Posted on Par Philippe Boursier, membre de la Fondation Copernic. Professionnel, technologique ou général : Blanquer veut un lycée à la main du (grand) patronat /

Ce n’est pas une réforme qui frappe aujourd’hui les lycées mais un arsenal de mesures qui s’attaque conjointement à la masse salariale dans le secondaire, aux conditions de travail des personnels, à leur autonomie dans le travail, aux contenus des enseignements, aux lycéens d’origine populaire, au bac en tant que diplôme de premier grade universitaire et à l’accès à l’enseignement supérieur. La pseudo- consultation confiée à la mission Mathieu l’an passé, ne visait qu’à distraire l’attention du monde enseignant et à légitimer des contre-réformes qui font système et dont l’essentiel figurait dès 2016 dans le livre de Jean-Michel Blanquer l’Ecole de demain. L’ex-responsable de la Direction générale de l’enseignement scolaire sous Nicolas Sarkozy y traçait une feuille de route conforme aux attentes des réseaux technocratiques et libéraux qui enserrent le ministère de l’Education nationale. Conforme également aux intérêts d’un (grand) patronat impatient de réduire l’autonomie du monde enseignant toujours soupçonné d’être un frein à l’apprentissage de la docilité dans les entreprises.

Moins de profs, moins d’impôts pour les riches, de nouveaux marchés pour le privé

Blanquer comme ses complices libéraux veut d’abord saigner l’Etat social. Moins de fonctionnaires, c’est moins de dépenses publiques et de juteuses baisses d’impôts accordées aux (grandes) entreprises et aux détenteurs de gros patrimoines. Moins de service public, c’est également des marchés qui s’étendent et de nouveaux profits pour les firmes qui sauront s’en emparer.
En 2018, Blanquer réduisait de 20% les postes aux concours d’enseignants du secondaire. Cette année le ministère annonce 2800 nouvelles suppressions de postes dans les collèges et surtout dans les lycées. L’an prochain, si le gouvernement n’est pas mis en échec, les suppressions de postes se poursuivront à la faveur de la mise en place de la réforme de la classe de terminale à la rentrée 2020.
Le secondaire n’est pas le seul niveau concerné par les coupes claires annoncées dans les effectifs de fonctionnaires. Le candidat Macron a promis 120.000 postes en moins à la fin du quinquennat dont 50.000 dans la fonction publique d’État. L’Education nationale représentant la moitié des fonctionnaires d’État, la saignée pourrait, à terme, concerner au moins 20.000 postes dans l’Education.

Plus de contractuels, moins d’horaires disciplinaires, extinction des classes à « faible » effectif

À la rentrée prochaine, la destruction des postes dans les lycées généraux prend appui sur des dispositifs divers.
– La disparition des séries est l’occasion de réduire les horaires disciplinaires en seconde, en première et en terminale. Elle est également une opportunité calculée pour « maximiser » l’usage des « ressources humaines » disponibles en saturant les effectifs par classe. Les enseignements obligatoires désormais identiques pour tous les élèves, rendront en effet plus simple le « remplissage » des cours concernés … et pourraient également encourager la généralisation des cours en amphis. De la même manière, les enseignements de spécialités1- 12 heures hebdomadaires en première et en terminale – qui seront organisés à l’échelle d’un bassin pourront être investis d’une même visée : faire disparaître les classes à « faible » effectif.
– Trois autres dispositifs vont faciliter l’hémorragie de postes stables dans les lycées à la rentrée prochaine : la fin du cadrage national des dédoublements pourrait également participer à la raréfaction des cours à effectif réduit ; l’obligation faite aux enseignant.e.s à plein temps d’accepter deux heures supplémentaires inscrites dans leur service; et plus classiquement le recours aux contractuel.le.s annoncé par le gouvernement.

