Étaient présent.e.s lors de cette entrevue :
- pour l’Inspection Générale : M. Marc Pelletier, doyen de l’IG de SES, et M. Christophe Lavialle, IG de SES ;
- pour l’APSES : Clarisse Guiraud, vice-présidente, Erwan Le Nader, président et Benoît Guyon, membre du bureau national.
La rencontre, cordiale, s’est déroulée dans les locaux de l’Inspection générale et a duré 2 heures. Le compte-rendu a été soumis à nos interlocuteurs, qui ont confirmé sa fidélité aux propos échangés.
L’APSES était reçue à sa demande, suite à la lettre ouverte de son comité directeur à l’Inspection générale de SES.
Après un bref rappel du contenu de la lettre par l’APSES, M. Pelletier a répondu par le souhait d’un échange transparent, franc et direct, tout en soulignant que cette forme d’interpellation n’avait pas été appréciée.
Les nouveaux programmes de seconde et de première
L’APSES a présenté ses critiques concernant les programmes : encyclopédisme, de nombreux aspects trop techniques et formalisés, manque de pluralisme, absence de problématisation.
L’IG a rappelé que les critiques étaient normales lors de la présentation d’un changement dans les programmes, mais que les arguments de l’APSES ne lui paraissaient pas justifiés. Le traitement du programme n’appelle pas un formalisme excessif ; la plupart des contenus, notamment en économie, sont d’ores et déjà présents dans les programmes actuels ; les apprentissages sont toujours appréhendés par le biais d’un questionnement. Concernant le supposé manque de pluralisme, l’IG rappelle notamment qu’en économie le marché est abordé de la même façon que dans les programmes actuels, et la première ligne des IC pose clairement le marché comme institution ; et qu’en sociologie, la socialisation est abordée selon la pluralité de ses processus et effets et les déterminants du vote sont aussi appréciés dans leur pluralité.
L’APSES fait remarquer que, dans les anciens programmes (avant 2010), l’institutionnalisation du marché faisait l’objet d’un chapitre entier.
Pour l’IG, la critique de contenus trop encyclopédiques ne tient pas : les programmes ont justement été conçus avec un souci de faisabilité en classe. Bien évidemment, cette contrainte supposait de faire des choix. L’argument du manque de pluralisme ne tient pas non plus, eu égard par exemple aux chapitres qui présentent les limites du marché.
Selon l’APSES, la démarche pédagogique n’est pas adaptée aux élèves. Il n’est pas pertinent de débuter par le modèle de concurrence parfaite, il faut au contraire débuter par l’étude de marchés concrets, avec une conceptualisation progressive qui laisse place au pluralisme (par exemple en seconde, plutôt que d’étudier les courbes d’offre et de demande, il serait préférable de parler des stratégies prix et hors-prix des entreprises).
Selon l’IG, la théorie économique s’étant construite avec des modèles, il faut partir de la théorie avec les élèves et redescendre vers le concret. Toutefois, rien n’exclut de partir de l’étude d’un marché concret pour aborder « comment un marché concurrentiel fonctionne-t-il ? ».
M. Lavialle précise qu’il pilote un groupe de travail sur le continuum bac -3/+3, que les programmes n’échappent pas à la règle et rentrent dans ce schéma. La force des SES, selon l’IG, réside dans leur appariement aux disciplines universitaires constituées. La légitimité des SES repose avant tout sur son assise disciplinaire. Et puisque nous enseignons les sciences économiques, il faut une certaine continuité avec le supérieur, afin de permettre aux étudiants, de L1 en économie notamment, de maîtriser les raisonnements de base.
Pour l’APSES les nouveaux programmes accentuent les défauts des programmes actuels (plus grande séparation disciplinaire, quasi absence de la macro-économie, plus grande formalisation et technicité)
Quant aux choix opérés, si l’APSES a salué l’introduction de la science politique en seconde, nous avons posé la question de la disparition totale du thème de la consommation, alors que le marché sera traité sur les deux niveaux dans plusieurs questionnements. De même, nous perdons de vue ce qui est quand même la raison d’être du système économique, i.e. la satisfaction des besoins humains.
