Le stage APSES « Les espaces » a eu lieu les 25 et 26 janvier 2024 à la Maison des Associations de Solidarité à Paris. Ce stage de formation à destination des enseignant.e.s de SES, adhérent.e.s ou non à l’APSES, est organisé en partenariat avec J. Couppey Soubeyran (CES- Université Paris 1 Panthéon Sorbonne), dans le cadre du programme « Renforeco ». Renaud Chartoire (Académie de Nantes) a accepté de nous en faire un compte-rendu que voici. Merci à lui !

Novembre 2023, le compte à rebours est lancé. Les plus ancien·nes des adhérent·es de l’APSES ont vu croître le succès des stages nationaux organisés fin janvier à Paris, ou proche banlieue fut un temps, à Meudon. Tel l’amateur·rice de musique métal dans les starting-blocks pour tenter d’obtenir des pass quatre jours pour le Hellfest, l’adhérent·e de l’APSES sait à présent que le stage est rapidement complet, malgré une jauge sans cesse augmentée. Et lorsque le lien est envoyé sur la mailing-list de l’Apses par le Bureau national, il est préférable d’être réactif si l’on veut pouvoir y participer !
Pourquoi un tel succès ? Deux désirs peuvent pousser, au moins pour les non-francilien·nes, à partir deux jours à Paris s’enfermer dans une grande salle écouter des conférences. D’abord, un désir de connaissances ; il n’existe pas d’équivalent proposé par notre institution nous permettant, dans notre domaine de compétence, de pouvoir entendre une dizaine de chercheuses et chercheurs nous présenter leurs derniers travaux, dans un cadre favorisant, de surcroît, des interactions avec chacune et chacun. Ensuite, un désir de socialisation : quel bonheur de pouvoir nous retrouver entre collègues de SES, pour deux journées d’échanges aussi bien professionnels qu’amicaux, entre collègues issu·es de toute la France, de toutes les générations et de tous les statuts.
Beaucoup sont arrivé⋅es dès le mercredi soir, pour être présent·es à l’ouverture du stage, le jeudi matin à neuf heures. Un stage consacré cette année à la thématique « Les espaces », autour de conférences données par des économistes, des sociologues et des politistes. Le stage est organisé, une fois de plus, en partenariat avec le Centre d’Économie de la Sorbonne et l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, dans le cadre du partenariat « Renforéco», des formations pour renforcer les liens entre universités, lycées et classes préparatoires dans l’enseignement de l’économie. Depuis l’année dernière, il se déroule à la maison des associations de solidarité (MAS) dans le treizième arrondissement de Paris, un local spacieux qui a permis d’augmenter le nombre de places pour les collègues intéressé·es. L’accueil est réalisé par des membres du Bureau National, que les plus ancien·nes connaissent bien : remise du badge à notre nom et du ticket permettant d’accéder au repas du midi, avant un passage vers l’espace cafétéria où viennoiseries et boissons chaudes nous attendent à volonté. Ce qui marque au premier abord les habitué·es, c’est le nombre de têtes nouvelles, de jeunes collègues venant pour la première fois ; au bas mot, ils représentent au moins la moitié des présent·es. C’est une excellente nouvelle pour l’association, car ce stage est aussi un lieu de convivialité et de socialisation, où l’occasion est donnée de partager avec des collègues depuis longtemps adhérent·es l’histoire de l’association, ses combats, son fonctionnement, l’importance de s’investir dans les régionales, de venir participer à l’Assemblée Générale au mois de juin… Ces collègues plus ancien·nes sont aussi venu·es une première fois de longues années de cela, et ont à cœur, aujourd’hui, de transmettre les valeurs de l’association, dans un même esprit de convivialité.
Des groupes se forment et se déforment, des amitiés se nouent, des contacts se créent ; mais nous sommes aussi là pour assister à des conférences, et les organisatrices et organisateurs, vers 09H30, nous convient dans la grande salle, adjacente à l’espace faisant qui fait office de cafétéria, afin d’assister à la présentation des deux journées de stage.

Le stage s’ouvre par la conférence de Stéphanie Archat, docteure en Science Politique, autour du thème :« Comment le harcèlement de rue est devenu un outrage sexiste. Itinéraire et modalités de construction d’un nouveau problème public ». Nous apprenons qu’à l’origine, la construction de l’item « outrage sexiste » comme entité légale a été pensé pour lutter contre le harcèlement de rue, puis s’est généralisé à tous les lieux en 2023. Selon le code pénal, l’outrage sexiste consiste à « imposer à une personne tout propos ou comportement à connexion sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». L’outrage sexiste est donc l’aboutissement du harcèlement de rue comme un problème public.


