EDUCATION

Le bac en mars désoriente tout le monde

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Pour la première fois, le bac Blanquer connaît une session normale en mars. La communauté éducative dénonce une absurdité pédagogique, tandis que les lycéens angoissent en jonglant avec Parcoursup.

On n’empêche pas la venue du printemps et, avec lui, les premières épreuves du baccalauréat. Pour la première fois depuis la réforme du bac Blanquer, les 536 000 lycéens de la filière générale passent depuis lundi et jusqu’à aujourd’hui leurs épreuves de spécialités. Le but étant, avec ce nouveau calendrier, que ces notes, qui comptent pour 32 % de la note finale, soient intégrées dans les dossiers Parcoursup des candidats.

L’année 2023 marque la première session « normale » : les deux années précédentes, ces épreuves avaient été annulées ou déplacées dans le contexte chaotique du Covid. Mais, dans la communauté éducative, les contestations, aussi anciennes que la réforme, se ravivent.

« Ces épreuves en mars désorganisent l’année de terminale et, plus largement, l’ensemble des lycées », pointe Jean-Rémi Girard, à la tête du Snalc.

Un constat que partagent les chefs d’établissements. Dans l’enquête annuelle du Syndicat National des Personnels de Direction de l’Education Nationale (SNPDEN), publiée en septembre 2022, 52 % d’entre eux réclamaient le retour des épreuves en juin.

Des programmes au pas de charge

Du côté des enseignants, on dénonce une « absurdité pédagogique »« De septembre à mars, on court après chaque heure pour terminer les programmes, qui sont bien plus lourds que dans l’ancien bac. Et le moindre grain de sable peut faire dérailler la machine », explique Benoît Guyon, co-président de l’APSES, qui pointe aussi le manque de préparation à la méthodologie :

« La dissertation par exemple, est un exercice complexe. Et là, avec la fin du bac en juin, on a perdu deux mois pour y préparer au mieux nos élèves. »

Pour L’APSES, cela favorise le bachotage, un comble quand la réforme voulait justement éviter ce biais. Avec plusieurs autres associations disciplinaires, l’organisation a maintes fois dénoncé ce calendrier.

Maxime, enseignant de SES à Cergy, espérait jusqu’au bout un décalage de ces épreuves. Finalement, dès janvier, « j’ai speedé pour terminer les programmes et consacrer la dernière semaine aux révisions. Mais cela s’est fait au détriment de certains chapitres ». Avec ses collègues, il se retrouve à faire des choix impossibles à trancher. Ces décisions pèsent d’autant plus sur les professeurs qui craignent le moindre retard.

« C’est dur de prendre un arrêt maladie alors que l’on sait que cela risque de retarder nos élèves. Pareil avec les mobilisations depuis janvier : bien que très opposé à la réforme des retraites, je n’ai pas osé me mettre en grève pour ne pas les pénaliser alors qu’ils sont stressés », témoigne Manon, professeure de SVT à Lille.

Avec Parcoursup, « pas le droit à l’erreur »

Dans leur salle de classe, l’angoisse des élèves saute aux yeux des enseignants.

« Au début de l’année, ils étaient plutôt contents de passer le bac en mars, pour en être débarrassés tôt. Mais au fur et à mesure que les épreuves se rapprochent, ils constatent leur manque de préparation et s’inquiètent », observe Maxime.

Camille, qui habite à Montreuil (Seine-Saint-Denis), a passé ses vacances de février à réviser : « ça fait bizarre », grimace-t-elle, d’autant qu’elle a dû en même temps réfléchir à son orientation :

« Je devais hiérarchiser mes vœux sur Parcoursup, explique-t-elle. Mine de rien ça demande du travail. Et dire qu’après les épreuves, il faudra encore que je finalise mes dossiers… »

Durant le mois de mars, la procédure de Parcoursup et le bac se télescopent. « Tout s’accélère, on ne sait plus trop où donner de la tête », explique son copain Thibault.

Lui est d’autant plus stressé qu’il sait que ces notes comptent dans Parcoursup. « Mais à quel niveau ? J’ai 15 de moyenne en contrôle continu mais est-ce que cela plombera mon dossier si j’ai 13 aux écrits ? Ou au contraire, si j’ai 18, les enseignants vont penser que cela ne reflète pas mon niveau ? » Le jeune garçon, qui a surtout candidaté en prépa, s’inquiète. « On n’a pas trop le droit à l’erreur… ».