Concernant le thème de la consommation, l’IG reconnaît que d’autres choix étaient possibles, mais qu’il s’agissait d’un choix délibéré du groupe d’experts visant à introduire un thème important, déjà présent en partie dans le programme de seconde, et se prêtant à un regard croisé plus abouti, « quelles relations entre le diplôme, l’emploi et le salaire ? ». Concernant la réception du programme sur le terrain, l’inspection n’observe pas les mêmes critiques.
L’APSES a rappelé le succès de la pétition, signée massivement par les collègues et par plus de 600 chercheurs en sciences sociales. Si les collègues peuvent avoir des réticences à exprimer leurs critiques face à leurs inspecteurs, la parole est plus libre dans les établissements, et semble contredire le sentiment de l’IG.
L’IG a rappelé que les programmes, à l’issue du travail d’un GEPP, étaient signés par le ministre puis publiés et qu’ils sont dès lors parfaitement légitimes. Les programmes s’inscrivent dans la continuité de ceux de 2010 et ne déstabilisent pas les pratiques pédagogiques des professeurs. Ainsi, la question est désormais celle de leur mise en œuvre : ce n’est pas rendre service aux collègues que de remettre sans cesse en cause la légitimité des programmes.
De fait, pour l’APSES, ces programmes ne sont pas légitimes, car ayant reçu un avis négatif à l’unanimité par le CSE en décembre dernier, et critiqués par de nombreux scientifiques. L’APSES devrait donc prochainement proposer aux collègues un programme de contournement.
Pour l’IG, contourner des programmes nationaux, dans un cadre républicain qui s’applique à tous de manière uniforme, n’est pas acceptable. M. Pelletier se demande si cette méthode est celle des nombreux collègues qui sont formateurs à l’ESPE et aussi membres de l’APSES. Une telle démarche mettrait en difficulté les collègues et les élèves, notamment les plus fragiles : l’IG ne comprend pas ce mode d’action, et s’interroge sur les relations futures avec l’APSES si elle devait effectivement proposer un programme de contournement.
L’APSES a d’abord précisé que lorsqu’en 2011 elle a publié des ressources de contournement via le site SESâme, cela ne s’est pas fait au détriment des élèves, et que l’objectif était au contraire de leur apporter de l’aide. L’APSES a par ailleurs tenu à réfuter clairement tout soupçon de confusion des rôles pour les membres de l’APSES qui sont formateurs en ESPE.
L’IG s’en félicite et considère alors qu’il n’y a pas lieu d’entretenir la confusion en proposant un contournement des programmes. Une association peut parfaitement aider à la mise en œuvre des programmes en proposant des activités pédagogiques, mais en aucune façon en proposant de les contourner. Cette situation serait préjudiciable à la discipline.
Les programmes d’HGGSP et d’EMC
L’APSES a rappelé ses mandats sur l’HGGSP, et questionné la position de l’IG sur cet enseignement ainsi que sur l’EMC en première, avec un thème de sociologie au programme (société et lien social). Enseignées par d’autres disciplines, les notions transmises pourraient se transformer en obstacles aux apprentissages lors du cours de SES.
L’IG a précisé ne pas avoir été invitée à participer aux travaux concernant la spécialité HGGSP, la composition du GEPP étant de la responsabilité du CSP. Elle invite à voir les spécialités de SES et d’HGGSP comme complémentaires plutôt que comme concurrentes, et à mettre en avant la dimension « science politique » des programmes de SES. M. Pelletier confirme que les enseignants de SES ont toute légitimité à intervenir en EMC, tout en rappelant que cet enseignement est pluridisciplinaire.