À partir de là, la conférence se structure autour de trois parties : comment un problème public se crée, et comment plus spécifiquement le harcèlement de rue est devenu un problème public sous l’impulsion de plusieurs acteurs (associations, médias, acteurs publics…) ; comment la construction de ce problème public a été rapide mais pas vraiment aboutie, avec des annonces pas toujours suivies de faits, et parfois en simple redondance avec des dispositifs préexistants ; et enfin une réflexion sur la manière dont cette question du harcèlement de rue a pu être récupérée dans l’espace public, avec en particulier des questions sur la « racialisation » de ce harcèlement ou sur la représentation d’une surreprésentation des catégories populaires dans ces actes.
Comme pour chaque conférence, l’exposé est suivi d’une trentaine de minutes de questions/réponses avec la salle, avant une petite pause, l’occasion de reprendre des forces autour d’un bon café, de poursuivre des conversations ou d’en ouvrir d’autres auprès de collègues que nous n’avions pas encore eu le temps de saluer.

Seconde conférence de la matinée, ensuite : cette fois, Anaïs Collet, sociologue, vient nous parler de son travail sur le thème « Mobilités spatiales, mobilités sociales. La gentrification comme processus de reclassement ». Elle partage avec nous une enquête réalisée sur la gentrification dans la ville de Montreuil, passée en une vingtaine d’années de ville de banlieue populaire à ville accueillant artistes, décideurs et intermittent·es du spectacle dans une logique de distinction qui a transformé Montreuil en quasi « 21èmearrondissement de Paris », à partir d’extraits d’entretiens et de situations concrètes.


Midi trente, l’heure de se sustenter ; un repas végétarien est proposé, servi par des collègues dans des assiettes apportées par chacun·e des participant·es, afin de réduire les déchets. Une bonne heure, là aussi, de convivialité, où chacun·e se regroupe par affinité ou curiosité, au fil de conversations attrapées au vol et de thématiques le plus souvent communes (programmes, conditions de travail, avancée dans le programme de la classe de terminale…) ou plus personnelles (le stage est aussi l’occasion de revoir des collègues que l’on n’a pas croisé·es depuis… le stage de l’année précédente !).
Quatorze heures, les festivités reprennent par une « Session pédagogique », consacrée à des échanges autour de l’exploitation pédagogique de la BD « La Distinction », librement inspirée du livre de Pierre Bourdieu, en présence de la dessinatrice et autrice Tiphaine Rivière. Elle nous explique ce qui l’a motivée à se lancer dans ce projet, les difficultés d’adaptation qu’elle a rencontrées, la manière dont son ouvrage a été reçu par les lycéen·nes, la façon dont on peut l’exploiter en classe.


Après de nombreux nouveaux échanges avec la salle, place est donnée à Nadine Levratto pour la présentation d’un travail centré autour de :« Contribution et dépendance de l’entreprise à la dynamique du territoire ». Nadine Levratto est une spécialiste d’économie industrielle, qui analyse le fonctionnement du système économique au niveau mésoéconomique. Elle nous fait un rappel de l’histoire de cette discipline, avant de présenter un de ses paradigmes centraux, le paradigme Structure – Comportement – Performance (SCP) également appelé « approche structuraliste », qui repose sur deux idées : les comportements des firmes dépendent des structures de marché ; et quand les barrières à l’entrée sont élevées, la concentration des entreprises est plus forte, et le profit moyen plus élevé. Elle nous fait part alors de travaux empiriques cherchant à montrer comment les contraintes de marché impliquent des stratégies d’entreprise.


Enfin, après la traditionnelle cession de questions/réponses avec la salle, la journée se clôt avec une nouvelle session pédagogique, consacrée à la présentation par des collègues adhérent·es de balades urbaines, de projets et activités pédagogiques sur la thématique des « espaces » dans les établissements, à partir de leurs propres expériences.


17H30, cette riche première journée se termine ; chacun⋅e part vaquer à ses occupations, afin de reprendre des forces – ou parfois en perdre, dans une soirée qui s’est parfois étirée – pour affronter en pleine forme la journée du lendemain.

