Faut-il « alléger » l’enseignement de sciences économiques et sociales (SES) en classe de seconde ? Jugeant impossible de boucler le programme de façon satisfaisante face à des élèves qui découvrent à peine leur discipline, les professeurs concernés le réclamaient de longue date.
Le ministère a finalement entendu leur argument : il soumettra demain au conseil supérieur de l’éducation, l’instance consultative qui représente la communauté éducative, un arrêté visant à délester cet enseignement dit « d’exploration ».
Six grandes questions à traiter en un an
Concrètement, le programme demeure articulé autour de dix grandes questions. Mais à l’avenir, les professeurs seront tenus d’en traiter au minimum six, et non plus huit. Et on ne compte plus cinq mais quatre sujets à aborder impérativement.
C’est ainsi que la question : « Comment se forment les prix sur un marché ? » disparaît de la liste des thèmes obligatoires. Libre désormais à chaque enseignant d’y consacrer – ou non – un peu de temps dès la seconde.
De quoi provoquer l’exaspération de certains acteurs du patronat, qui dénoncent une nouvelle fois un enseignement de l’économie « biaisé », assuré par des professeurs « déconnectés » des réalités et suspectés d’hostilité aux principes du marché.
Une accusation de partialité contre laquelle s’élève Romain Gény, coresponsable du groupe de sciences économiques et sociales au sein du Snes, le principal syndicat d’enseignants.
« Nous refusons toute instrumentalisation de notre discipline au profit d’une théorie, quelle qu’elle soit. Nous sommes là pour présenter à nos classes des outils pluralistes, sans négliger les apports de la sociologie, qui aident à cerner les relations entre individus ou entre un groupe et le reste de la société », soutient-il.
Alléger le programme pour « équilibrer la partition entre économie et sociologie »
Facultatif, lui aussi, en classe de seconde, le thème du chômage est bien sûr abordé sous l’angle économique, en s’intéressant à ses causes. « Des coûts salariaux trop élevés ou une insuffisance de la demande ? », interroge le programme.
« Une formulation intelligente, qui permet de confronter les interprétations libérale et keynésienne, approuve Romain Gény. Mais le sujet est aussi l’occasion d’aborder les conséquences sociales : la situation d’exclusion que connaissent une partie des chômeurs ou le développement de l’emploi précaire qui complique l’entrée des jeunes dans la vie adulte », poursuit le syndicaliste.
Précisément, cet allégement aura pour effet, entre autres, d’« équilibrer la partition entre économie et sociologie », tout en assurant « une liberté pédagogique dans le choix des questions traitées », plaide le ministère, désireux de dépasser la polémique.
Ce débat parfois vif autour du programme de SES en seconde, année de tronc commun pour les filières générales et technologiques, a en tout cas pour vertu de poser une question essentielle : quel enseignement d’économie pour l’ensemble des élèves, et pas seulement les 100 000 jeunes qui passent chaque année le bac ES ?
Des clés pour « contribuer à la formation des citoyens »
Depuis la réforme du lycée, en 2010, 100 % des élèves des voies générale et technologique doivent suivre deux enseignements d’exploration, dont au moins un à « dominante » économique : dans plus de huit cas sur dix, « Sciences économiques et sociales » ; ou bien « Principes fondamentaux de l’économie et de la gestion », un enseignement présenté comme davantage tourné vers la pratique.
Les lycéens sont ainsi plus nombreux que dans le dispositif antérieur à se voir sensibilisés à ces thématiques. Mais la durée de ces enseignements a été réduite à une heure et demie par semaine. Quant aux élèves de lycée pro, tous ne bénéficient pas, tant s’en faut, de telles clés de lecture.
Une situation pour le moins insatisfaisante si l’on considère que l’objectif des SES est de « préparer aux études supérieures », de « forger une culture économique et sociale » et de « contribuer à la formation des citoyens », comme le résume Erwan Le Nader, le président de l’association disciplinaire APSES.