Les nouvelles évaluations
L’APSES a présenté son communiqué, à partir des sujets prototypes récemment transmis dans l’académie de Lille et des projets de texte définissant les épreuves communiquées aux éditeurs de manuels. L’APSES a renouvelé ses critiques actuelles concernant l’épreuve composée (EC1 appelant à une restitution de connaissances non mise au service d’une argumentation, EC3 avec des libellés qui ne laissent pas la place aux débats). Le nouvel exercice de résolution numérique et graphique a concentré nos critiques.
M. Pelletier a précisé que ces éléments n’étaient qu’au stade de projet et que la note présentée par l’APSES n’était pas la version définitive. La note de service des épreuves communes de fin de première paraîtra très prochainement, au cours du mois de mars (à l’automne pour la terminale). Pour l’IG, l’épreuve E3C était difficile à concevoir car il est nécessaire de tenir compte du profil des élèves qui abandonnent les SES, d’évaluer des compétences effectivement mise en œuvre dans l’enseignement (qui regroupe des élèves qui abandonnent et d’autres qui poursuivent), de permettre une continuité avec les futures épreuves de terminale.. Choix a donc été fait de conserver le principe de l’épreuve composée pour la première, tout en préparant à une épreuve de dissertation en terminale.
Selon l’IG, il n’est pas envisageable d’évaluer des mathématiques en SES : si des compétences en la matière sont nécessaires, les épreuves ne doivent pas présenter de formalisation excessive en économie. Par ailleurs, l’autorisation de l’usage d’une calculatrice, aux fonctions basiques, a été évoquée et la réglementation en la matière est susceptible d’évoluer.
Selon l’APSES, des exercices numériques ne sont pas acceptables. S’ils sont pratiqués en classe, ce n’est qu’un intermédiaire dans une réflexion plus large. Ils ne concernent par ailleurs qu’un ou deux chapitres, et ne peuvent donc être considérés comme faisant partie du quotidien de la classe.
Pour l’IG, des exercices sans formalisation mathématiques sont possibles et adaptés aux contenus des enseignements ; il s’agit que d’un type d’exercice parmi d’autres. Par ailleurs, les épreuves sont conçues pour mobiliser le moins de méthodologie possible et éviter « la méthode pour la méthode », les compétences évaluées sont celles travaillées dans le quotidien de la classe.
Pour l’APSES, ces épreuves vont au contraire accroître le travail sur les méthodes puisqu’il faudra préparer les élèves à quatre types de « compétences » différentes en deux trimestres seulement. De plus, il paraît nécessaire à l’APSES, dans une épreuve de SES, de lier systématiquement connaissances et compétences, au service d’une argumentation. L’APSES souhaiterait également que la possibilité soit ouverte en EC3 à des sujets-débats. L’APSES a déploré de ne pouvoir exprimer son avis que maintenant, alors que les épreuves semblent actées.
M.Pelletier s’est montré plutôt favorable à l’existence de nuances dans les sujets, en rappelant que la compétence centrale était l’argumentation. L’épreuve composée permettrait d’évaluer explicitement la compréhension de différentes parties du programme (économie, sociologie, regards croisés). Quant à la consultation, l’IG a rappelé qu’elle ne relevait pas de l’IG mais de la DGESCO, qui a reçu les organisations syndicales à ce sujet.
La question des postes en SES
L’APSES a présenté les résultats de son enquête, en soulignant la perte d’heure-poste pour les collègues de SES, à hauteur de 10 %. Ce qui remet en cause, selon nous, l’idée que les SES seraient gagnantes dans la réforme, alors que la discipline perd en réalité l’écosystème protecteur de la filière ES, permettant plus de cohérence entre les disciplines et les apprentissages, et limitant les inégalités sociales entre les élèves. La concurrence avec HGGSP joue également en notre défaveur, cette nouvelle matière étant très demandée.
Pour l’IG, il n’est pas encore temps de mesurer les conséquences de la réforme, alors que les élèves de seconde formulent à peine leurs vœux de spécialité au deuxième trimestre. M. Pelletier a souligné que les SES sortaient renforcées de cette réforme, avec l’intégration dans le tronc commun et le décloisonnement des SES qui sont désormais offertes à l’ensemble des élèves, même si l’horaire de seconde reste faible et qu’une heure disparaît sur le niveau première (mais toutes les spécialités sont à égalité).
