http://www.lalsace.fr/actualite/2017/08/27/la-gestion-de-l-europe-sous-expertise

La gestion de l’Europe sous expertise

Maître de conférences à la faculté des sciences économiques et de gestion de Strasbourg, chercheuse au Bureau d’économie théorique et appliquée (Beta), Amélie Barbier-Gauchard est une spécialiste des politiques publiques, en particulier européennes. Elle décrit son métier comme un mélange de passion, de rigueur et de souci de vulgarisation.

Le 27/08/2017 05:00 par Textes : Olivier Brégeard , actualisé le 26/08/2017 à 23:05 Vu 602 fois
Amélie Barbier-Gauchard : « Le métier d’enseignant-chercheur est un métier multifonctions. »Photo  L’Alsace/ Jean-Marc Loos
Lors de sa  soutenance  de thèse,  en décembre  2005.  « À l’époque,  mon sujet  n’intéressait  personne… » DR

Amélie Barbier-Gauchard : « Le métier d’enseignant-chercheur est un métier multifonctions. »Photo L’Alsace/ Jean-Marc Loos

« L’économie, pour moi, c’était la compréhension générale de l’actualité, du monde qui nous entoure. La croissance, l’emploi… C’était la matière qui m’attirait le plus, dès l’adolescence, confie Amélie Barbier-Gauchard. Comme souvent, c’était lié à des enseignants : j’ai eu des profs de SES [sciences économiques et sociales] passionnés, géniaux ! »

L’enseignement était sa vocation première et elle aurait sans doute rejoint le secondaire si un de ses professeurs de l’université d’Orléans ne l’avait encouragée à faire une thèse, compte tenu de ses résultats. Intéressée par l’Europe, « si compliquée » , elle choisit de travailler sur le fédéralisme budgétaire, en comparant la répartition des rôles – entre le local, le national et le supranational – en matière de finances publiques, en Europe d’une part – « un modèle inédit » –, aux États-Unis, au Canada et en Suisse d’autre part – « ces fédérations politiques qui sont aussi, de facto, des fédérations budgétaires ».

« Prévoir les questions qui vont se poser dans les années à venir »

Amélie Barbier-Gauchard pose, comme base de toute recherche, la faculté d’être « visionnaire, capable de prévoir les questions qui vont se poser dans les années à venir » , quitte à « se planter ».

« Quand j’ai commencé ma thèse, en 2001, la zone euro venait de naître, tout allait bien. Mon sujet n’intéressait personne. Je me souviens de colloques où des juristes étaient à deux doigts de me lancer des tomates quand je parlais de fédéralisme ! Quand j’ai publié une version simplifiée de ma thèse, en 2008 [chez de Boeck] , l’éditeur a refusé le terme de fédéralisme budgétaire dans le titre, en préférant celui d’ Intégration budgétaire européenne. Mais j’étais intimement convaincue que le fédéralisme budgétaire serait une solution pour l’Europe dans les années à venir, qu’on ne pourrait rester au stade d’intégration de l’époque. »

L’avenir a donné raison à la jeune chercheuse, recrutée par l’université de Strasbourg, lieu idéal pour poursuivre son travail, « au cœur de l’Europe ». « L’analyse multiniveaux a fini par intéresser » , constate-t-elle.

Elle se voit alors confier des missions d’expertise des institutions publiques, par le Parlement européen, la Commission européenne, le Comité des régions de l’UE, et, pendant six ans, pour le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (France Stratégie), un service du Premier ministre, sous la houlette de Jean Pisani-Ferry, futur « économiste en chef » de la campagne d’Emmanuel Macron.

Aujourd’hui, Amélie Barbier-Gauchard travaille sur les règles budgétaires européennes. « Faut-il continuer à contraindre tous les pays de la même façon, malgré des modes de fonctionnement différents ? Est-ce tenable, efficace pour la stabilité des finances dans la zone euro ? »

Pour garder un temps d’avance sur le débat public, elle et ses collègues s’intéressent également à la possibilité d’une assurance-chômage européenne, « un sujet explosif. Le citoyen français va refuser que son assurance-chômage s’aligne sur celle des Roumains, par exemple. Il y a autant de modèles sociaux en Europe qu’il y a de pays. Je reste convaincue qu’il ne faut pas chercher à lisser les différences, mais à trouver un dénominateur commun. Un niveau minimum d’assurance-chômage conjoncturel permettrait d’amortir les chocs, avec la liberté, pour chaque pays, de faire davantage s’il le souhaite. De même, un même salaire minimum dans tous les pays ne paraît pas saugrenu. Mais ce sont des sujets épineux. Les citoyens ont l’impression qu’on leur impose des règles qui ne leur conviennent pas et pour lesquelles ils n’ont pas eu leur mot à dire, sans tenir compte des particularismes nationaux. »

Amélie Barbier-Gauchard pointe deux idées reçues très répandues : « Tout est de la faute de l’Europe » et « On paie trop d’impôts ». « Les citoyens ne savent pas bien ce que fait et leur apporte l’Europe – même si trop de choses ne marchent pas assez bien. Sur les impôts, il s’agit d’abord de se demander à quoi ils servent : on a en France un modèle social qui mérite d’être mis en regard des impôts que l’on paie. »

Combattre les idées reçues

Malgré ces préjugés tenaces, l’universitaire constate que la majorité des quelque 2000 étudiants accueillis par la faculté des sciences économiques de Strasbourg se montrent « curieux et ouverts aux arguments. Ceux qui ont déjà des idées arrêtées, des positions partisanes, forment une minorité. »

Conjuguant ses passions de la recherche et de la transmission, Amélie Barbier-Gauchard transmet à son tour, aux futurs copropriétaires de cette « maison commune » qu’est l’Europe, les « clés » qui leur permettront peut-être de la consolider.

Facebooktwittermail