Le jeudi 6 avril dernier avait lieu, au CESE, dans le cadre de la 11ème édition du Printemps de l’Économie, la session de l’APSES et de ses trois régionales franciliennes, organisée avec le soutien d’Alternatives Économiques.

Vous pouvez retrouver la captation vidéo de cet événement à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=gC9zTKOkzng

N’hésitez pas à la partager très largement !

La session s’ouvre avec la présentation de l’APSES et ses mandats par Rodrigue Lohier et Raphaëlle Marx.

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 L’association évoque sa préoccupation quant à la dégradation des conditions d’enseignement des sciences économiques et sociales. En cause la récente réforme du lycée, la mise en place des épreuves du baccalauréat au mois de mars et d’un calendrier absurde, et la fin du caractère national du bac. Elle souhaite également partager son inquiétude ainsi qu’alerter l’opinion publique sur la baisse des moyens qui sont consacrés aux SES, depuis la mise en place de la réforme du lycée et du bac. Sur le terrain, ce sont des heures insuffisantes pour travailler en effectif réduit, pour préparer les élèves aux épreuves du baccalauréat et aux méthodes indispensables à la réussite dans le supérieur.

L’APSES demande ainsi le rétablissement des épreuves au mois de juin, avec un sujet national unique. Cet aménagement doit impérativement être suivi d’un sérieux bilan de la réforme du lycée.

Elle demande également un volume horaire accru en seconde et en première, et des dédoublements dans toutes les classes en seconde et a minima d’une heure définis nationalement sur le cycle terminal du lycée général. Enfin, l’APSES demande un allègement à court terme et une refonte à long terme des programmes mieux problématisés. Réforme de la protection sociale, enjeux climatiques… Dans un tel contexte, les Sciences économiques et sociales devraient être en première ligne pour donner aux lycéen.ne.s, génération pleinement concernée par ce futur système de retraites, les clés de compréhension de ce débat public. Or, force est de constater que les contenus des nouveaux programmes, entrés en vigueur dans le cadre de la réforme du lycée, ne le permettent pas. L’APSES relève en outre que la consommation (objet du débat de ce soir) a disparu des programmes en seconde (dans un contexte d’inflation, c’est bien dommage).

Puis Guillaume Duval remet les prix aux lauréats de la 7ème édition du concours vidéo « 3 minutes pour comprendre », concours coordonné par deux de nos collègues Delphine Litchman et Elodie Balara.

Pour ce concours, les élèves, accompagnés et suivis par leur professeur, réalisent une vidéo de 3 min max pour expliquer un concept au programme de seconde/1ère et terminale. Pour le jury était présent à la soirée Edmond Espanel, directeur général de Brief Eco. Le concours est soutenu par des partenaires qui offrent des lots : Alternatives Économiques, Brief.eco, Casterman, Cité de l’Économie, Delagrave, La Boîte à bulles, Le Lombard, Printemps de l’Economie, Sciences Humaines…

3 prix sont décernés : 2 prix du jury et 1 prix du public (à partir des likes sur la chaîne youtube de l’APSES) et quelques mentions spéciales également.

Deux groupes d’élèves étaient présents :

  • Les élèves de la 1ère S2TMD (sciences et techniques du théâtre de la musique et danse) du Lycée Pasteur de Lille (59) : Romane, César, Cyprien, Haruka, Louan, Théophile et des danseuses Margaux et Sarah accompagnés par leur professeur Barbara Steczek, pour le 1er prix du jury : vidéo  » Medley de la Socialisation, la socialisation genrée ».

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  • Les élèves de seconde D du Lycée Français de Valence en Espagne : Elena, Violeta, Camille, Victoria, Anna, Emma, Rafael avec leur professeur Philippe Herry, pour le prix du Public : vidéo  » Le processus de socialisation primaire ».

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Guillaume Duval, ancien éditorialiste à Alternatives Economiques, pose ensuite la question de notre café sciences sociales : « Consommer, est-ce vraiment s’engager ? », en soulignant que cette question, à la mode, peut donner lieu à des prises de positions extrêmes et clivées sur l’efficacité réelle des comportements de consommation, notamment en matière environnementale. D’où l’importance d’interroger précisément les attitudes et les valeurs en matière de consommation environnementale, et leur cohérence avec les pratiques et les modes de vie.

Philippe Coulangeon, sociologue, directeur de recherche au CNRS, revient sur l’enquête qui est à la base de La conversion écologique des Français PUF, 2023.

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Cette enquête vient précisément de la nécessité, pour un collectif de chercheurs, de comprendre le lien entre les préoccupations environnementales et les pratiques de consommation. Les questions environnementales ont en effet trop souvent été abordées sous l’angle de la sensibilisation, comme si cela suffisait pour transformer les comportements. L’enquête menée auprès d’un large échantillon de la population vise donc à savoir s’il y a aujourd’hui convergence entre les préoccupations et les pratiques.