Allongement du temps de travail effectif, multiplication des tâches et intensification du travail enseignant

Dans une pure logique capitaliste, les gains de productivité recherchés – « produire » plus de bacheliers avec moins de moyens – proviendront d’abord de l’intensification du travail des enseignant.e.s qui auront en charge plus de classes et des classes de plus en plus en plus surchargées. Et comme dans les entreprises, les salarié.e.s devront endosser des tâches toujours plus nombreuses :

– La confection de nouveaux cours conformes aux nouveaux programmes à la rentrée 2019 pour deux niveaux – seconde et première -, puis pour la classe de terminale à la rentrée suivante ;
– La multiplication des tâches d’orientation scolaire – choix des combinaisons de spécialité (trois en première, deux en terminale) qui s’ajoutent aux tâches induites par la très calamiteuse plate-forme Parcours Sup ;
– La prise en charge des taches d’orientation professionnelle : la disparition progressive des Centres d’information et d’orientation (CIO), va évidemment de pair avec le transfert vers les enseignant.e.s des tâches d’orientation qui leur incombaient ;
– L’alourdissement considérable des taches liées à l’organisation complexe des examens qui vont maintenant scander le quotidien des lycéen.ne.s. Avec le démantèlement partiel du bac et l’introduction d’un système de partiels en première et en terminale, chaque lycée aura en effet la charge d’organiser des examens partiels, et préalablement, des concertations sur le choix des épreuves communes, l’harmonisation des corrections, des sessions de rattrapage pour les absent.e.s, etc. Pour le gouvernement la réduction du nombre d’épreuves terminales permet de diminuer le coût de l’examen. Mais l’économie se réalise par un surplus de travail (gratuit ?) imposé aux personnels des lycées.

Une entreprise managériale d’assujettissement de la force de travail dans les lycées

La dégradation continue des conditions de travail dans les lycées est fondamentalement l’expression d’un rapport de forces devenu défavorable pour les personnels des lycées face à leur employeur et qui se traduit très concrètement par la généralisation de situations de souffrances au travail. Une bonne partie des mesures Blanquer vise très clairement à déséquilibrer plus encore ce rapport de forces en multipliant les dispositifs managériaux issus des entreprises privées et qui entendent défaire les solidarités collectives du monde enseignant :

– Le choix des disciplines dédoublées sera maintenant confié au Conseil pédagogique de chaque établissement
– une instance de « concertation » placée sous la houlette du chef d’établissement et qui contourne les équipes syndicales – où les compétitions entre disciplines risquent bien de s’exacerber ;
– Dans un contexte d’autonomisation accrue des établissements, les évaluations demandées en début d’année scolaire des élèves de seconde dépossèdent les enseignant.e.s de leur métier et les transforment en simples exécutant.e.s.
– Ces évaluations de seconde sont aussi un outil pour classer les établissements et les équipes pédagogiques en fonction des résultats. Derrière un discours prétendument scientifique, le ministre entend normer les pratiques pédagogiques pour mieux “accompagner et piloter” les enseignant.e.s. c’est-à-dire pour les contrôler davantage.
– L’obsession de la « culture du résultat » issue du monde de l’entreprise et qui défait le service public d’éducation et l’autonomie des salarié.e.s qui le font vivre, se manifeste avec l’augmentation des postes à profil ; l’arbitraire et l’injustice des promotions ; la mise en place de la prime REP+ au mérite ; la mise en place au 1er trimestre 2019 d’une évaluation des établissements.

Neutraliser les contenus critiques enseignés pour encourager l’apprentissage de la docilité