Vendredi, neuf heures. Le réveil a été difficile, pour certain·es, mais tout le monde est à l’heure pour ne pas perdre une miette de cette nouvelle journée de conférences. Passage obligé par l’espace où viennoiseries et boissons chaudes sont en libre accès pour se préparer, puis direction la grande salle pour écouter deux économistes, Mathilde Dupré et Charlotte Emlinger, débattre entre elles de l’internationalisation de la production et des enjeux environnementaux qui lui sont liés, sous le prisme des différents scénarios possibles qui s’offrent aux économies pour adapter leurs politiques commerciales à la lutte contre le réchauffement climatique.


Les deux économistes débattent de la nécessité de relocaliser les activités pour limiter leur impact environnemental. Charlotte Emlinger appelle à examiner les effets réels du commerce international et des spécialisations sur les émissions de gaz à effet de serre, sans présupposer qu’il faille nécessairement relocaliser pour diminuer ces émissions : le commerce international permettrait au contraire dans certains cas d’exporter les biens produits avec une empreinte carbone plus faible. Mathilde Dupré pense qu’il faut intégrer au calcul des émissions de gaz à effet de serre les émissions liées au transport international et à la consommation de produits importés, et élargir l’analyse des effets du commerce international à la pollution, la biodiversité, aux effets sur la santé, ce qui plaide plutôt pour une relocalisation.

La session de questions/réponses terminées, les deux économistes laissent place à un sociologue, Clément Rivière, venu présenter son livre « Leurs enfants dans la ville », et plus précisément ses travaux sur la socialisation des enfants par les parents aux espaces publics (parcs, trottoirs, transports en commun), en abordant la ville sous l’angle du travail des parents pour encadrer l’utilisation de l’espace urbain par leurs enfants. L’auteur revendique une sociologie du « banal », mais qui nous éclaire malgré tout sur les mécanismes sociaux à l’œuvre dans nos sociétés. Il met en lumière les ressorts de la différenciation sociale et genrée dans cette relation aux espaces urbains des parents par rapport à leurs enfants. Au niveau méthodologique, son travail repose sur des entretiens réalisés à Paris et à Milan : 78 entretiens auprès de 88 parents.


Une des conclusions importantes qu’il a tiré de ces entretiens est l’idée d’un retrait des enfants de l’espace public. Les parents ont le souvenir de rues auparavant plus fréquentées par les enfants, le souvenir d’enfants plus autonomes dans l’espace public. Ils mettent en exergue l’importance des jeux sur les trottoirs durant leur jeunesse, alors qu’aujourd’hui les jeux se limitent à des espaces circonscrits (dans les parcs, principalement). Mais il existe un risque « d’illusion biographique » (Bourdieu), car on a tendance à magnifier notre passé en réenchantant nos souvenirs. Cependant, des historien·nes ont quand même validé cette idée. Pourquoi cette évolution ? Le progrès technique a joué, qui a fait que la sortie dans l’espace public est moins importante : télévision, ordinateur, smartphone, consoles de jeu… Un autre déterminant peut être aussi la peur des voitures avec le développement de la circulation automobile. Troisième hypothèse : la peur des parents liée aux agressions (suite à quelques affaires médiatiques autour de la pédocriminalité) les pousse à réduire l’autonomie de leurs enfants. Il met aussi en avant l’importance du contrôle social du voisinage, qui induit la peur d’être vu comme un « mauvais parent » si on n’encadre pas ses enfants. Quatrième hypothèse, enfin : cette évolution serait due au développement des loisirs encadrés pour les enfants, qui réduit leur temps disponible pour sortir dans la rue.
Enfin, Clément Rivière met en avant la différentiation spatiale liée au logement : dans les quartiers résidentiels où il y a des jardins individuels, il y a moins d’enfants dans l’espace public que dans les quartiers avec immeubles. De même, il insiste sur l’attitude différenciée des parents face au genre de leurs enfants :attitude plus permissive envers les garçons, et bien plus encadrée envers les filles à partir de l’adolescence, alors que les parents supposent leurs filles plus jeunes plus responsables et les laissent davantage sortir, dans un premier temps.

