Début novembre, les lycées français ont été invités à organiser les cours de leurs élèves pour la moitié du temps en classe et pour l’autre moitié chez eux. Contrairement à ce que beaucoup ont compris, il ne s’agit pas d’une injonction, mais simplement d’une recommandation : les établissements gardent la latitude d’organiser ces enseignements en fonction des caractéristiques locales, la seule obligation étant de garantir au moins 50 % d’enseignement en présence pour chaque élève.
Cette mesure comporte un risque : que les lycéens tenus éloignés toute une semaine (et plus, en comptant les journées de week-end) de leur établissement décrochent. Ils peuvent, par exemple, travailler pour gagner de l’argent qui fait défaut dans leur famille en ces temps de crise économique. De fait, environ un lycéen sur cinq travaille pendant la période scolaire, en soirée ou le week-end. Et le travail est plus répandu pour les élèves majeurs, en particulier en classe de terminale.
Inégaux face à l’alternance
Dans l’idéal, pour parer à ce risque, il aurait fallu faire venir les lycéens en alternance le matin et l’après-midi. Cela aurait aussi eu l’intérêt de réduire considérablement la fréquentation de la cantine, lieu de contamination le plus difficile à contrôler dans un établissement scolaire. Cette solution a été parfois mise en place, mais elle est difficile à envisager en dehors des centres-villes d’agglomérations bénéficiant de transports en commun. Et on imagine bien que la présence d’un internat ou d’une grande partie d’élèves venant en transport scolaire rend une telle option plus compliquée.
Bref, les lycées n’appliquent pas du tout de la même manière l’alternance pour les élèves. Il y a ceux qui ont maintenu le 100 % en présence pour les élèves en dépit des recommandations sanitaires, notamment de nombreux lycées privés qui ne sont pas tenus de mettre en place l’alternance. Il y a aussi ceux qui pratiquent l’alternance mais maintiennent le 100 % en présence pour quelques cours. Parfois parce que ces cours ont un effectif réduit (certaines langues, certaines spécialités peu demandées), parfois parce que ces matières sont trop « importantes » pour qu’on les sacrifie…
Par ailleurs, quand il y a alternance, certains enseignants font cours avec la moitié des élèves en classe et l’autre moitié en visioconférence (quand le lycée est correctement équipé et connecté, cela va de soi). D’autres donnent un travail ciblé aux élèves qui sont à distance pour qu’ils avancent malgré tout (et ne soient pas désœuvrés). D’autres encore font simplement le même cours deux semaines de suite à deux groupes différents, sans donner de travail supplémentaire aux élèves qui restent chez eux (et se sentent donc en semi-vacances).
En théorie, tous les cours sont censés être assurés. Mais on voit bien que le nombre d’heures ne sera pas le même pour tous
En théorie, tous les cours sont censés être assurés. Mais on voit bien que le nombre d’heures ne sera pas le même pour tous. Or, se profilent déjà les épreuves du baccalauréat pour les deux enseignements de spécialité choisis par les élèves, censées se dérouler du 15 au 17 mars comme le ministre semble encore le vouloir. Ces deux épreuves représentent à elles seules un tiers des coefficients pour l’obtention du bac. Et l’on sait déjà que l’alternance sera prolongée au-delà du 20 janvier, date initialement envisagée comme celle du retour à la normale.
Adapter le calendrier
Aussi, on sait déjà que certains élèves n’auront pas pu aborder la totalité du programme et vont se retrouver en difficulté. Même s’ils ne sont pas la majorité, ils ne sont pas non plus une quantité négligeable. Cette rupture caractérisée de l’égalité justifierait que les examens soient adaptés, au-delà de la possibilité annoncée de choisir entre deux sujets. Et qu’ils soient adaptés dès maintenant, pas seulement deux semaines avant les épreuves, comme le permet l’ordonnance prise par le ministère le 24 décembre dernier !
On pourrait par exemple, sans un trop grand effort d’imagination, envisager de faire reposer l’évaluation des spécialités sur le contrôle continu, comme ce sera le cas pour le tronc commun. Resteraient comme épreuves celles de juin, le grand oral et la philosophie. Autre possibilité : reporter toutes les épreuves à juin, à condition d’adapter le programme par la suppression dès maintenant de certaines questions.
Quant à la récente recommandation du ministre d’organiser des stages de préparation pendant les vacances de février, elle ne peut pas être une solution. D’abord parce que de nombreux lycées ne parviendront pas à l’organiser en si peu de temps (la première zone sera en vacances dans trois semaines). Ensuite, parce que rien ne garantit que ces stages seront proposés là où il y en a le plus besoin, ou qu’y participeront ceux qui en ont le plus besoin. Enfin, élèves comme enseignants ont besoin des vacances pour faire une pause, se reposer, particulièrement cette année où tout le monde est épuisé et tendu.
Supprimer cette pause pour les élèves ne ferait qu’accroître fatigue, tension et stress, et on ne peut pas dire que ce soient les conditions idéales pour réussir une épreuve ! Mais cela permet de rejeter la responsabilité de l’échec sur les individus, élèves ou personnels, et non plus sur un défaut d’anticipation ou d’adaptation du ministère.
Par ailleurs, le calendrier de Parcoursup devrait être aménagé. Pour l’instant, il avance lui aussi au rythme normal, et les critères de sélection des universités restent les mêmes. Mais avec la moitié des cours, on a la moitié des notes, et des dossiers scolaires bien différents selon les lycées. Pendant le premier confinement, le calendrier avait été maintenu. Mais alors, tous les élèves étaient dans la même situation. Ce n’est plus le cas.
Face à cela, l’absence de réaction des lycéens et de leurs organisations, alors même qu’ils étaient très mobilisés l’an dernier contre la tenue des premières E3C (épreuves communes de contrôle continu) nées de la réforme, est certainement un autre signe de la grande difficulté psychologique dans laquelle vivent aujourd’hui les adolescents et jeunes adultes à cause de la crise sanitaire.