminale. Sauf que celles-ci devront contenir les heures d’accompagnement et d’orientation, les dédoublements de classe… Et peut-être même les heures d’option, avance Claire Guéville, du SNES-FSU.
Il pourrait donc être laissé au libre arbitre du proviseur d’ouvrir une option ou de dédoubler une classe, en fonction des besoins du lycée. « On imagine bien qu’un lycée de centre-ville pourra ouvrir toutes les options qu’il veut, alors qu’un lycée difficile choisira en priorité de dédoubler une classe », assure Mme Guéville.
Pour le reste, la grille horaire n’a guère varié depuis les premières esquisses cet hiver : 3 heures d’histoire en première et en terminale (il n’y en avait plus que 2 h 30 en première puis 2 heures en terminale S), 4 heures de français en première, 4 heures de philosophie en terminale. Ce nouveau tronc commun contient bien un « enseignement scientifique », à raison de 2 heures par semaine, mais dont on ne connaît toujours pas le contenu.

« On a le sentiment d’avoir été trompés »

Les chefs d’établissement – dont les syndicats se déclarent favorables à la réforme – auront également la responsabilité de répartir les heures entre les différentes disciplines qui composent deux des nouveaux enseignements dits « de spécialité »  – « histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques » et « littérature, humanités et philosophie ». Pour le premier, les professeurs d’histoire-géographie et de sciences économiques et sociales (SES) seront mis à contribution ; pour le second, ceux de lettres et de philosophie.
Mais à raison de combien d’heures chacun ? Dans un communiqué, le 2 avril, les associations de professeurs d’histoire-géographie (APHG), de sciences économiques et sociales (Apses), de philosophie (Appep) et de lettres (APL) posent la question et réclament un arbitrage national. « On nous met en concurrence avec les collègues de lettres tout en nous demandant de travailler avec eux », déplore Nicolas Franck, de l’Appep. Sans compter qu’il leur faudra corriger, ensemble, une épreuve commune au baccalauréat.
« On a le sentiment d’avoir été trompés. Cette double spécialité lettres-philo vient nier la spécificité de notre discipline », commente Nicolas Franck. Le sentiment est à peu près le même du côté de l’association des professeurs de SES, selon le président de l’association d’enseignants Erwan Le Nader : « On nous demandera de corriger un exercice d’histoire-géo au bac. Mais est-ce qu’on demande aux profs de SVT de corriger de la physique-chimie, et inversement ? »

Contexte plutôt favorable à la réforme

« Le diable se niche dans les détails et les non-dits », avance une source qui a suivi le projet de réforme. Il semble qu’il n’y ait guère de projet d’arrêté en soute concrétisant la liste nationale de binômes d’enseignement évoquée par M. Blanquer en conférence de presse, en mars. « Il était question de binômes plus attractifs dans les lycées difficiles, pour étoffer leur offre. On ne voit rien venir », regrette cette même source.
Et pourtant, ce « lycée Blanquer » retoqué au niveau syndical n’a guère fait descendre la foule dans la rue, en dépit des appels lancés en ce sens par le SNES notamment. Pour nombre d’observateurs du monde scolaire, le contexte est plutôt favorable à la réforme. Plus, en tout cas, qu’il y a bientôt dix ans, quand les ministres Xavier Darcos puis Luc Chatel (dont M. Blanquer a été le numéro deux) ont successivement avancé leur projet dénoncé comme un « lycée light » visant à faire des économies.
Prochaines étapes : la remise en jeu des programmes du lycée et la répartition des moyens, établissement par établissement, très attendue par le monde enseignant. Du côté des proviseurs, on espère aussi un positionnement plus clair des acteurs de l’enseignement supérieur, pour que les élèves puissent faire leur choix de spécialité « sans attendre et en connaissance de cause », plaide Philippe Tournier, du SNPDEN-UNSA.

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