
Jacques Lagroye, professeur de science politique (1936–2009)
"Le contenu d’une discipline, on le sait, ne se décrète pas ; il est le produit d’une série de jeux de concurrence, d’identification et de distinction (…) Quant à la question des théories, il me semble que la plupart des affrontements ne sont que des oppositions formelles ou linguistiques (…) Le problème n’est pas tant de discuter de la supériorité d’une théorie sur l’autre, mais de travailler sur les approches des faits que proposent ou suggèrent les auteurs de référence. Le plus important est de (se) poser les bonnes questions."
Ces quelques phrases sont extraites de l’allocution de Jacques Lagroye lors du séminaire national sur l’enseignement des sciences économiques et sociales, à Lyon, en mars 2004. Ce qu’il dit là de la science politique, on pourrait le transposer aux sciences économiques et sociales.
Jacques Lagroye était un grand politiste. Il est mort le 1er mars 2009. Son parcours est rare : instituteur, puis professeur d’histoire-géographie et enfin universitaire, professeur de science politique, président du jury d’agrégation. Originaire du Sud-Ouest lui aussi, il n’avait pas qu’une proximité intellectuelle avec Pierre Bourdieu.
Il a encouragé, formé, accompagné les travaux d’un grand nombre de politiste français. Il a fortement contribué à l’ouverture de la science politique à la diversité des sciences sociales et en particulier à la sociologie. Les professeurs de SES qui, nombreux, ont préparé le CAPES avec « le » Lagroye, son manuel de Sociologie politique le savent.
Ceux, parmi nous qui ont eu la chance de bénéficier de ses enseignements, à Paris 1, ou lors du séminaire consacré en 1996 à la mise en place de l’option de « science politique » de première ES, ou encore à l’occasion de la préparation à l’agrégation, peuvent témoigner : c’était un remarquable pédagogue, chaleureux, enthousiaste et rigoureux.
Il a toujours témoigné de son intérêt pour les sciences économiques et sociales, participant à des formations, à des stages de l’APSES, présent quand la discipline était attaquée.
Son usage raisonné de la pluridisciplinarité comme sa conception de l’enseignement nous rapprochaient. Lors du séminaire de 1996, n’indiquait-il pas qu’ enseigner la science politique, ce n’est pas répéter un savoir acquis ( “l’entrée joyeuse dans le sommeil dogmatique”) mais aider les élèves à mieux comprendre les déterminants sociaux, faire des erreurs et les amener à vérifier si les quelques outils dont on dispose amènent à mieux comprendre le monde. C’est en fait leur donner modestement les moyens de passer du statut de sujet à celui d’acteur en leur permettant d’expliquer eux-mêmes leurs propres déterminations, leurs propres préjugés et d’échapper aux connaissances partielles et mystificatrices.
Tout est dit dans ces quelques lignes. Et les professeurs de sciences économiques et sociales ont perdu un maître et un ami.