Des lycéens inégalement préparés

Les lycéens sont sensibles aux inégalités qu’ils constatent entre eux. « Dans mon lycée, nous n’avons eu qu’un bac blanc. Mais, une amie qui vit à Bordeaux, a eu la chance d’en avoir deux. C’est injuste », se désole Thibault. « On ne va pas au match avec un seul entrainement », illustre le jeune homme qui joue dans un club de handball. Lorsqu’elle évoque le seul bac blanc de ses élèves, Manon se rappelle surtout avoir dû insister pour qu’ils tirent le maximum de cette unique expérience.

« Peut-être ai-je trop insisté car, un peu avant, une élève est venue me voir en me disant qu’elle hésitait à sécher l’épreuve pour la première fois de sa vie. C’est une excellente élève mais elle était trop angoissée. Je l’ai rassuré mais ça dit beaucoup de choses de notre organisation ! »

Camille, elle, pointe des différences entre établissements sur le temps de préparation : « Nous n’avons pas eu de temps dédié aux révisions. Dans d’autres lycées, les cours du tronc commun ont été annulés la semaine d’avant. D’autres ont banalisé des journées. » Auparavant, avec les épreuves en juin, « on pouvait faire une semaine de révision pour tout le monde », pointe Sophie Vénétitay du Snes-FSU.

Finalement, une semaine jour pour jour avant les épreuves, le ministre de l’Éducation nationale a accordé deux journées de révision, vendredi 17 et samedi 18 mars. « Pas sûr que ça change quelque chose, grince Benoit Guyon de l’Apses. On a l’impression que le ministère joue les apprentis sorciers sur ce bac. »

Du côté de Thibault et Camille, qui se réjouissent d’avoir ces deux journées, on se moque : « On nous répète que le bac ne se prépare pas pour le lendemain, mais eux, c’est exactement ce qu’ils font ! »

Autre détail qui a son importance pour les candidats : pour des raisons d’organisation, sur les huit spécialités les plus demandées, les élèves composent soit le lundi, soit le mardi, sur des sujets différents.

« Au sein de mon groupe, des élèves qui ont suivi le même cours ne passeront pas sur les mêmes sujets, illustre Maxime. Ça les angoisse car ils n’ont pas d’emprise là-dessus. D’autant que l’on l’a vu avec les épreuves des établissements étrangers, le sujet de S.E.S. proposé le lundi était bien plus difficile à traiter que celui du mardi [sur les politiques environnementales, ndlr]. »

« Bac trop tôt. Retraite trop tard »

Ce lundi 20 mars, le sujet portait sur la transformation de l’action collective dans les sociétés démocratiques. « Belle coïncidence », sourit Marie qui enseigne dans un lycée de Saint-Denis. Militante au Snes-FSU, elle a organisé avec ses collègues une kermesse devant son établissement le jour-même. 25 des 70 enseignants ont ainsi fait la grève de surveillance pour l’examen.

« Comme tous les enseignants, c’est compliqué de se mobiliser durant le bac car on craint de pénaliser les élèves. Mais le 49.3, ça a été la goutte de trop. Ce n’est pas nous qui bloquons le bac, c’est le gouvernement ! »

La question a divisé les syndicats : le Snes-FSU, FO, la CGT et SUD ont appelé à une « grève des surveillances là où c’est possible », tandis que l’Unsa et la CFDT rejetaient cette action. Une division que l’on retrouve au sein des salles de professeurs. Maxime a longuement hésité, « comme à chaque fois que la question se pose quand on est prof ! ». Finalement l’enseignant attendra le 23 mars, journée de mobilisation interprofessionnelle, pour aller manifester.

« De toute façon, après les épreuves, je n’aurais plus grand chose à faire. C’est très difficile de mobiliser les élèves jusqu’en juin alors que l’échéance du bac est déjà passée. »

Il sait déjà quel slogan il inscrira sur sa pancarte jeudi : « Bac trop tôt. Retraite trop tard »

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