Lycée : l’enseignement de l’économie à nouveau sur la sellette

Irène Inchauspé , L’Opinion, 29 Janvier 2017

Professeurs de lycée et patrons s’accusent réciproquement d’avoir des approches idéologiques

L’Académie des sciences morales et politiques présente lundi son « diagnostic» sur l’enseignement de l’économie dans les lycées

Selon le Prix Nobel d’économie, Edmund Phelps, la France perd un point de croissance à cause de son déficit de culture économique. On pourrait sans doute expliquer cette « sous-culture » par des raisons philosophiques ou religieuses, mais on ne peut évacuer le sujet de l’enseignement de l’économie à l’école. Sujet sensible s’il en est où les protagonistes ne ratent jamais une occasion de s’écharper.

 « Nous en avons assez des attaques infondées de l’Académie des sciences morales et politiques (ASMP) sur un soi-disant biais idéologique présent dans les manuels, s’insurge ainsi Erwan Le Nader, président de l’Association des Professeurs de sciences économiques et sociales (SES), classée à gauche. C’est Michel Pébereau, son président, qui a une démarche idéologique ». Celui-ci avait en effet réalisé un coup d’éclat en démissionnant en octobre 2016 de l’emblématique Conseil national éducation-économie (CNEE) installé en octobre 2013 par le Premier ministre d’alors, Jean- Marc Ayrault, pour rapprocher l’école de l’entreprise.

Avec Henri Lachmann (ex-Schneider Electric et vice-président du Comité), Xavier Huillard (Vinci) et deux autres chefs d’entreprise, Michel Pébereau (ex Bnp Paribas ) a voulu ainsi protester contre les décisions unilatérales de Najat Vallaud-Belkacem concernant l’enseignement de l’économie en classe de seconde. Le motif de leur courroux ? Rendre optionnel, dans le module obligatoire d’enseignement de l’économie, le thème sur « le marché et la formation des prix ». La motivation de la ministre de l’Education étant d’alléger des programmes trop chargés. « Nous avons cinq modules à enseigner à raison d’une heure et demi par semaine, ce n’est pas possible de bien travailler dans ces conditions » explique Erwan Le Nader. La même demande avait été faite à Vincent Peillon, lorsqu’il était ministre de l’Education nationale, il n’y avait pas donné suite.

« Remettre en cause l’économie de marché, c’est grave, explique-t-on au Medef. Il y a le monde tel qu’on le rêve, et le monde dans lequel on vit ». Tandis que le CNEE continue ses travaux sur l’enseignement des SES au lycée (et pas seulement en seconde), l’Académie décide de poursuivre ceux qu’elle avait entamés dès le mois d’avril. Elle a commandé des rapports à six économistes installés à l’étranger, manière sans doute de « dépayser » le sujet. Chacun d’entre eux devait donner son avis sur des manuels d’économie pour le lycée.

« Les rapports précédents avaient sévèrement critiqué des biais idéologiques de certains manuels, écrit Thomas Philippon, professeur à la Stern Business School à New York. Je n’ai pas trouvé de biais idéologiques choquants dans les manuels que j’ai lus ». « Je n’ai pas trouvé que les trois manuels reflétaient un biais idéologique, juge Olivier Blanchard, ex chef économiste du FMI, aujourd’hui enseignant au MIT. Pas d’attaque en règle du système capitaliste ou, ce qui aurait été plus surprenant, pas d’apologie inconditionnelle de l’économie de marché ». D’autres professeurs en revanche sont beaucoup plus sévères. «Il est important de se concentrer sur les inégalités et le chômage, écrit Salavator Barbéra, économiste espagnol. Mais il faudrait dire clairement que, dans nombreux pays, le niveau de vie et de protection sociale sont bien meilleurs qu’ils n’ont jamais été». Yann Coatanlem, président du Club Praxis, critique aussi un biais idéologique. Finalement, l’Académie aura bien travaillé, présentant des points de vue contradictoires, même si lors de son colloque du 20 janvier, elle ne fait intervenir que les deux rapporteurs qui ont relevé des biais idéologiques.

Alors que la polémique s’installe – l’Académie publiera ses préconisations fin février, et le CNNE fin mars– la société civile avance. « J’ai fait venir des lycéens au Collège de France et je vais dans les lycées expliquer ce que je fais», raconte Philippe Aghion, titulaire d’une chaire dans le prestigieux établissement. Des professeurs invitent aussi des patrons dans leurs classes et font visiter des entreprises à leurs élèves. « Depuis la rentrée de septembre, les proviseurs et inspecteurs de l’Education nationale doivent faire pendant leur formation un stage en entreprise, se félicite le Medef qui travaille donc ici avec le Ministère de l’Education Nationale. En 2016, a été créé le Conseil National Economie Gestion, où se retrouvent notamment l’APSES et le Medef, les frères ennemis. L’idée est de réfléchir sur l’enseignement supérieur d’économie et de gestion, et sur l’adéquation entre l’offre de formation et les besoins en termes de compétences au sein du marché de l’emploi. Tout n’est donc pas perdu.

http://www.lopinion.fr/edition/politique/lycee-l-enseignement-l-economie-a-nouveau-sellette-119242

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