La mise au pas des lycées généraux et technologiques, passe aujourd’hui aussi par la refonte des programmes qui encadrent les savoirs qui y sont transmis. Blanquer a demandé au Conseil supérieur des programmes (CSP) de les rédiger pour toutes les disciplines en moins de quatre mois afin de les mettre en application en seconde et en première dès la rentrée 2019. La fabrication des nouveaux programmes se fait dans la précipitation et sous la pression conjointe du ministère et de réseaux d’influence notamment économiques. Le CSP a déjà connu trois démissions successives en un an comme le rapporte le journal Libération au début du mois d’octobre : « Et de trois. Trois démissions en un an. Voilà que Marie-Aleth Grard, la vice-présidente d’ATD Quart monde, quitte à son tour le Conseil supérieur des programmes (CSP), cette instance chargée de rédiger les programmes scolaires. Cette démission intervient après le départ tonitruant il y a un an de son président Michel Lussault, suivi à quelques mois d’intervalle de sa vice-présidente, Sylvie Plane. »2
Dans ses recommandations, le ministre dit clairement que certains savoirs critiques – c’est-à-dire ceux qui permettent de questionner les rapports de pouvoir dans la société – doivent être neutralisés. Ainsi l’enseignement des Sciences économiques et sociales « doit contribuer à l’amélioration de la culture économique des jeunes Français… Il convient de renforcer les approches microéconomiques nécessaire (sic) pour comprendre les mécanismes fondamentaux de l’économie ». Dit autrement, le ministère fait sienne la vision de l’Académie des sciences morales et politiques, une officine liée au Medef, qui depuis longtemps fait un travail de lobbying pour écarter la sociologie (critique), la science politique d’inspiration sociologique et les approches économiques hétérodoxes du programme de SES. Les nouveaux programmes ne sont pas encore connus mais la composition de la commission suggère que les intérêts patronaux et ceux des économistes libéraux n’ont pas été oubliés. Du reste sa présidence confiée à Philippe Aghion, professeur au Collège de France, qui a participé activement à la fabrication du programme économique d’Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle, est à elle seule tout un programme…

Une logique de marginalisation accrue de la jeunesse des classes populaires

On sait l’ambivalence du lycée actuel qui a sa part de lumière – le service public qui promeut l’accès à l’éducation et aux savoirs qui émancipent -, et qui a sa part d’ombre – la sélection sociale qui s’y déploie et la reproduction des rapports de domination auquel il contribue. Mais le lycée « Blanquer », s’il devait advenir, frapperait de plein fouet les fractions de la jeunesse populaire qui trouvent aujourd’hui leur place dans les séries générales ou technologiques. Nombre de changements concourent d’abord à accentuer la stigmatisation des lycées dont le recrutement est le plus populaire. Dans le contexte de la mise en œuvre de Parcours Sup, le choix des spécialités deviendra en effet déterminant dans l’orientation post-bac. L’inégale offre de spécialités ne peut que creuser les inégalités entre les lycées. Les effets d’étiquetage induits par cette offre inégale vont être démultipliés avec la mise en œuvre d’une évaluation des établissements annoncée au 1er trimestre 2019, qui aboutira à l’émergence d’un véritable marché des lycées qui ne peut que renforcer la ségrégation sociale et la marginalisation des lycées dominés. Le bac désormais validé avec une part de contrôle continu, pourrait bien alors avoir une valeur très inégale selon le lycée dans lequel il aura été obtenu.

Ainsi promu-e-s « auto- entrepreneur.se.s de leur scolarité », les élèves vont être incités à jouer des coudes pour bénéficier des combinaisons de spécialités et d’options les plus prestigieuses au sein des établissements les plus
« côtés » afin d’obtenir les meilleures opportunités d’orientation. Le profil social des « perdant.e.s » de cette compétition inégale ne fait guère mystère. C’est précisément celui de ceux et de celles que Parcours Sup a écarté de l’université. La réforme Blanquer est une machine qui fait du tri social et dont les mécanismes se conjugueront pour maintenir à leur place, dans leur classe, les enfants des classes populaires.

 

1/Sur les 12 spécialités prévues, 5 ne font l’objet que d’une carte académique ou nationale : arts, littérature et LCA, ainsi que numérique et sciences informatiques, et sciences de l’ingénieur et biologie écologie. Les 7 autres, au départ annoncées comme devant être présentes dans chaque lycée, devront en réalité être disponibles au sein d’un même bassin : histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques ; humanités, littérature et philosophie ; langues, littératures et cultures étrangères ; mathématiques ; physique-chimie ; SVT ; SES.

2/https://www.liberation.fr/france/2018/10/02/nouvelle-demission-au-sein-du-conseil-superieur-des-programmes_1682546?xtor=EPR- 450206&utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=quot

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