Les craintes sont légitimes pour les collègues qui perdent des heures, mais en prenant en compte uniquement les heures de SES, il devrait y avoir une augmentation à terme, même si les effets seront contrastés selon les établissements. Les SES seront présentes dans 92 % des lycées à la rentrée, plus que la filière ES. L’IG souligne que 109 postes supplémentaires sont ouverts aux concours de recrutement.
Pour l’APSES, cette projection est trop optimiste, puisque dans l’enquête réalisée, nous observons justement une augmentation des effectifs en première, là où l’horaire se limite à 4h, traduite partiellement dans le nombre de groupes, du fait des effets de seuil. La possibilité d’abandon de la spécialité avant la terminale, là où l’horaire est plus fort (6h), devrait au final réduire le nombre de groupes dans les établissements.
La question des attendus
Dans les premières remontées du supérieur, les filières scientifiques conseillent voire imposent certaines combinaisons de spécialités. Or, par ses contacts avec les doyens, l’APSES s’inquiète de la stratégie inverse des formations en sciences humaines et sociales : dans certaines formations de Droit, les mathématiques pourraient être obligatoires, et HGGSP conseillé prioritairement devant SES. En économie-gestion, seules les mathématiques pourraient explicitement être conseillées.
M.Pelletier s’est étonné de ces éléments, en rappelant que les attendus devaient être les plus larges possibles, dans l’esprit de la réforme. D’ailleurs, les attendus nationaux ne devraient pas être modifiés sur ces points, c’est-à-dire qu’ils ne comprendront pas de spécialité obligatoire ou conseillée. M. Lavialle a souligné que le ministère avait déjà fait retirer des tableaux qui indiquaient par un code couleur les spécialités recommandées dans certaines filières d’IUT. Avec la réforme, les recteurs ont les moyens d’ouvrir des places dans le supérieur, notamment pour des dispositifs de mise à niveau.
M. Pelletier a abordé la fin de la distinction des classes préparatoires ECE et ECS. Tous les profils d’élèves seront accueillis, et, selon l’IG, le suivi de l’option mathématiques complémentaires devrait suffire. La nouvelle maquette de la voie EC devrait être connue d’ici la fin de l’année scolaire.
M. Lavialle a rappelé que, dans l’idéal, le supérieur voudrait des élèves/étudiants parfaits, mais que dans la réalité il s’agissait surtout de recruter des élèves de la voie générale, et d’éviter le recrutement des élèves venant du professionnel.
Pour l’APSES, il faut cependant distinguer les attendus nationaux des attendus locaux, qui vont réellement déterminer les algorithmes de sélection des candidats sur Parcoursup.
L’IG continuera ses discussions régulières avec le supérieur.
Le programme de terminale de l’APSES
L’APSES a présenté son projet de programme pour la classe de terminale. Il ne s’agit pas d’un programme idéal, mais il reprend les grands principes portés par l’association, à savoir le souci du pluralisme, de la problématisation et de la faisabilité. L’APSES a notamment attiré l’attention de l’IG sur son souhait que les questions écologiques disposent d’un chapitre pluridisciplinaire dédié dans le futur programme
M. Pelletier a précisé qu’il avait eu une lecture attentive du travail de l’association.
M. Pelletier regrette la communication parfois excessive de l’APSES, le ton employé, alors que l’on pourrait souhaiter une relation de confiance, poser des principes d’accord, avoir des projets de formation communs dans le cadre de relations constructives.
L’APSES a rappelé que la lettre adressée à l’IG avait été décidée à l’unanimité de son comité directeur, que le contenu correspondait au ressenti de nombreux collègues, et qu’il convenait de les exprimer, dans un contexte où les enseignants avaient le sentiment de ne pas être écoutés par l’Institution.
L’IG a rappelé souhaiter à l’avenir des relations plus apaisées et constructives.