Après la traditionnelle séance d’échanges avec la salle, le second repas végétarien est apprécié à sa juste valeur, d’autant que pour la plupart d’entre nous, c’est le dernier réel moment de pause où il est possible de converser avec d’autres collègues. Un nouveau moment de convivialité et de socialisation, avant la reprise par un temps militant, ponctué de riches interventions sur les modalités d’actions possibles pour obtenir entres autres un allégement du programme de terminale. Arthur Jatteau, Maître de conférences en économie et en sociologie à l’Université de Lille est également intervenu pour présenter l’enquête de l’AFEP sur l’enseignement de l’économie en licence. cette enquête montre le manque criant de pluralisme dans les cours à l’université. https://assoeconomiepolitique.org/insoutenable-manque-pluralisme/

Reprise des conférences, ensuite, avec l’intervention de Marco Oberti, sociologue, sur le thème :« Dynamiques résidentielles et choix scolaires dans la proche banlieue parisienne : une gentrification « résidentielle » sans gentrification « scolaire » ». Il nous présente un travail empirique sur la complexité des choix scolaires, marqués par une recherche « d’entre-soi » et « d’évitement des établissements stigmatisés », via les dérogations et le recours au privé. Il se base pour cela sur une typologie des secteurs géographiques via un index de « qualité » des secteurs scolaires, calculé à partir de la part des élèves issus de milieux favorisés et des taux de réussite au bac. Il montre ainsi que la corrélation est forte entre le prix moyen du mètre carré et la qualité des établissements. On a même connu une très forte augmentation du prix du mètre carré dans les meilleurs secteurs scolaires, d’où la difficulté croissante pour les classes moyennes d’obtenir les meilleurs établissements pour leurs enfants. Deux options se présentent alors pour les classes moyennes :
· Être locataire dans des zones scolaires de qualité
· Être propriétaire dans des zones scolaires de moindre qualité
Les classes moyennes vont donc aller pour beaucoup dans les communes populaires de la première couronne s’ils veulent être propriétaires (gentrification résidentielle), mais sans réelle gentrification scolaire (l’index de qualité des établissements scolaires augmente, mais reste plus faible) car justement ces classes moyennes développent des stratégies d’évitement scolaire.
De même, la pratique de l’évitement scolaire empiriquement est fortement reliée à la CSP (plus forte chez les CSP+), mais aussi au statut d’occupation : beaucoup plus d’évitement chez les propriétaires que chez les locataires. De plus, il existe une forte corrélation avec le statut social de la ville : plus d’évitement dans les villes « stigmatisées », moins dans les autres. Ainsi, 41% des propriétaires en commune non favorisée font de l’évitement, contre 20% des propriétaires dans les communes favorisées (de la banlieue parisienne).

Enfin, le stage se termine par la conférence de Pauline Givord, économiste à l’Insee, qui est intervenue lors de la même table ronde que Marco Oberti sur le thème :« La ségrégation sociale à l’école : quelles mesures, quel rôle des politiques de choix scolaires ? ». Après avoir défini ce qu’est la ségrégation scolaire (concentration de certains groupes (sociaux, scolaires, ethniques…) dans certains établissements scolaires), elle a montré les effets de cette ségrégation sur la réussite scolaire :
· effets de pairs : la concentration d’élèves en difficulté a des conséquences négatives sur les apprentissages, surtout sur les élèves en difficulté. La mixité sociale est préférable. Cet effet négatif dans les établissements en difficulté n’est pas compensé par un effet « positif » dans les établissements « d’élite » (parfois même, c’est négatif dans ces établissements !).
· effet de problèmes d’attractivité des établissements « difficiles » pour les enseignant·es.
· effets sur la cohésion sociale : la mixité réduit les stéréotypes sociaux des groupes entre eux, et augmente la diversité des réseaux sociaux.
Ensuite, elle a mis en lumière les mécanismes de la ségrégation scolaire :
· La ségrégation résidentielle, qui entraîne la ségrégation scolaire ;
· La politique de sélectivité des établissements, avec l’offre d’options pour permettre des dérogations ;
· Les politiques d’allocation dans les établissements (plus ou moins de carte scolaire, plus ou moins de présence du privé…)
Elle a ensuite terminé par les résultats trouvés :
– moins de ségrégation dans les pays scandinaves, plus dans les pays d’Amérique latine
– selon les pays, la ségrégation peut se faire « par le haut » (lycées d’élites) ou « par le bas » (lycées stigmatisés).
– corrélation négative entre le niveau de ségrégation des établissements d’un pays et l’équité mesurée des résultats dans PISA : plus il y a de ségrégation, plus l’origine sociale joue sur les résultats scolaires.

Ainsi s’est terminé ce nouveau stage, qui a une nouvelle fois porté ses fruits tant en termes de didactique que de socialisation. L’année prochaine, il sera une fois de plus conseillé de ne pas attendre pour s’inscrire !

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