Monsieur le Directeur de la publication,
Le 18 septembre dernier, le site Capital.fr a publié un article d’Alain Lemasson intitulé « L’enseignement de l’économie est biaisé en France et en Allemagne ».
Ledit article fait apparaître l’enseignement conjoint, dans les lycées français, de l’économie et de la sociologie, la suppression du baccalauréat ES, les programmes de Sciences économiques et sociales et les méthodes d’enseignement de l’économie dans les lycées français.
Agissant en la qualité de co-président.e.s de l’Association des professeurs de Sciences économiques et sociales (APSES), qui œuvre au quotidien pour le développement de l’enseignement des SES et la défense du corps des professeur.e.s de SES, nous entendons faire usage du droit de réponse suite à la parution de cet article.
En effet, l’APSES constate de nombreuses erreurs factuelles dans la présentation des programmes et conteste la vision de l’auteur quant à à l’enseignement des SES dans les lycées français.
Ainsi, vous trouverez ci-après notre réponse à ces allégations.
Par la présente, nous demandons la diffusion de l’intégralité de son contenu sur le site internet que vous hébergez.
En vous remerciant de l’attention que vous porterez à notre demande, veuillez agréer, Monsieur le directeur de la publication, nos respectueuses salutations.
Solène Pichardie et Benoît Guyon, co-président.e.s de l’APSES
EDIT : ce droit de réponse a été publié par la rédaction de Capital à la suite de la chronique de M. Lemasson.
Dans l’article intitulé « L’enseignement de l’économie est biaisé en France et en Allemagne », publié le 18 septembre 2019, son auteur, Alain Lemasson, affirme que les « jeunes souffrent de graves lacunes en économie et en finance » et que cela est le résultat de « programmes inadaptés et biaisés ». L’APSES n’a eu de cesse d’alerter le Ministère de l’Education nationale et le Conseil supérieur des programmes, lors de la confection et de la publication des nouveaux programmes de Sciences économiques et sociales (SES), du caractère encyclopédique et du parti pris idéologique car non pluraliste, des chapitres d’économie notamment.
Toutefois, contrairement aux limites pointées par l’APSES et de nombreux universitaires, les biais supposés du programme tels qu’ils sont présentés par Alain Lemasson, reposent sur de nombreuses erreurs factuelles qu’il est nécessaire de corriger.
Selon l’auteur de l’article, « les programmes français et allemands ont en commun l’impasse quasi-complète sur le rôle des banques et des marchés dans le financement de l’économie ». Cela est faux. Dès la classe de première, dans le chapitre « Comment les agents économiques se financent-ils ? », on attend des élèves qu’ils sachent « ce qu’est l’excédent brut d’exploitation et [comprennent] que les entreprises se financent par autofinancement et financement externe (emprunts bancaires et recours au marché financier, en particulier actions et obligations)1 ». Par ailleurs, le « rôle des banques et des marchés » n’est pas une nouveauté car il y a toujours eu un chapitre consacré au financement de l’économie dans les programmes de Sciences économiques et sociales.
Toujours selon Alain Lemasson, « Rien n’est dit de l’action de la BCE et de l’importance de l’euro au plan international », or, en classe de Première, dans le chapitre « Qu’est-ce que la monnaie et comment est-elle créée ? », on attend des élèves qu’ils comprennent « le rôle de la banque centrale dans le processus de création monétaire, en particulier à travers le pilotage du taux d’intérêt à court terme sur le marché monétaire ». Les élèves doivent également « comprendre les effets que ces interventions peuvent produire sur le niveau des prix et sur l’activité économique. » Aussi, en classe de Terminale, un chapitre entier est consacré aux politiques économiques dans le cadre européen dans lequel les élèves doivent notamment « savoir que la politique monétaire dans la zone euro, conduite de façon indépendante par la Banque centrale européenne, est unique alors que la politique budgétaire est du ressort de chaque pays membre mais contrainte par les traités européens ». Dans le chapitre « quels sont les fondements du commerce international et de l’internationalisation de la production ? », les élèves doivent maîtriser les déterminants de la productivité des firmes et de la capacité d’un pays à exporter, et comprendre les termes du débat entre libre-échange et protectionnisme. Ces points semblent difficiles à traiter sans mentionner le rôle joué par les taux de change, et donc le rôle de l’Euro à l’échelle internationale.