« Sans ces bases, impossible de comprendre la plupart des thèmes qui seront au cœur de la présidentielle de 2017 », anticipe-t-il, convaincu que tous les lycéens devraient au moins pouvoir « choisir au bac une option SES ».
Des mini-entreprises pour favoriser l’initiative
Et les collégiens ? Faut-il vraiment attendre la seconde pour se familiariser avec l’économie et la sociologie ? À dire vrai, les cours d’histoire-géographie, d’enseignement moral et civique et de technologie offrent l’occasion d’évoquer la crise de 1929, les premiers congés payés ou encore le PIB. Mais ne devrait-on pas aller plus loin au cours de la scolarité obligatoire ?
Alors que le socle commun insiste beaucoup sur l’acquisition de compétences, certains mettent en avant la nécessité de donner aux jeunes le goût de l’initiative, économique et pas seulement.
Pour ce faire, beaucoup d’établissements misent, souvent dès le collège, sur les mini-entreprises, des entreprises créées et dirigées, le temps d’une année scolaire, par des élèves, avec leurs enseignants et des parrains, des entrepreneurs ou leurs collaborateurs.
Aïmata est élève de seconde au lycée Richelieu, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). C’est elle qui dirige la communication d’une mini-entreprise tournée, comme elle le dit, « vers le monde hispanique ».
Création d’une plate-forme touristique sur l’Internet dans le cadre d’une « joint-venture » avec une mini-entreprise espagnole. Production et vente de calendriers, en partenariat avec des élèves de l’Alliance française de La Havane, à Cuba, afin de financer, sur place, la création d’une mini-épicerie.
« Notre parrain est une marraine. Notre directeur une directrice. J’ai compris, à travers cette expérience, que les femmes ont toute leur place dans l’entreprise », témoigne-t-elle.
Donner le goût de l’entreprise le plus tôt possible
Vincent, en terminale à Saint-Dié (Vosges), est quant à lui le « PDG » de Génération Z, qui vient de remporter le championnat national des mini-entrepreneurs. Sa « boîte » rassemble quatorze élèves des voies générale, technologique et professionnelle.
Elle conçoit et produit des objets ludiques qui favorisent le développement sensoriel des jeunes enfants, des objets commercialisés « auprès de crèches, d’écoles maternelles et de nourrices ». Avant de se lancer dans l’aventure, lui aussi avait « des idées reçues » sur l’entreprise. « Un monde un peu froid, obsédé par le bénéfice », pensait-il alors.
« En réalité, sur 25 000 mini-entreprises, 70 % ont opté pour une forme coopérative », souligne Julien Vasseur, le directeur d’Entreprendre pour apprendre. « On est en plein dans l’économie sociale et solidaire », souligne-t-il.
« Attention toutefois à ne pas donner une vision enchantée de l’entreprise », tempère Romain Gény, du Snes. « L’entreprise, c’est le plaisir de travailler ensemble, la création de richesses. Mais les conflits sociaux existent aussi », fait valoir le syndicaliste.
Pour donner une vision « équilibrée » du monde du travail, l’Apel, l’association des parents d’élèves de l’Enseignement catholique, sollicite aussi ses membres, invités en mars dernier à venir faire découvrir leur propre métier aux enfants, en commençant dès le primaire.
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Dix grandes questions économiques
Depuis la réforme du lycée de 2010, le programme de seconde en SES, l’un des enseignements d’exploration censés aider l’élève à choisir sa série pour le baccalauréat, s’articule autour de dix questions.
Désormais, quatre de ces questions seront abordées obligatoirement : comment les revenus et les prix influencent-ils les choix des consommateurs ? Qui produit les richesses ?
Le diplôme : un passeport pour l’emploi ? Comment devenons-nous des acteurs sociaux ?
Les autres seront facultatives : La consommation : un marqueur social ? Comment produire et combien produire ? La pollution : comment remédier aux limites du marché ? Le chômage : des coûts salariaux trop élevés ou une insuffisance de la demande ? Comment expliquer les différences de pratiques culturelles ? Comment se forment les prix sur un marché ?