L’académie des sciences immorales

Marianne, vendredi 3 février 2017
Par Guy Konopnicki

L’Académie des sciences morales et politiques s’est penchée sur les manuels scolaires, support de l’enseignement des sciences économiques. S’il s’agit de sciences, les économistes sont bien les seuls savants à n’être jamais interpellés par les associations de défense des animaux. Ils n’ont jamais expérimenté leurs recettes sur des animaux. On imagine le tollé si des souris blanches étaient soumises à un plan d’austérité, si quelque savant étudiait à la loupe une colonie de fourmis réduites au chômage ou si l’on forçait des castors à se passer de grands travaux, faute de crédits. Expérimentées exclusivement sur des humains, les sciences économiques ne sauraient être accusées de maltraitance envers les animaux. Cependant, notre Académie des sciences morales examine l’effet de l’enseignement de l’économie sur les élèves des lycées, dont certains pourraient être appelés à travailler et dont un petit nombre accédera à des fonctions d’encadrement. L’école donne-t-elle une vision faussée de l’économie ? La section économique de l’Académie des sciences morales et politiques semble qualifiée pour y répondre. On s’y retrouve entre gens de bien, Michel Pébereau, de Paribas, Denis Kessler, ancien numéro deux du patronat, et Yvon Gattaz, ancien numéro un et père de l’actuel numéro un. L’Académie des sciences morales et politiques ne comporte aucun ouvrier distingué pour avoir exercé une fonction de délégué du personnel, ni même de personnalité remarquable pour son rôle à la tête d’une organisation syndicale. Les prolos seraient trop mal à l’aise Quai Conti. Pour juger de la moralité des enseignements de l’économie, il ne faut pas conserver le souvenir de problématiques basiques. Les prolos sont nuls en prévisions économiques : ils ne savent pas comment finir le mois et se révèlent souvent incapables d’affronter le marché du travail, pour peu qu’ils aient servi de variable d’ajustement de la valorisation du capital de leur entreprise. Seule une académie de patrons et de hauts fonctionnaires peut juger de la validité des enseignements économiques délivrés dans les lycées.

Pour analyser les manuels scolaires, l’Académie des sciences morales et politiques s’est adressée à des experts. Parmi ces savants indépendants se trouve un véritable insurgé, Yann Coatanlem, président du Club Praxis, un lieu de réflexion transatlantique voué à naviguer à la Trump de brume. A la lecture du manuel de terminale des éditions Belin, Coatanlem s’étrangle. Le chapitre consacré à l’analyse de la structure sociale commence par «un exposé des théories marxistes et de la définition des plus-values comme une extorsion des travailleurs plutôt que comme une simple rémunération du capital, en soi légitime». Quelle horreur, en effet ! Ces enseignants marxistes ne reculent devant rien. Oser contester les prises d’intérêt, les marges réalisées sur le travail productif et, pendant que nous y sommes, les salaires astronomiques des dirigeants, les stock-options et les retraites chapeau ! C’est d’autant plus inacceptable que notre expert note la présence de «nombreux courants de pensée» présentés dans l’ouvrage scolaire «à égalité de traitement».

Or, cette égalité de traitement, qui relève du principe d’objectivité de l’enseignement, «laisse perplexe le futur citoyen». Pis ! Il «contribue à une impression générale de pessimisme particulièrement dangereuse, alors qu’il existe un socle théorique de base qu’aucun économiste ne songerait à remettre en cause»… Autrement dit, l’enseignement de l’économie menace de développer l’esprit critique ! Pour une catastrophe, c’est une catastrophe. Le «socle théorique», qu’il ne faudrait surtout pas remettre en cause, se résume à la recherche du maximum de profit pour le minimum d’investissement, à la diminution du rôle de l’Etat mais pas des subventions qu’il accorde aux entreprises. Ce socle théorique donne d’extraordinaires résultats, essentiellement visibles sur les comptes en banque tenus dans les paradis fiscaux. Le pessimisme est donc hors de saison et, puisqu’on vous le dit, il est dangereux. Ce n’est jamais qu’un rapport d’expert, pour une académie qui devrait supprimer deux termes de son intitulé : elle est sans nul doute politique, mais guère scientifique et moins encore morale.

http://www.marianne.net/academie-sciences-immorales-100249707.html

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