Pour Alain Lemasson, « ces programmes distillent une forme d’hostilité à l’égard des institutions financières et de l’euro, désignés pêle-mêle comme responsables des problèmes de notre temps ». Il semble qu’au contraire, en classe de Terminale, dans le nouveau programme, le chapitre consacré à l’explication des crises financières met en avant les instruments de régulation du système financier tels que la supervision des banques par la banque centrale et le ratio de solvabilité. Quant au chapitre « Quelles politiques économiques dans le cadre européen ? », il conduit à présenter le rôle qu’a joué l’Euro dans l’intégration Européenne de même que les problèmes de coordination qu’ils posent.
Au final, les institutions financières et de l’euro semblent donc être traitées à la fois comme des garde-fous essentiels à la stabilité du système économique, et comme sources potentielles de dysfonctionnements économiques.
D’autre part, évoquer « les lois de l’économie et de l’entreprise », comme le fait Alain Lemasson, conduit à éluder les nombreux aspects du fonctionnement de l’économie qui ne font pas consensus chez les économistes. Ainsi, l’analyse critique est consubstantielle à une démarche scientifique rigoureuse. Pour l’APSES, il est fondamental de présenter la pluralité des approches théoriques sur des sujets comme la croissance économique ou les inégalités car ces derniers font l’objet de débats théoriques dans le champ scientifique.
Enfin, Alain Lemasson conteste le fait de recourir simultanément à la sociologie, à l’économie (ainsi qu’à d’autres sciences sociales comme les sciences politiques ou l’ethnologie, même si l’auteur semble l’ignorer) pour éclairer des phénomènes sociaux. Or c’est précisément ce qui fait la richesse et l’intérêt des SES pour la formation intellectuelle et citoyenne des élèves. Si l’on souhaite que les « jeunes », futur.e.s citoyen.ne.s puissent appréhender et comprendre les enjeux économiques et sociaux actuels, il semble nécessaire de faire se questionner et se répondre les théories et les débats qui traversent les différentes sciences sociales, ainsi que les discussions réciproques que ces disciplines entretiennent les unes avec les autres.
L’un des problèmes que posent ces nouveaux programmes est justement de laisser une trop faible place aux apports respectifs de ces disciplines au sein d’un même chapitre.
Trop pressé de développer sa critique de l’enseignement de l’économie au lycée, Alain Lemasson n’a visiblement pas pris le temps de lire les programmes de SES et de se renseigner sur le caractère pluridisciplinaire de cet enseignement scolaire, créé il y a plus de 50 ans. Le contenu de son article révèle qu’une partie des arguments avancés dans le débat sur l’enseignement de l’économie au lycée relève davantage de fantasmes que d’une réelle analyse des programmes et des pratiques pédagogiques des enseignant.e.s de SES.
L’APSES reste convaincue de la nécessité d’améliorer la formation des élèves et leur culture économique et sociale. Dans le nouveau lycée, les SES deviennent enseignement de spécialité, donc optionnel pour les lycéenn-e-s. Ainsi, une majorité d’entre-eux n’aura suivi cet enseignement qu’en classe de seconde, à raison d’1h30 par semaine, soit le plus faible horaire disciplinaire du tronc commun.
Avant d’accuser les SES de tous les maux, il serait de bon ton d’établir une analyse honnête de la situation, de mener une critique rigoureuse des programmes et d’interroger la place de cet enseignement dans le lycée Blanquer.
1Voir programme officiel de SES, BO du 22 janvier 2019