Du côté des attitudes, la conscience environnementale, née d’une inquiétude sur le changement climatique, s’est largement diffusée et est aujourd’hui répandue. Pour autant, certaines questions restent très clivantes dans la population, notamment le rapport à la technique comme solution à la crise environnementale. De ce point de vue, on remarque que le scepticisme vis-à-vis de la technique s’accroit avec le niveau de diplôme, et concerne plus les urbains que les ruraux.

En croisant la question des préoccupations et celles des pratiques, l’enquête sur La conversion écologique des Français a permis d’identifier 4 profils dans la population :

  • le consumérisme assumé : concerne les personnes et ménages qui ne manifestent pas de préoccupations environnementales, ont un haut niveau de consommation et un bilan carbone conséquent, pour lesquelles les attitudes et pratiques sont donc cohérentes. On retrouve essentiellement ce profil chez les cadres supérieurs et les gros indépendants, il est donc très lié au niveau de revenu, à la taille du logement et à la possession de résidences secondaires.
  • La frugalité sans intention : désigne un mode de vie peu impactant, avec peu de préoccupations environnementales. On retrouve ce profil dans les milieux populaires.
  • L’Éco-consumérisme : désigne une consommation marquée par des préoccupations environnementales, des personnes qui font attention aux vêtements, achètent bio et local, mais qui consomment beaucoup. Ce profil est influencé par des variables d’âge : on retrouve notamment beaucoup de retraités, qui ont du temps à consacrer à leur consommation.
  • Éco cosmopolitisme : ce profil concerne des personnes ayant le niveau de conscience et de connaissance le plus élevé, qui font attention à rationaliser leurs pratiques de consommation mais ont un mode de vie tourné vers la découverte, le voyage et peuvent avoir tendance à ruiner leurs efforts, en prenant l’avion par exemple.

Au final, la marge de manœuvre des consommations individuelles reste assez réduite.

Giuseppe Cugnata, doctorant au centre de sociologie des organisations (CSO) de Sciences Po Paris, membre du collectif de recherche « Quantité critique », présente ensuite l’objet de son enquête, qui permet aussi d’éclairer le lien entre les valeurs, les engagements et les pratiques de consommation.

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Avec le collectif « Quantité critique », G. Cugnata a mené une étude quantitative sur les pratiques écologiques des manifestants pour le climat en France. Ces marches pour le climat ont lieu à la suite de l’appel de Greta Thunberg : elles visent à pousser les gouvernements à prendre des mesures. On peut donc penser que les militants sont critiques de la responsabilisation individuelle et de l’appel aux petits gestes. Au contraire, ils et elles entendent porter la question environnementale comme une question collective et politique : il est dès lors intéressant de se poser la question de leurs pratiques. Ces militant.e.s adoptent-ils et elles un mode de vie écologique ?

L’enquête montre que cette population est très engagée d’un point de vue individuel. Par exemple, de nombreuses personnes ont totalement ou partiellement renoncé à manger de la viande. La moitié de l’échantillon se dit prête à renoncer à l’avion. On a donc une population qui continue d’adopter un style de vie écologique alors qu’elle ne croit pas à l’efficacité de ces pratiques.

Si l’on s’intéresse aux dispositions qui amènent à adopter des gestes écologiques, on note notamment le rôle du genre, et dans une moindre mesure de l’âge : les femmes ont plus tendance à renoncer à la viande par exemple, les jeunes aussi, mais pas les plus jeunes.

Il y a donc une association entre se déclarer favorable à la sortie du capitalisme et adopter des gestes écologiques : l’engagement individuel n’est pas forcément opposé à l’engagement collectif.

La discussion s’engage ensuite autour de la question du débat : la consommation comme forme d’engagement.

Philippe Coulangeon souligne le fait que les questions environnementales sont appelées à jouer un rôle de plus en plus central dans les conflits sociaux. Lorsque l’enjeu central des conflits était le « partage des bénéfices » (Bourdieu, Darbel, 1966), il s’agissait pour l’ensemble des classes sociales d’accéder à un niveau de revenu leur permettant de repousser toujours plus les limites de la consommation. Si l’enjeu se déplace vers le partage des externalités, le conflit central s’articule autour de la régulation des pratiques de consommation. On ne peut plus penser que les choses vont se régler si « chacun fait sa part » : derrière cette question il y a des arbitrages politiques qui ne sont pas consensuels, et sont au coeur des conflits à venir.

