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Challenges, Publié le 25-08-2016 à 18h15

Par Thierry Fabre
Les mécanismes de marché ne font plus partie des thèmes obligatoires de l’enseignement d’économie en classe de seconde AFP.

Xavier Huillard, le patron de Vinci, qui préside l’Institut de l’Entreprise, est resté diplomate, ce 25 août, en ouvrant les Entretiens Enseignants-Entreprises, sur le campus de l’Ecole Polytechnique. « Il est important de participer au rapprochement du monde de l’enseignement et de celui de l’entreprise », a-t-il lâché devant les 400 profs, rassemblés pendant deux jours, au contact d’économistes et de chefs d’entreprises. La même langue de bois officielle a été utilisée par Jean-Marc Huart, de la direction générale de l’enseignement scolaire, qui a salué, au nom de sa ministre, la « solidité de cette collaboration » avec l’Institut de l’entreprise, qui permet aux profs d’avoir un regard plus « ouvert et actualisé » sur la réalité économique.

Mais cette année, ce rendez-vous original a un goût amer pour les dirigeants de ce think tank et pour les patrons impliqués dans les questions d’enseignement. Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l’Eduction Nationale, a refusé de participer à cet événement, invoquant un « problème d’agenda » lié à la proximité de la rentrée scolaire. Cette décision avait suscité une fronde des grands patrons. C’était la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase : le ministère de l’Education venait, en effet, de publier un arrêté supprimant l’un des cinq thèmes obligatoires de l’enseignement d’économie en classe de seconde, intitulé « comment se forment les prix sur un marché ? ».

« Cette décision m’attriste. On a perdu, c’est foutu », nous confiait, ce matin, un dirigeant d’entreprise dans le grand amphi Poincaré de Polytechnique. Michel Pébereau (BNP Paribas) et Pierre Gattaz (Medef) étaient pourtant montés au créneau, allant jusqu’à mobiliser l’Académie des Sciences. « Non, l’enseignement du marché n’est pas facultatif. L’immense majorité des élèves arrivant au bac n’aura jamais eu l’opportunité de comprendre le jeu de l’offre et de la demande, dénonçait Xavier Huillard dans une tribune publiée par Le Figaro, le 6 juillet. Rendre optionnelle une notion aussi fondamentale que le marché serait une grave erreur ». Les patrons n’ont pas été écoutés.

Plus aucune illusion
Certes, pour déminer le sujet, Vallaud-Belkacem a lancé une réflexion sur « les compétences et les connaissances que doivent maîtriser un élève ayant suivi un programme de Sciences Economiques au lycée », en saisissant deux instances : le Conseil National Education Economie, qui rassemble syndicalistes et patrons pour créer des ponts entre l’école et l’entreprise, et le Conseil National des Programmes, l’instance du ministère rassemblant parlementaires et personnalités qualifiées. Du côté, des patrons, on ne se fait aucune illusion. «Il n’en sortira rien avant les élections », lâche l’un d’eux sur le campus de Polytechnique. Un autre s’étonne de la composition du Conseil National des Programmes, où siège Guillaume Duval, rédacteur en chef d’Alternatives Economiques. Un magazine affiché à gauche et qui, selon de nombreux entrepreneurs, inspire trop les profs d’économie en leur donnant une vision négative de l’entreprise.

Bref, le rapprochement entre l’école et l’entreprise, pourtant affiché parNajat Vallaud-Belkacem, est encore loin. Mais il progresse, à petit pas. A Polytechnique, les dirigeants de l’Institut de l’Entreprise ont organisé desslow dating, des rencontres longues entre les DRH  de BNP Paribas, Carrefour, Sanofi ou Orange et les profs d’économie. Et dans les 400 enseignants présents, il y des membres du puissant syndicat, l’APSES (Association des professeurs d’économie), qui a pourtant dénoncé à plusieurs reprises les pratiques du « lobby patronal » pour influencer les enseignants. La preuve qu’à la base, les ponts ne sont pas coupés…

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