Giuseppe Cugnata revient sur l’articulation entre la dimension individuelle et collective de l’engagement. Pour les militants, les gestes de consommation n’ont pas valeur d’exemple mais de préparation : ne pas manger de viande, c’est se préparer/imaginer/s’adapter à un monde où la viande ne sera pas disponible. Il s’agit en tout cas de ne pas considérer les actions individuelles comme détachées du reste des actions collectives.

Guillaume Duval pose la question du lien entre les attitudes en matière d’écologie, les pratiques et les dispositions socio-économiques et politiques.

Philippe Coulangeon présente les résultats de l’enquête ELIPSS (enquête longitudinale auprès d’un échantillon de 2200 personnes tirées au sort, pour répondre à des questions sur des domaines variés :  santé, environnement, sport, politique …), dans laquelle s’insère l’enquête sur la Conversion écologique des Français. Sur la question de la sensibilité environnementale, on attendrait plutôt des réponses situées sur un gradient gauche-droite, l’écologie politique se revendiquant, en France, plutôt à gauche. Les réponses à l’enquête montrent au contraire des préoccupations écologiques réparties sur l’ensemble de l’échiquier politique, et une sensibilité écologique assez forte à l’extrême-droite : on retrouve notamment le profil éco-consumériste chez des populations se situant à l’extrême droite, ce qui est à relier avec l’ancrage local de la consommation.

Pour Giuseppe Cugnata il est intéressant de croiser l’attitude vis-à-vis de la technologie et l’engagement dans des pratiques individuelles de consommation. Les militants qui font confiance à la technologie comme solution au réchauffement climatique ont tendance à moins s’engager dans leur vie quotidienne, à l’inverse des personnes plus sceptiques vis-à-vis de la technique.

La parole est donnée au public pour quelques questions. Une première question porte sur l’ancienneté des données de l’enquête (2017) et l’opportunité de répliquer cette enquête pour actualiser les résultats.

Pour Philippe Coulangeon ce serait nécessaire en effet, et en la matière il faut prendre au sérieux l’hypothèse d’un changement de comportements, et ne pas postuler, comme souvent en sociologie, que « tout change pour que rien ne change ». En particulier, on ne peut pas exclure l’idée que dans certaines catégories privilégiées commencent à se diffuser des normes qui vont à l’encontre de la consommation ostentatoire, voire des formes de « sobriété ostentatoire ».

Une deuxième question porte sur ce que peut l’action publique pour transformer les comportements des consommateurs. Pour Philippe Coulangeon, la typologie des consommateurs élaborée dans La conversion écologique des Français invite a repenser les outils de l’action publique, qui apparaissent inadaptés à certaines catégories de personnes. Ainsi, le discours de la sensibilisation apparaît sans objet pour certaines catégories de la population. On ne peut pas demander aux plus pauvres de consommer moins, ce serait grotesque voire insultant. La vraie question se déplace alors vers l’existence d’infrastructures publiques. La théorie du signal-prix peut fonctionner pour les consuméristes assumés. Cette typologie montre donc l’intérêt d’une diversité d’outils.

Une troisième question porte sur la question des ruptures biographiques : sont-elles à l’origine de changements de comportements en matière environnementale ? Dans le même sens, Guillaume Duval demande si les problèmes de santé vécus par les individus affectent les comportements de consommation.

Giuseppe Cugnata n’a pas testé la question des événements biographiques dans son enquête. Il a en revanche posé une question sur le poids de la catastrophe dans le futur : une large majorité des militants a peur de la crise climatique, estime qu’il n’y a pas de sortie possible. Ce sont aussi eux qui s’engagent le plus dans leur vie quotidienne.

Guillaume Duval demande dans quelle mesure ces pratiques individuelles de consommation contribuent à créer du lien social, et si des comparaisons internationales sont disponibles sur la question.

Giuseppe Cugnata rappelle le lien entre engagement dans des organisations et consommations individuelles. Sophie Dubuisson Quellier a par exemple étudié comment les pratiques individuelles sont un des moyens du recrutement de militants dans les organisations : en ce sens elles contribuent bien à créer du lien social. Sur la question internationale, il dispose d’une comparaison avec l’Italie, où on observe des phénomènes similaires. En Italie cependant l’idée d’une efficacité des gestes écologiques pour sortir de la crise climatique est plus répandue, sans doute parce que la mobilisation sur le climat est plus récente, moins inscrite dans le reste des luttes qu’en France.

Philippe Coulangeon insiste sur le renouvellement de formes de vie collective et des formes d’engagement autour de la question écologique. Bruno Latour, avec la notion de « classe écologique » invitait à une réflexion sur la reconfiguration de la conflictualité et la centralité du conflit écologique. Dans les statistiques, la France est envisagée comme un tout, alors qu’on gagnerait à avoir davantage de comparaisons internationales, et des outils plus décentralisés pour saisir les disparités géographiques, l’ancrage local des comportements et attitudes.

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